j e t o i s dans les tombeaux des grands ou des héros. Les tombeaux que Ton
croit avoir été ceux des rois, et que j'étois allé chercher à mon dernier
voyage à trois-quarts de lieue dans le désert, n'avoicnt davantage sur cellcs-ci
que la magnificence des sarcophages, et de particularité que l'isolement mystérieux
de leur situation; les autres dominoient immédiatement les grands
édifices de la ville : les sculptures en étoient incomparablement plus soignées
que tout ce que j'avois vu dans les temples; celoit de la ciselure:
j'étois émerveille que la perfection de l'art fût réservée à des tombeaux,
à des lieux condamnés au silence et k l'obscurité. Ces galeries ont quelquefois
traversé des bancs d'une glaise calcaire, d'un grain très fin; alors
les détails des hiéroglyphes y ont été travaillés avec une fermeté de touche
et une précision que le marbre n'offre pres.jue nulle part, les ligures
rendues par des contours d'une souplesse et d'une pureté dont je ii'aurois
jamais cru la seulptui-e égyptienne susceptible : ici j'ai pu la juger dans
des sujets qui n'étoient plus hiéroglyphiques, ni historiques, ni scientifiques,
mais dans la représentation de petites scenes prises de la nature, où
les attitudes profilantes et roides étoient remplacées par des mouvements
souples et naturels, par des groupes de personnages en perspective, et
d'un relief si bas , que jusqu'alors j'avois cru ie métal seul susceptible
dun travail aussi surbaissé. J'ai rapporté quelques fragments de ces basreliefs,
comme un témoignage que j'ai cru nécessaire pour persuader aux
autres ce qui m'a voit moi-même tant surpris ( voyez ccs fragments pi 11 3 ),
je les ai dessinés, de retour en France, de grandeur naturelle, et avec
autant de vérité que d'exactitude, pour donner une idée juste du caractère
et de la précision de ce travail. On est bien étonné du peu d'analogie
de la plupart des sujets de ces sculptures avec le lieu où elles sont placées;
il faut la présence des momies pour se persuader que ce sont-là des
tombeaux : j'y ai trouvé des bas-reliefs représentant des jeux, comme de
sauteurs sur la corde, des anes auxquels on fait faire des tours, que l'on
éleve sur les pattes de derriere, etc. {voyez planche 124, «"7 ec 8 ) : ces
ânes sont sculptés avec la même naïveté que le Bassan les a peints dans
ses tableaux.
Le plan de ces excavations n'est pas moins étrange; il y en a de si vastes
et de si compliquées, qu'on les prendroit pour des labyrinthes, pour des
temples souterrains. Quelques uns des mêmes habitants avec lesquels nous
faisions la guerre me servoient de guides, et le son de l'argent, cette langue
universelle, ce moyen contre lequel toute haine cede, sur-tout chez les
Arabes, m'avoit tait des amis parmi les habitants fugitifs de Kournou; quelques
uns étoient venus me trouver on secret lorsque j'étois éloigné du
camp, et me servoient de bonne foi: nous pénétrâmes avec eux dans ces
dédales souterrains, qui véritablement ressemblent, par leurs distributions
mystérieuses, à des temples construits pour servir aux épreuves des iuitiations.
Après les pieces si bien décorées que je viens de décrire, on entre
dans de longues et sombres galeries, qui, par plusieurs angles, vont et
reviennent, et paroissent occuper de grands espaces; elles sont tristes,
séveres, et sans décoration; on rencontre de temps à autre des chambres
couvertes d'hiéroglyphes, des chemins étroits à côté de précipices, des
puits profonds, où l'on ne peut descendre qu'en s'aidant contre les parois
de l'excavation, et mettant les pieds dans des trous pratiqués dans le rocher;
au fond de ces puits on trotive de nouvelles chambres décorées, et
ensuite de nouveaux puits et d'autres chambres, et, par une longue rampe
ascendante, on arrive enfin à une piece ouverte, et qui se trouve être tout
à côté de celle où on a commencé son voyage. Il eut fallu des journées
pour prendre une idée et lever les plans de pareils di'dales; si la maguilicencc
de l'intérieur des maisons étoit analogue au faste de ccs liabitalions
ultérieures, comme on le doit croire d'aprè.s les beaux meubles peints dans
les tombeaux des rois, qu'il^est à regretter de n'en retrouver aucun vestige!
que sont devenues ces maisons qui renfcrmoient ces rirhcsscs? comment
ont-elles disparu? elles ne peuvent être sous le limon du Nil, puisque le
quai qui est devant Luxer atteste que le sol n'a éprouvé qxi'une élévation
peu considéi'able. Etoient-elles en briques non cuites.' les grands comme les
prêtres habitoient-ils les temples? et le peuple n'avuit-il que des tentes?...
Pendant toute l'expédition nous avions été suivis dune bande de milans
et de petits vautours, qui étoient devenus aussi familiers qu'ils étoient
naturellement voraces; ils se nourrissoient de ce que nous laissions après
nous, et nous rejoignoieni toujours à la premiere station; les jours de
combats, au lieu d'être éloignés par le canon, ils accouroient de toutes
parts: cette fois-ci notre expédition faite en bateau avoit trompé nos habitués;
mais aux premiers coups de fusils, sur-tout à l'explosion de la mine,
ils furent avertis et vinrent nous rejohidre; leur adresse et leur familiarité
devenoient uu spectacle et un divertissement pour nous; des berges élevées
du Nil nous leur jetions de la viande qu'ils ne laissoient jamais tom])er
jusipie dans l'eau; ils enlevoient quelquefois les rations qu'on envoyoit
aux postes avancés, et que nos serviteurs portoient sur leur tête: j'ai vu
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