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,.niin leur situation étoit affreuse. Effmivcinent pou de moments après,
imc lu-ure avant le jour, trente des assiégés les mieux armés, avec den>L
ehameaux, forcèrent un de nos postes et passèrent. A la pointe du jour, on
entra par les breches de l'ineendie, et l'on acheva d'assommer ceux qui,
à moitié grillés, opposoient encore quelque résistance. On en amène un
au général; il paroissoit être un des chefs; il étoit tellemeni enflé, qu'en
pliant pour s'asseoir, sa peau éclata de toute part: sa premiere phrase fut,
Si c'est pour me tuer qu'on me conduit ici, qu'on se dépêche de terminer
mes douleur.s. Un esclave l'avoit suivi; il regardoit son maître avec une expression
-si p rofonde, qu'elle m'inspira de l'estime pour l'un et pour l'autre:
les dangers qui l'environ noient ne pouvoient distraire un moment sa sensibilité;
il u'existoit que pour son maître; il regardoit, il ne voyoit que
lui. Quels regards! quelle tendre et proibnde mélancolie! (lu'U devoit être
boji celui qui s'étoit fait chérir ainsi de son esclav.-l quel<iue affreux que
fût .son sort, je I'enviois: comme il étoit aimé! et moi, par un retour sur
moi-même, je me disois: Pour satisfaire une orgiu-illcuse curiosité, me
voilà à mille lieues de mon pays; j'accompagne des braves, et je cherche
un ami; tandis que je m'afllige sur les vaincus, sur les vainqueurs, je vois
frapper la mort autour de moi; c'est toujours .sa faux que je rencontre
par-tout: hier j'étois avec des guerriers dont j'estimois la loyauté, dont
jadmivois la bravoure brillante; aujourd'hui j'accompagne leur convoi;
demain j'abandonnerai leurs restes sur une terre étrangère qui ne peut
plus être qiie funeste pour moi : tout à l'heure un jeune homme brillant
de santé et d'audacc bravoit l'ennemi qu'il alloit combattre; j e le vois attaquer
une porte meurtriere, il tombe; aux expressions du courage succèdent
les accents de la douleur; il appelle en vain; il se traîne, le feu le
gagne, se communique aux cartouches dont il est chargé; il n'a déjà plus
de forme, et cependant j'entends encore sa voix; et demain... demain son
emploi consolera de sa perte le compagnon qui le remplacera. 0 hom.ne,
où puiserez-vous donc des vertus, si le métier le plus noble cache encore
de si petites passions? Egoïsme cruel, que le malheur ne corrige point,
et qui devient atroce, parceque le danger ne permet plus de le cacher!
c'est à la guerre ([u'on peut vraiment le connoître et éprouver ses terribles
effets. Mais tournons nos regards vers le beau côté du métier.
Le 2 au matin, le général Belliard eut le bonheur d'avoir à pardonner
à ce qu'il avoit fait de prisonniers, de pouvoir les renvoyer en leur faisant
connoître notre générosité et la différence de nos coutumes. Plusieurs d'entre
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eux, émus de reconnoissance, les larmes aux yeux, demandoient à nous
suivre: les Mamelouks parurent encore; nous marchâmes à eux: c'étoit une
fausse attaque, pour donner à leurs chameaux le temps de faire de l'eau.
Débarrassés du sîege de la veille, nous les chassâmes jusqu'au désert: ce fut
alors que nous vîmes toutes leurs forces ras.semblécs ; elles consistoient en
mille chevaux, autant de chameaux, et environ deux mille ser\'iteurs à pied;
le reste étoit composé des Mekkains, qu'ils avoicnt si perfidement engagés
dans leiu' querelle, et si lâchement abandonnés. Nous crûmes d'abord qu'ils
alloient s'enfoncer dans le désert; mais ils resteront à mi-côte, mesurant leurs
mouvements sur les nôtres, ayant en arrière des gens à cheval, qui les avertissoient
par un coup de fusil, des haltes et des mouvements en avant que
nous faisions. Nous sentîmes mieux que jamais combien il étoit inuiile de les
poursuivre quand ils ne vouloient pas se battre, et l'impossibilité de les surprendre
dans un pays où il leur restoit de chaque côté du fleuve tjne
retraite toujours ouverte et toujours assurée tant qu'ils conserveroient la
supériorité de la cavalerie et qu'ils sauroient protéger leurs chameaux. Nous
abandonnâmes donc une poursuite inutile, et retournâmes sagement à la
garde de uos barques: le général Belliard passa le reste du jour à rassembler
et faîie charger ce qu'on avoit repris d'artillerie, munitions et ustensiles
de guerre.
C'est après l'accès qvie le malade sent ce que la fievi-e lui a enlevé de
forces. Tant que l'on avoit tiré sur nous avec notre poudre et nos boulets,
nous n'avions pas calculé ce qu'il falloit eu dépenser pour épuiser ou reprendre
celle qu'on nous avoit enlevée; mais, plus calmes, nous cojnptâmes
cent cinquante hommes hors de combat, c'est-îi-dire que nous avions joué
à une loterie oii chaque septieme billet étoit un billet ronge, et qu'ayant
fait en munitions la dépense des deux côtés, il nous en restoit à peine de
quoi fournir à un combat; enfin que le convoi qui devoit les remplacer
étoit détruit avec tous ceux qui dévoient le défendre; que nous étions
à cent cLiiquante lieues du Caire où on ne nous croyoit aucim besoin.
J'avois admire le courage tranquille du général Belliard pendant un combat
de trois jours et deux nuits, je ne fus pas moins édifié de son intelligence
administrative dans les heures qui suivirent cette action moins brillante
que périlleuse: la moindre imprudence auroit mis le comble au malheur
d'avoir perdu notre flotte; désastre que sa prudente intelligence n'avoit pu
réparei-, mais dont au moins clic avoit arrêté ce que les suites de cette
perte auroient pu avoir de désastreux.