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de l'agitation; il n'y avoit qu'um- partie (tes chevaliers en uniforme; ils se
dispntoient et n'agissoient plus.
Lo 23, à la pointe du jour, je retrouvai tout dans le même état où je
l'avois laissé: on cotitimia im feu lent et insignifiant. Bonaparte étoit revenu
à bord; le général Rcynier, qui s'étoit emparé du Gose, lui avoit
envoyé des prisonniers; après se les être fait nommer , il leur dit d'un ton
indigné: Puisque vous avez pu prendre les armes contre votre patrie, il
falloit savoir mourir; je ne veux point de vous pour prisonniers; vous
pouvez retourner à Malte tandis qu'elle ne m'appartient pas encore.
Une barque sortit du port; nous envoyâmes uu cauoi la héler, et la
conduire au général. Quand je vis cette petite barque portant à sa poupe
l'étendard de la religion, cheminant humblement sous ces remparts qui
avoient victoricuscmenl résiste deux années à toutes les forces de l'orient
commandées par le terril)le Dragus; quatid je me peignis cette masse de
gloire, acquise et conservée pendant des siecles, venant se briser contre
la fortune de Bonaparte, il me sembla entendre frémir les mânes des Lisle-
Adam, des Lavalettc, et j e crus voir le temps faire le plus illustre sacrilice
a la philosophie, de la plus auguste de toutes les illusions.
A onze heures, il se présenta une seconde barque avec le drapeau parlementaire
: c'étoient des chevaliers qui quittoient Malte; ils ne vouloient
point èlre comptés parmi ceux qui avoient tente de l'ésister. On put juger
par leurs discours <[ue les moyens des Maltais se réduisoient à peu de chose.
A quatre heures la Junon étoit à une demi-portée : j'observai tous les forts,
et j'y voyois moins d'hommes que de canons.
Les portes des forts étoient fermées; ils n'a voient plus de communication
avec la ville; ce ([ui faisoit voir la mcliancc et la mésintelligence (pii
existoient entre les habitants et les chevaliers, l.'aide-de-camp Junot fut
envoyé avec l'ultimatum du général. Queh[ues moments après «ne deputation
de douze commissaires maltais se rendit à VOrinu. Nous nous trouvions
pai •faitement vis-à-vis de la ville, percée du nord au sud, et dont
nous avions la vue dans toute la longueur des rues; elles étoient aussi
éclairées alors qu'elles avoient été obscures la uiiil <le notre arrivée.
Le 2/| au matin, nous apprîmes i(ue raide-de-camj) du général avoit ('té
reçu avec acclamation par les habitants. Avec ma lunette je distinguai (|ue
la grille qui fermoit le fort S.-Elme paroissoit assaillie par une multitude
de gens du peuple : ceux <jui étoient dedans étoient assis sur les parapets
des batteries sans proférer une parole, dans l'altitude de geus qui attetulenl
avec inquiétude. A onze heures et demie nous vimes partir de VOrwni la
barque parlementaire qui y étoit restée la nuit, et, en même temps, nous
reçûmes l'ordre d'arborer le grand pavillon; un moment après, on nous
signala que nous étions maîtres de Malte.
Cette isle devenoit une échelle entre notre pays et celui que nous
allions conquérir; elle achcvoit la conquête de la Méditerranée, et jamais
la France n'étoit arrivée à un si haut degré de puissance. A cinq heures
nos troupes entrèrent dans les forts, et furent saluées par la (lotte, de cinq
cents coups de canon.
Nous étions sortis les premiers de Toulon, nous entrâmes les derniers
à Malte; nous ne pûmes aller à terre que le aS au matin. Je connoissois
cette ville surprenante; je ne fus pas moins frappé, la seconde fois, de
l'aspect imposant (|ui la caractérise.
On hésite en géographie si l'on doh attacher Malte à l'Europe ou à
l'Afrique. La figure des Maltais, leur caractere moral, la couleur,, le langage,
doivent décider la question en faveur de l'Afrique.
Français et Maltais, tons étoient très surpris de se trouver sur le même
sol; chez nous c'étoit de l'enthousiasme, chez eux de la stupéfaction.
On délivra tous les esclaves turcs et arabes; jamais la joie ne fut prononcée
d'une maniéré plus expressive : lorsqu'ils rencontroient les Français,
la reconnoissance se peignoit dans leurs yeux d'une maniéré si touchante,
qu'à plusieurs reprises elle me fit verser des larmes ; ce fut un vrai bonheur
que j'éprouvai à Malte. Pour prendre une idée de leur extrême satisfaction
dans cette circonstance, il faut savoir que leur gouvernement ne les lachetoit
et ne les échangeoit jamais, que leur esclavage n'étoit adouci par aucim
espoir : ils ne pouvoient pas même rêver la fin de leurs peines.
J'allai chercher mes anciennes connoissances: je revis avec un plaisir
nouveau les belles peintures à fresque de Calabrese dont les voûtes de
l'église de S.-Jean sont décorées, le magnifique tableau de Michel-Ange-de-
Caravage, dans la sacristie de la même église. J'allai à la bibliothèque; et
j'y vis un vase étrusque, trouvé au Gose, de la plus belle espece et pour
la terre et pour la peinture. Je fis le dessin d'un vase de verre d'une très
grande proportion {voyez pl. ^, ii° 6), celui d'une lampe, trouvée de même
au Gose, celui encore d'une espece de disque votif en pierre, portant eu
bas-relief, sur l'une de ses faces, un spbynx avec la patte sur une tête de
hcMtir {voyez la planche fj, Jïgm-cs 5 ct-')\ le travail n'en est pas précieux,"
mais il y a trop de style pour laisser douter que ce morceau ne soit