A peine avions-nous dépassé Copthos qu'on vint nous dire que l'ennemi
étoit en marche : nous fimes halte, et après un léger repas nous nous
remîmes en mouvement pour joindre l'ennemi. Nous apperçûmes bientôt
ses drapeaux; leur développement occupoit une ligne de plus d'une lieue:
nous continuâmes à n.archer dans l'ordre que nous avions pris, c'est-à-dire
en bataillon quarré, flanqué d'une seule piece de canon de trois, et qumze
hommes de cavalerie ; nous avions l'air d'un point qui va toucher une hgne :
nous entendîmes bientôt des cris, et nous nous rencontrâmes à un v,liage
„ue l'extrémité de leur développement étoit venue occuper; on détacha des
tirailleurs qui au même instant se trouvèrent mêlés corps à corps avec
eux- maigre quelques décharges efficaces de notre piece, ils ne reculmeat
point; levn- valeur et leur dévouement suppléoient chez eux à la pénune des
armes. Apres que cet avant-poste eut été détruit plutôt que repoussé on
trouva plus de résistance dans les villages, où les murailles et quelques
armes à feu leur donnoicnt quelque égalité daos le combat; nous les repoussâmes
cependant jusque sous un autre village à un quart de heue plus
loin: à cet instant, les Mamelouks commencèrent à parader, et a paro.tre
vouloir charger notre droite pour faire diversion à l'avantage que nous prenions
sur leur coalisé; nous marcbAmes droit à eux, sans cesser m meme
.ffoiblir le combat que les chasseurs livroient aux Mekkains; notre marche
iiere et quelques coups de canon nous délivrèrent du voisinage des Ma-
„.elouks, <,ui n'y alloieut pas d'aussi bonne foi que les Mekkains, et vouloient
seulement essayer si le nombre do ces derniers et leur bravoure
détacheroient assez de soldats du grand .juavré pour qu'il pût être attaque
avec avantage. Apres avoir délogé l'iuianterie du second village, nous nous
trouvâmes dans une petite plaine qui précédoit Benhoute, où nous savions
au'étoit retranché le grand corps ennemi, et on s'étoient encore reunis tous
ceux que nous avions déjà battus. Nous nous attendions bien a un comba,
sanglant; mais non à être canonnés par une batterie en ordre, qm nous
cnvoyoit tout à la fois et mitraille et boulets, qui arrivoient à notre quarre
et même le dépassoient. La mort planoit autour de moi; je la voyo.s a
tout moment; dans l'espace de dix minutes que nous fumes arrêtés, trois
personnes furent tuées pendant que je leur parlois: je n'osois plus adresser
la parole à personne; le dernier fut atteint par un boulet <,ue nous voyions
tous deux arriver labourant le sol et paroissant au terme de son mouvement;
il leva le pied pour le laisser passer, un dernier ressaut du boulel
l'alteignit au talon et lui déchira tous les muscles de la jau.be; bles.sure
dont mourut le lendemain co jeune ofiicier, parccquc nous manquions
d'outils pour faire les amputations.
Nous crûmes que, selon l'usage du pays, leurs pieces sans affût n'avoicnt
qu'une direction; mais nous ne fûmes pas peu surpris de voir leurs coups
suivre nos mouvements, et nous obliger de hater le pas pour aller occuper
la téte du village, et y maintenir lo coml)at, tandis que les caral.iniers et
les chasseurs étoicnt allés tourner leur batterie et l'enlever à la baïonnette.
Au moment où l'on battoit la charge, les Mamelouks se précipitèrent sur
nos carabiniers, qui les reçurent avec un feu de niousqueteric qui leur fit
tourner bride, puis, tom])ant sur la batterie, ils firent un uiassacre général
de ceux qui la ser\-oient: les pieces se trouvèrent françaises, et on
reconnut que c'étoient celles de niaUc, barque amiralc de notre fiottille.
Nous espérions qu'après cette prise importante le combat alloit finir par
la dispersion ou la fuite de l'armée des Mc-kkains; une partie tiat cependant
encore assez long-temps dans un petit bois de palmiers, taudis que l'autre,
et la plus considérable, faisoit une espèce de retraite, que nous ne pouvions
troubler, parceqne, toutes les fois que nous dépas.sions les lieux couverts
pour faire un mouvement j'ajnde, les Mauielouks, que nous avions toujours
en flanc, pouvoicnt nous attaquer et nous culbuter; il falloit donc
marcher en ordre de bataille et toujours formes pour les recevoir. Il y
avoit dtga .six heures que nous combattions sans relâche un eiincmi inexpérimenté,
mais brave, fanatique, et en nombre décuple, qui attaquoit
avec fureur et résistoit avec obstination: il ne se rcplioit qu'en masse; il
falloit tuer tout ce qui avoit avancé en d(;taehemenvs. Harassés, haletants
de chaleur, nous nous arrêtâmes un instant pour prendre haleine; nous
manquions absolument d'eau, et jamais nous n'en avions eu autatit de
besoin. Je me rappelle qu'au fort de l'action je trouvai une cruche à l'angle
d'une muraille, et que, n'ayant pas le temps de boire, tout en marchant je
m'en versai leau dans le sein pour élancher l'ardeur dont j'étois dévoré.
Tant que l'ennemi eut ses batteries il se replioit avec confiance, parccqu'il
se rabattoit sur des forces nouvelles: nous dûmes morne penser cjuc
son dessein avoit été de nous attirer .sur elles, mais qu'après les avoir
perdues, le petit bois où il s'étoit retire devenant son dernier poiut de
défense, il tenteroit le sort d'un deniier combat, se jeteroit à l'eau, passcroit
le Nil, ou se joindroit aux Mamelouks, et disparoîtroit avec eux;
co qu'il nous étoit impossible d'empêcher: mais, en approchant de ce bois,
nous apperçûmes qu'il contonoit un gros village a\cc une maison île ]M