bras à de pareilles constructions: enfin le rapport le plus digne ponr l'humanité
sous lequel on puisse euYisager ces édifices, c'est qu'en les élevant
les hommes aient voulu rivaliser avec la nature en immensité et en éternité,
et qu-ils raient fait avec sueeès, puisque les montagnes qui avoisinent ces
monuments de leur audace sont moins hautes et encore moins conservées
( voyez In ilescription de la planche 20, n" 3 ).
Nous n'avions que deux heures à être aux pyramides : j'en avois employé
une et demie à visiler l'intérieur de la seule qui soit ouverte; j'avois rassemble
toutes mes facultés pour me rendre compte de ce que j'avois vu;
j'avois dessiné, et mcsiu-é autant que le secoins d'un seul pied-de-roi avoit
pu me le permettre; j'avois rempli ma tète; j'espérois rapporter beaucoup
de choses; et, en me rendant compte le lendemain de toutes mes observations,
il me restoit un volume de questions à faire. Je revins de mon
v o j a g e harassé au moral comme au physique, et sentant ma curiosité sur
Jes pyramides plus irritée qu'elle ne letoit avant d'y avoir porté mes pas.
Je n'eus que le temps d'observer le sphinx, qui mérite d'être dessiné
avec le soin le plus scrupuleux, et qui ne l'a jamais été de cette maniéré.
Quoique ses proportions soient colossales, les contours qui en sont conservés
sont aussi souples que purs: l'expression de la tète est douee,
gracieuse et tranquille, le caracterc en est africain: mais la bouche, dont
les levres sont épaisses, a une mollesse dans le mouvement et une (inesse
d'cxceution vraiment admirables; c'est de la chair et de la vie. Lorsqu'on
a fait un pareil monument, l'art étoit sans doute à un haut degré de pcrf.
ction; s'il manque à cette tète ce qu'on est convenu d'appeler du style,
c'est-à-dire les formes droites et fieres que les Grecs ont données à leurs
divinités, on n'a pas rendu justice ni à la simplicité ni au passage grand et
doux de la nature que l'on doit admirer dans cette figure; en tout, on n'a
jamais été surpris que de la dimension de ce monument, tandis que la perfection
de son exécution est plus étonnante encore ( ?'q)ï?z/V. 20 bis, n" i)-
J'avois entrevu des tombeaux, de petits temples décorés de bas-reliefs
et de statues, des tranchées dans le rocher qui pouvoient avoir formé des
stylobates aux pyramides, et donné de l'élégance à leur masse; il m'avoit
paru rester tant d'objets d'observations à faire, qu'il auroit fallu encore bien
des séances comme celle-ci pour entreprendre de faire autre chose que des
esquisses, et dissiper enfin le nuage mystérieux qui semble avoir de tout
temps voilé ces symboliques monuments. On est presque également incertain
et de l'époque où ils ont été violés, et de celle où ils ont été construits:
celle-ci, déjà perdue dans la nuit des siecles, ouvre un espace iuimcnse
aux annales des arts; et, sous ce rapport, on ne peut trop admirer la précision
de l'appareil des pyramides, et l'inaltérabilité de leur forme, de leur
construction, et dans des dimensions si immenses, qu'on peut dire de ces
monuments gigantesques qu'ils sont le dernier chaînon entre les colosses
de l'art et ceux de la nature.
Hérodote rapporte qu'on lui avoit conté que la grande pyramide, celle
dont je viens de parler, étoit le tombeau de Chéopes; que la pyramide
voisine étoit celui de son frere Chephrenes qui lui avoit succédé;'qu'il n'y
avoit que celle de Chéopes qui eut des galeries intérieures; que cent mille
hommes avoient été occupés vingt ans à k bâtir; que les travaux qu'avoit
exigés cet édifice avoient rendu ce prince odieux à son peuple, et que,
malgré les corvées qu'il avoit exigées de ses sujets, les seules dépenses de
la nourriture des ouvriers étoient montées si haut, qu'il avoit été oljligé
de prostituer sa fille pour achever le monument; enfin que, du surplus de
ce qu'avoit rapporté cette prostitution, la. princesse avoit trouvé de quoi
bâtir la petite pyramide qui est vis-à-vis, et qui lui servit de sépulture.
Ou les princesses égyptiennes qui se prostituoient se faisoient alors payer
bien cher, ou l'amour filial étoit poité à un haut degré dans cette fille
de Chéopes, puisque, dans son enthousiasme, elle avoit montré encore plus
de dévouement que n'en exigeoit son pere, et avoit recueilli de quoi bâtir
pour sou compte une autre pyramide. Que de travaux pendant sa vie pour
s'assurer un asyle de repos après sa mort! Il faut dire aussi que Chéopes,
ayant fermé les temples pendant son regne, n'avoit pas trouvé après sa
mort de panégyristes parmi les prêtres historiens de l'Egypte, et qu'Hérodote,
notre premiere lumière sur ce pays, s'étoit laissé conter bien des
fables par ces prêtres.
J'étois au Caire depuis près d'un mois, et je cherchois encore cette ville
superbe, cette cité sainte, grande parmi les grandes, ce délice de la pensée,
dont le faste et l'opulence font sourire le propbete; car c'est ainsi qu'en
parlent les orientaux. Je voyois effectivement xme innombrable popidation,
de longs espaces à traverser, mais" pas une belle rue, pas un beau monument:
une seule place vaste, mais qui a l'air d'un champ; c'étoit
Lclbequier, celle où demeuroit le général Bonaparte, qui, dans le moment
de l'inondation, a quelque agrément par sa fraîcheur et les promenades
que l'on y fait la nuit en bateau {voyezplanche 87 ); des palais ceints de
murs, qui attristent plus les rues qu'ils ne les embellissent; l'habitation
IS