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Une autre race d'homTnes, nombreuse en individus, a des trails caractéristiques
très prononcés; ce sont les Barahras ou gens d'en-haut, qui sont
des habitants de la Nubie, et des frontières de l'Abyssinie. Dans ces climats
brûlants, la nature avare leur a refusé tont superflu; ils n'ont ni graisse
a i eluiir, mais seulement des nerfs, des muscles, et des tendons, plus élastiques
que forts; ils font par activité et par lesteté ce qne les autres font
par puissance: ¡1 semble que l'aridité de leur sol ait pompé la portion do
substance que la nature leur devoit; lenr peau luisante est d'un noir transparent
et ardent, semblable absolument à la patine des bronzes de l'autre
siecle; ils ne ressemblent point du tout aux Negres de l'ouest de l'Afrique;
leurs yeux sont profonds et étincelants, sous un sourcil surbaissé; leurs
narines larges, avec le nez pointu, la bouebc évasée sans que les levres
soient grosses, les cheveux et la barbe rares et par petits flocons: ridés
de bonne heure, et restant toujours agiles, l'âge ne se prononce chez
eux qu'à la blancheur de la barbe; tout le reste du corps est grêle el
nerveux: leur physionomie est gaie; ils sont vifs et bons: on les emploie
le plus ordinairement à garder les magasins, et les chantiers de bois : ils
se vêtissent d'ime piece de laine blanche, gagnent peu, se nourrissent de
presque rien, et restent attachés et fideles à leurs maîtres ( voyez pL 107,
4 )•
T.e pèlerinage de la Mecke fait traverser l'Egypte à toutes les nations de
rAfri<]ue qui sont désignées sous le nom de Maugrabins, ou gens de l'ouest.
C'étoit le moment du retour de la caravane: Bonaparte, qui avoit fait tous
ses efforts pour la faire arriver complete au Caire, n'avoit pu empêcher
Tbrâhim-bey, qui se sauvoit en Syrie, d'arriver avant lui dans le désert, et
d'attaquer la caravane à Belbeis, d'en partager les trésors avec les Arabes et
l'émir Adgis, qui devoient la protéger; Ibrâhim-bey ne laissa passer jusqu'il
nous que les dévots Tnendiants, qui nous arriveront par pelotons de deux à
trois cents, composf's de toutes les nations d'Afrique, depuis Fez jusqu'à
Tripoli: ils étoient dans un tel état de fatigue qu'ils se ressembloient tous;
aussi maigres que les pays qu'ils vcnoient de traverser sont arides, ils
étoient aussi exténués que des prisonniers qu'on auroit oubliés dans les fers.
C'est rimpulsion, c'est le ressort de l'ojjinion qui rend sans d<nite l'homme
le j)lus fort de tous les animaux: quand on pense à l'espace que viennent
de parcourir ces péleiins, ii tout ee qu'ils ont <'n à souffrir dans cette
immense et terrible traversée, on reste convaincu qu'un but inoral peut
seul faire affronter tant de fatigues si dotilourcuses, <jue l'enthousiasme
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d'un sentiment pieux, que la considération attachée au titre d'adgis ou
pèlerins, que portent avec orgueil ceux qui font le voyage de la Mecke, sont
les leviers qui peuvent seuls mouvoir l'indolence orientale, et la porter à
une telle entreprise; il faut y ajouter cependant le droit que s'arrogent les
adgis de conter et faire croire le reste de leur vie aîix autres musiilmans
tout ce qu'ils ont pu voir, et tout ce qu'ils n'ont pas vu. Ne pourrois-je
pas être accusé d'un peu à'adgisme, dans le voyage que j'entreprends, et
de braver des difficultés pour faire partager mon enthousiasme? mais ma
propre curiosité rassure ma conscience; j'ai pour moi auprès des autres
le peu de séduction de mon style, et la naïveté de mes dessins : et si
tout cela ne suffît pas pour me cautionner, on pourra quelque jour ajouter
ma figure desséchée à celles des deux adgis (pie je donne ici {planche 107,
n° 6 et 7 ).
On nous avoit aussi envoyé quatorze Mamelouks prisonniers, dont sans
doute le quartier-général ne savoit que faire: je fus curieux de les observer,
sans réfléchir que ce n'est 2)oint une nation, mais un ramassis de gens de
tous les pays; aussi, dans le petit nombre de ceux qui nous arrivoient,
je n'en trouvai pas un qui eût une physionomie assez caractérisée pour
mériter d'être dessiné: il y avoit cependant des Mingreliens et des Géorgiens;
mais, soit que la nature les eût déshérités de ce qu'elle a départi
de beauté à leur contrée, soit que les femmes en soient dotées plus avantageusement,
j'attendis que d'autres individus m'en offrissent des traits plus
caractéristiques. J'ajournai aussi le plaisir de dessiner des Egyptiennes au
moment où notre influence sur les moeurs de l'orient pourroit lever le voile
dont elles se couvrent: mais quand même, ce qui n'est pas à présumer,
les hommes nous sacrifieroient leurs préjugés sur cet article, la coquetterie
des vieilles, plus scrupuleuses sur tout ce qui tient à l'honneur, exigeroit
encore long-temps de leurs jeunes compagnes l'austérité dont elles furent
victimes dans leur bel âge. Ce que j'ai pu remarquer, c'est que les filles
(jui ne sont point nubiles, et pour lesquelles la rigueur n'existe pas encore,
retracent assez en général les formes des statues égyptiennes de la déesse
Isis: les femmes du peuple, qui ont plus soin de se cacher le nez et la
bouche que toutes les autres parties du corps, découvrent à tout moment,
non des attraits, mais quelques beaux membres dispos, conservant un
à-plomb plus leste que voluptueux: dès que leurs gorges cessent de croître
elles commencent à tomber, et la gravitation est telle qu'il seroit difficile
de persuader jusqu'où quelques unes peuvent arriver: leur couleur, ni