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La situation de cette ville est aussi belle qu'on pout se la figurer; l'étendue
de ses ruines ne permet pas de douter qu'elle ne fût aussi vaste que
la renommée Ta publié : le diametre de l'Ej^ypte n'étant pas assez grand
pour la eontenir, ses monuments s'appuient sur les deux chaînes qui la
bordent, et ses tombeaux occupent les vallées de l'ouest jusque bien avant
dans le désert. Je lis une vue de sa situation clés l'instant où je pus distinguer
ses obélisques, et ses portiques si fameux: j e pensois bien que, tout
aussi empressés que moi, mes lecteurs verroient avec intérêt l'image d'un
oljjet aussi curieux d'aussi loin qu'on peut l'appcrccvoir, et qu'en général
le premier devoir d'uii voyageur est de rendre compte de toutes ses sensations,
sans se permettre de les juger et de les dénaturer. C'est pourquoi
je me suis fait une loi de donner à la gravure mes dessins tels que je
les ai faits d'après nature : et j'ai tâché de conserver à mon journal la
même naïveté que j'ai mise dans mes dessins (7}oyrz pl. /|3, n° t ).
Quatre bourgades se disputent les restes des antiques monuments de
Thebes; et le fleuve, par la sinuosité de son cours, semble encore fier de
traverser ses ruines.
Entre midi et une heure, nous arrivâmes à un désert qui étoit le champ
des morts: la roche, taillée dans son plan incliné, présente dans les trois
faces d'un quarré des ouvertures régulières, derriere lesquelles de doubles
et triples galeries et des chambres servoient de sépultures (voyez pl. 42,
>1° f i ) - J'y entrai à cheval avec Desaix, croyant que ces retraites sombres
ne pouvoient être (jue l'asyle de la paix et du silence; mais à peine fumcsnous
engagés dans l'obscurité de ces galeries que nous fûmes assaillis de
javelots et de pierres par des ennemis que nous ne pouvions distinguer;
ce qui mit fin à nos observations. Nous avons appris depuis qu'une population
considérable babitoit ces retraites obscures; qu'y coniractant apparemment
des habitudes farouches, elle étoit presque toujours en rebellion
avec l'autorité, et devenoit la terreur de ses voisins: trop pressés pour faire
plus ample connoissance avec les habitants, nous rétrogradâmes avec précipitation;
et pour cette fois nous ne vîmes Tbebes qu'au galop.
Mon sort étoit do séjourner des mois à Zaoïé, à B('iiisouef, à Girgé, et
de passer sans m'arrètcr sur les grands objets que j'étois venu cliercbcr.
Nous ai rivâmes un moment après à un teiiq)lc, ijue je dus juger des plus
anciens à son délabrement, à sa couleur de vétusté plus prononcée, à sa
construction moins perfectionnée, à l'excessive simplicité de ses ornements,
à l'irrégularité de ses ligaes, de ses dimensions, et sur-tout à la
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grossièreté de sa sculpture. Je me mis bien vite à on taire un dessin
{voj <'zftanch<- 41, n'(,), puis, galopant après les troupes qui marclioieut
toujours, j'arrivai à un second édifice beaucoup plus considérable et bien
mieux conservé. Je trouvai en chemin une statue de granit noir, je dis
granit, en attendant qu'il soit décidé quelle est cette matîere que l'on
a long-te •mps appelée basalte, et dont sont faits les magnifiques lions
égv-ptieus qui sont au bas de la rampe du Capitole, ce second u.onumcnt
dont j'ai fait depuis le dessîu {»oj ez planch- 42, «»5, et planche
,f I ).
A son entrée deux môles quarrés flanquent une porte iiumense: contre
le mur de l'intérieur sont sculptés en deux bas-reliefs les combats victorieux
d'un héros; cette sculpture est de la composition la plus baroque,
sans perspective, sans plan, sans distribution, cl comme les premieres
conceptions de l'esprit humain qui a toujours la même marche. J'ai vu à
Pmnpéia des dessins faits par des soldats romains sur le stuc des murailh:
s; ils resscmbloienc entièrement aux dessins des nôtres, à ceux de
tout enfant qui veut rendre ses premieres idées, lorsqu'il n'a encore ni
vu, ni comparé, ni réfléchi. Ici le héros e.st gigantesque, et les ennemis
qu'il combat sont vingt-cinq fois plus petits: si c'étoit déjà une flatterie
des arts, elle étoit sans doute mal entendue, puisqu'il devoit éti'c honteux
pour ce héros de n'avoir à combattre que des pvgmées.
C'est à quelques pas de cette porte <jue sont les restes d'un colosse
énorme; il a été méchamment brisé, car les parties épargnées ont tellement
conservé leur poli, et les fractures leurs arrêtes, qu'il est évident que
si l'esprit dévastateur des hommes leur eût permis de confier au temps
seul le soin de ruiner ce monument, nous en jouirions encore dans tout
son entier; il suffit de dire, pour donner une idée de sa grandeur, que
la largeur des épaules est de vingt-cinq pieds, ce qui donneroit à-peu-près
soixante-quinze à la figure entiere; exacte dans ses proportions, le style en
est médiocre, mais l'exécution parfaite; dans sa chute il est tombé sur le
visage, ce qui empêche de voir cette partie intéressante; la coiffure étant
brisée, on n'est plus dans le cas de jugei' par ses attributs si c'étoit la figure
d'un roi ou d'une divinité: étoit-cc la statue de Memnon ou celle d'Ossimandue?...
Les desci'iptions faîtes jusqu'à présent, compai'ées sur les lieux
aux monuments, jettent plutôt de la confusion dans les idées qu'elles ne
les éclaîrcîssent. Si c'étoit celle de Meiunon, ce qui est le plus probable,
tous les voyageurs depuis deux mille ans .se seroient trompés dans l'objet
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