Nous vîmes de petits dauphins à notre proue; mais, à notre grand regret,
ils disparurent pendant ([ue nous nous disposions à les harponner. Je les
observai de très près; leur marche ressemble au tangage d'un bâtiment;
ils sortent ainsi de l'eau, et s'élancent à vingt pieds en avant; leur forme
est élégante, et leiu-s mouvements rapides ressemblent plutôt à la gaieté
d'une joùte, qu'ils nannonceni la voracité d'un animal qiii cherche une
proie. Le soir, le vent fraîchit, et, passant de l'est à l'ouest, rassembla de
telle sorte le convoi, (jue je crus voir Venise, et que tous cenx qui eonnoissoienl
cette ville s'éerierent, Cost yenise qui mairhc ! {¡^oyez ii° i , pl. 3.)
Au soleil couchant nous découvrimes Martimo, et reçûmes ordre de rallier
le convoi, au milieu duquel nous passâmes la nuit comme dans une ville
ambulante.
T . e i8, nous reprîmes l'ordre de la veille. Je dessinai le Martimo («" 4,
pl. a ) , rocher qui semble être un môle à la pointe occidentale de la
Sicile : c'est un des points de reconnoissance de la Méditerranc-e, et c'étoit
o n de ceux où nous pouvions troijver les Anglais. Le vent fraîchit, et nous
faisions deux lieues à l'heure: c'est dans ees cas qu'(m oublie les inconvénients
de la mer pour ne voir que l'avantage d'en faire Tageut d'une marche
de quarante mille hommes, sans halte ni relais. A une heure, nous étions
par le travers de Martimo, à une lieue de ce rocher, découvrant la Favaniane,
autre rocher qui est devantTrapany, et le Mont-Krix, qui domine cette
ville, célébré par un temple de Vénus, et par la maniei'C dont on y ofi'roit
des sacriiiees à cette dck'sse. J'avois autrefois visité le Mont-Erix, et j'y avois
cherché son temple, la ville du même nom, renommée par la beauté des
femmes qui l'habitoient: mais, malgré ma jeunesse et l'imagination de cet
âge, je n'avois pu voir qu'un méchant village, quelques substructions du
temple, et les squelettes des anciennes beautés. Je lis un dessin de la Favaniane,
du Mont-Erix, et d'une partie de la còle de Sicile {vnyrzpl. 2, n" G).
Ce pays agréable, cultivé, abondant, consoloit nos Vinix de laspcct âpre
des côtes de Corse et des rochers qui les avoisinent : ils avoient un charme
de plus pour moi , celui des souvenirs; la Sicile étoit pour mon imaginat
i on une ancienne propriété: j e pouvois appercevoir, à travers les vapeurs
de ratmosphere. Marsala, l'ancienne Lilibée, d'où les Grecs (;L les lloinains
voyoient sortir de Carthage les flottes qui venoient les atUujuer. Plus loin,
j'entrevoyois les campagnes vertes et riantes de Mazzarra, la ville de Motia,
que les Syracusains attachèrent à la terre par une jetée, pour y aller combattre
les Carthaginois; et mon imagination, suivant la côte, revoit les aspects
( i 3 )
de Sélinonte, de ses temples, de ses cohmncs debout ressemblant encore
à des tours, et plus loiu l'hospitaliere Agrigente. Nous faisions trois lieues
à l'heure; et m<m rêve alloit se réaliser, lorsqu'on nous signala de nous
rapprocher de l'armée pour passer la iiuit avec elle, ,1e iis, en soiiplianl de
regret, un dessin de ce que je voyois de ces heureuses côtes (^i<ojr.z if 7,
pianelle 2): c'étoit un dernier hommage, et, suivant toute appaiencc, ce
fut un éternel adieu.
La nuit fut belle. J'avois recommandé ([u'on m'éveillât si l'on voyoit
encore la terre au point du jour : à trois heures et demie j'élois sur le
pont, et les premiers rayons du jour me firent voir que toute l'armée et
le convoi faisant canal avoient marché sur Malte. I.a Sicile disparut. J'apj)
erçus au sud-ouesl, ou plutôt je jugeai le gisemeni de la Pantellerie aux
nues orageuses dont elle s'enveloppe perpétuellement, honteuse sans doute
d'avoir de tout temps sen-i aux vengeances des gouvernements : les Romains
y cxiloient leurs illustres proscrits; elle recele encore les prisonniers
d'état du roi de Naples.
Le 19,1e ciel fut clair; mais un vent foible nous lit faire peu de chemin;
et une chasse que nous fîmes sur nu bâtiment incoiniii nous st'para de la
flotte, que nous ne pûmes rejoindre. On vit un poisson d'eniiron 80 |)ieds
de long.
La nuit fut calme, et le point du jour du 20 nous retrouva dans la
même position où noïis avoit laissés le soleil couchant. Nous vîmes au nordest
l'Etna se découper sur l'horizon; j'en reconnus les contours dans tous
leurs développements: la fumcie s'échappoit par son ilauc oriental, cl accusoit
ime éruption par une bouche accidentelle; il étoit à 5o lieues de nous,
et p¿u'oissoit encore plus grand que les montagnes de la còte du midi, qui
n'en étoit qu'à 12. A peine le soleil fut-il à ((uelques degrés d'élévation
i|u'il disparut avec l'ombre qui marqjioit son contour.
Nous appereùmes le Gozo à six heures; le soir nous le distinguâmes parfaitement
qui rougissoit à l'horizon à 7 lieues de distance: nous nous mîmes
e n panne pour passer la nuit et attendre le convoi. A la pointe du jour je
revis eiu'ore l'Etna, dont la fumée s'étendoit sur le ciel à plus de 20 lieues
de distance comme un long voile de vapeurs. Nous étions alors à 53 lieues
de l'isle.
Tous les bâtiments armés passèrent it la poupe du général. Nous n'avions
pas encore approché de XOrii-nt depuis notre départ; cette évolution avoit
quelque chose de si auguste et de si imposant (|ue, malgré le plaisii- que