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(les siecles ces debris 'sans les avoir déligiiros: ¡1 sembl e que c'est le sort
attache à tous les monuiueat s égyptiens de résister également aux honnues
et au temps. Plus avant dans la mer, on voit nièlé aux fragments du colosse
eelui d'un sphinx, dont la tète et les jambes <le devant sont tronquées,
autant que les niadrepores et les petits coquillages ont pu m'en
laisser juger ; il est d'un style et d'un ciseau grecs et n'est point de granit,
mais d'un grès ressemblant au marbre blanc, et d'une transparence que
j.' n'ai jamais vue qu'en Egypte à cette matiere; il avoit treize à quatorze
pieds de proportion. A quelque distance, au milieu des débris d'entablements
semblables à ceux que j'ai décrits, est une autre figure d'Isis, assez
conservée poiu- qu'on puisse en reconnoitre la pose; ses jambes sont rompues,
mais le morceau est à côté: cette ûgure est en granit, et a dix pieds
de proportion. Tous ces débris semblent avoir été mis là pour former nue
j e t é e , et servir de brisant devant un édilîee détruit; mais qui, à en juger
par ses substructions, ne peut être que le reste d'un bain pris sur la mer,
et dont le rocher coupé trace encore le plan. I.a partie que ne couvre pas
la mer conserve des conduits d'eau bâtis en briques, et recouverts en ciment
et en pozzolane. Tout cela n'ayant pas assez de saillie pour en faire
u n dessin qui fût une •^^^e, j 'en ai tracé une espece de plan pittoresque qui
donnera l'image des ruines et des fragments que j e viens de décrire (vojrz
planche 8, n" a).
A ([uatrc cents toises de là, en rentrant dans les terres, toujours tirant
sur Alexandrie, on trouve plusieurs substructions construites en briques;
et, quoitpi'on n'en puisse pas faire de plan, on juge, par quelques fragments
de constructions soignées, qu'elles faisoient partie d'édilices importants.
Près de là on trouve plusieurs chapiteaux corinthiens en marbre, trop
frustes pour être mesur(-s, mais <[ui doivent avoir appartenu à des hases
de même matiere, et qui donnoient à la colonne vingt pouces de diamètre.
Plus loin, une grande quantité de tronçons de colonnes de granit rose,
canelés, tous de même grosseur, de même matiere, travaillés avec le même
s o i n , sont les incontestables ruines d'un grand et superbe temple d'ordre
dorique. D'après ce que nous a transmis Strabon sur cette partie de
l'Egypte, d'après tout ce que je viens de décrire, et notamment ces derniers
fragments, il n e me resta aucun doute que ce ne fussent là les ruines
de Canope, et celles de son temple l)àti par les Grecs, dont le culte rivalisoit
avec celui de T.anipsaque : ce temple miraculeux où les vieillards
retrouvoient la jeunesse; et les malades, la santé. Le bain dont j'ai donne
la vue étoit peut-être un des moyens que les prêtres employoicnt pour
opérer ces prodiges.
Le sol n'a rien conscr\'é de l'antique volupté canopite ; quelques eminences
de sables et des l uiues en l)rique, de grandes pierres de granit
(juarrées, sans hiéroglyphes ni formes qui attestent à ([uel genre d'édiliee
et à quel sieele elles oui appartenu, enfin de petites vallées, aussi arides
que les monticules dont elles sont formées, sont tout ce qui reste de cette
ville, jadis si délicieuse, et qui n'offre plus qu'on aspect triste et sauvage.
Il est vrai que le canal dont parle Strabon, qui conimuniquoit d'Alexandrie
à Eleusiue, et qui par un embranchement arrivoit à Canope, et y apportoit
la fraîcheur, a disparu de telle sorte «ju'on ne peut en distinguer la trace,
ni même concevoir la possibilité de son existence: il ne reste d'eau aux
environs que dans quelques puits ou citernes, si étroites et si obscures,
qu'on ne peut eu mesurer ni les dimensions ni la profondeur; elles recelent
cependant encore de l'eau : eniiu cette ville, qui rassemidoit toutes les délices,
où afduoient tous les voluptueux, n'est plus maintenant qu'im désert
que travei-sent quelques chacals et des Bédouins: j e n'y trouvai point des derniers;
mais j e vis un <-hacal, quo j'eusse pris pour uu chien, si j e n'avois eu le
temps d'examiner très distinctement son nez point u et ses oreilles dressées,
sa queue plus longue, traînante, et garnie de poil comme celle du renard,
à qui il resseudde beaucoup plus qu'au loup, quoi(|ue le chacal soit regardé
comme le loup d'Afrique. Ne pouvant abuser de l'escorte qui m'avoit aecouipagné,
je repris la roule d'Aboukir; j'y trouvai des dépêches pour h; général
en chef; on alloit expédier un détachement pour les porter: je ne pus me
défendre du plaisir que me faisoit éprouver l'occasion qui s'offroit de cjuitter
u u lieu si triste. Pendant le séjour que j'y avois fait, je n'avois jamais pu
éloigner de ma pensée que ce château étoit une prison d'état dans laquelle
j'étois relégué; ce rocher exigu, battu eontiuiu^llement des vagues, le bruit
importun qui en résulte, le sifilcment des \ents, la blancheui' du sol qui tàtigue
la \ue, tout dans ce triste séjour afflige et flétrit l'atne: en le quittant,
il uie sembla que j 'échappoi s à tous les tourment s d'une lyrannique captivité.
J e me mis en route par une nuit obscure; j'en fus quitte pour marcher
dans la mer, m'écoreber dans les balliers, et tomber par fois dans les débris
épars sur le rivage; mais à trois heures du uiatin j'arrivai à Rosette,
et j'allai me reposer voluptueusement, je ne dirai pas dans mon lit, je
n ' e n avois pas vu depuis mon départ de France, mais dans une chambre
fraîche, sur une natte propre.