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le temps de les catccliiser, falloil-il, par un malheur do circonsui i ice, punir
s é v è r e m e n t ceux qui s'obstinoicnt à ne pas croire ipic lout cc que nous
f a i s i o n s n'éloit que pour leur bien.
N o u s nous disposions à partir aussitôt que la cavalerie seroLt de retour,
s o i t que les barques arrivassent enfin, soit qu'il fallût y renoncer; car
a t t e n d r e ne faisoit qu'aggraver nos maux, et ceux que nous étions obligés
d e faire aux habi tant s des environs, en laissant subsister cet état de guerre,
d ' i n c e r t i t u d e , et d'inorganisation.
L e 24, nou.s n'en avions point encore de nouvelles. Nou.s nous faisions
r é c i t e r des contes arabes pour dévorer le temps et tempérer notre imp
a t i e n c e . I.es Arabes content lentement, cl nous avions des interprètes
q u i pouvoient suivre ou qui ralentissoient très peu le débit; ils ont consei
vé pour les contes la même passion que nous leur connoissons depuis
le .sultan Skeberasade des mille et une miits; et sur cet article Desaix et
moi nous étions presque des sultans: sa mémoire prodigieuse ne perdoit
pas une pbra.se de cc qu'il a v o i t ent endu; et j e n'ccrivois rien de ces contes,
p a r c e q u ' i l me promettoil de me les rendre mot pour mot quand je voud
r o i s : mais ce que j'obscrvois, c'est ([ue si les histoires n'étoient pas riches
d e détails vrais et sentimcntals, mérite qui scmbh' appartenir parliculièr
e m e n t aux narrateurs du nord, elles abondoient en événements extraord
i n a i r e s , on situations fortes, produites par des passions toujours exaltées;
les enlevements, les châteaux, les grilles, les poisons, les poignards, les
s c c n e s nocturnes, les méprises, les trahisons, tout ce qui embrcmille une
h i s t o i r e , et paroi t en rendr e le dénouement impossible, est employé par ces
c o n t e u r s avec la ¡)lus g rande hardiesse; et cependant rhistoire finit toujours
t r è s naturellement et de la maniéré la plus claire et la plus satisfaisante.
"Voilà le mérite de l'inventeur: il reste encore au conteur celui de la préc
i s i o n et de la déclamat ion, auxquelles les audi teur s mettent beaucoup de
p r i x : au.ssi arrive-t-il que la même histoire est faite consceutivettient par
p l u s i e u r s narrateurs devant les même s auditeurs, avec u n égal intérêt et un
égal succès; l 'un aur a mieiix t rai t é et d é c l amé la par t i e sensibl e et amoui i'use,
u n antre aura inieux rendu les combat s et les effets terribles, un troisième
a u r a fait rire; enfin c'est leur spectacle: et comme chez nous on va au
t h é â t r e une fois pour la piece, d'autres fois p o u r le j e u des aeteur s , les r<'q)ét
i t i o n s ne les fatiguent point. Ces hi.stoires soTit suivies de discussions; les
a p p l a u d i s s e m e n t s sont disputés, et les talents se perfectionnent, aussi y
c n a-t-il en grande réputation qui sont chéris, el font le bonheur d'une
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f a m i l l e , de toute une borde. Les Arabes ont aussi leurs poètes, même leurs
u n p r o v s a t e u r s , que l'on fait venir dans les festins; ils en paroissent enc
h a n t e s : je les a. entendus; mais quand leurs chansons ne sont pas apo
l o g é c i q u e s , elles perdent sans doute trop à être traduites; elles ne m'ont
p a r u que des concetti ou jeux de mots assez insipides: leurs poetes ont
d a t e u r s des maniérés extraordinaires, des tics, qui les singularisent aux
j e u x des gens du p»j-s, mais qui leur donnoient pour nous un air de dém
e n c e qui m'inspiroit de la pitié et de la répugnance: il n'en étoit pas de
m ê m e des conteurs, qui me paroissoient avoir un talent plus vrai, plus
p r è s de la nature.
J e devois m'affliger moins qu'un autre des retardements, puisqu'ils me
l a i s s o i e n t le temps de calmer l'inflammation ((ui dévoroit mes yeux; mais
j e partageois l'impatience de Desaix, qui avoit dù con.pter sur toutes les
r e s s o u r c e s du convoi, dont l'absence paralysoit ses opérations sous tous
les rappor ts, et le laissoit dans un dénuement affligeant: heureusement les
m a l a d e s et les ble.ssés étoient p e u nombreux; car les médecins sans remedes
n ' é t o i e n t là q u e p o u r dire ceux qu'il aui^oit fallu leur d o n n e r , el ne pouvoient
l e u r en administrer aucun: on fit cependant établir un hôpital, des fours,
u n magasin, et une caserne assez bien fortifiée pour se défendre d'une
é m e u t e ou d'nne attaque de paysans, et pouvoir laisser à cet échelon de
l ' é c h e l l e du Nil trois cents hommes en sécurité.
Ne sachant que faire à mes yeux malades, j'imaginai d'aller prendre les
b a i n s du pays, qui me soulagèrent. Je renvoie mou lecteur à l'élégante desc
r i p t i o n de M. Savary, dont la riante imagination a fail tout à la fois le
t a b l e a u des agréments ([u'offrent ces bains, et des voluptés dont ils sont
s u s c e p t i b l e s ( ¡^aa .t la vu., planche V,, n" i « .Y rcTplkadon).
L e a5, il lit as.sez froid le malin pour desirer de se chauffer; mais ce
f r o i d pour tant ressembloii à celui qu'on éprouve quelquefois chez nous au
m o i s de mai; car en mettant la tête à la fenêtre, j ' y vis les oiseaux faisant
l ' a m o u r , ou tout au moins faisant leur nid pour le faire; le soir du même
j o u r il tonna, événement très extraordinaire dans celte contrée; eu effet
c e l a 7i'arrive cju'une fois dans une génération, par un concours de circons
t a n c e s peut-être faciles à expl iquer. Le vent du nord, le plus constant de
t o u s ceux qui dominent dans cette partie du monde, aniene de la mer les
n u a g e s d'une région plus froide, les roule dans la vallée de l'Egypte, où
l e sol ardent les raréfie, et les réduit en vapeur; cette vapeur pou.ssée
j u s q u ' e n Aby.ssinie, le vent du sud, qui traverse les montagnes élevées et
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