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divisions à mesure quelles débarquoient, et, sans leur laisser le temps de
p r e n d r e des renseignements sur les lieux qu'elles alloient oeeuper. Un
oflicier, entre autres, disoit à sa troupe au moment du départ: Mes amis,
vous allez couelier à Béda; vous entendez: à Bcda; cela n'est pas plus difficile
que cela: marchons, mes amis, et les soldats marclierent. Il est sans
doute diflîcile de citer un trait plus frappant de naïveté d'une part et de
confiance de l'autre: c'est avec ce courage insouciant qii'on entreprend ce
que d'autres n'osent projeter, et qu'on exécute ce qui paroit inconcevable.
Plus curieux qu'étonnés ils arrivent à Béda, qu'ils dévoient croire un village
bâti, peuplé comme les nôtres; ils n'y trouvent qu'un puits comblé
de pierres, au travers desquelles distilloit un peu d'eau saumàtre et bourbeuse;
puisée avec des gobelets, elle leur fut distril)uée, comme de l'eaude
vie, à petite ration. Voilà la premiere étape de nos troupes dans une
a u t r e partie du monde, séparées de leur patrie par des mers couvertes
d ' e n n e m i s , et par des déserts mille fois plus redoutables encore; et cep
e n d a n t cette étrange position ne flétrit ni leur courage ni leur gaieté.
Si l'on veut avoir la mesure du despotisme domestique des orientaux, si
l'on ne craint pas de frémir de l'atrocité de la jalousie, quand elle a pour
appui un préjiigé reçu, et quand la religion absout de ses emportements,
q u ' o n lise l'anecdote suivante.
Le second jour de marche de nos troupes au déjjart d'Alexandrie, quelques
soklats rencontrerent, près de Béda, dans le déscrl, une jeune femme
le visage ensanglanté; elle tenoit d'une main un enfant en bas âge, et
l ' a u t r e main égarée alloit à la rencontre de l'objet qui pouvoit la frapper
o u la guider. Leur curiosité est excitée; ils appellent leur guide, qui leur
servoit en même temps il'interprete; ils approchent , ils entendent les soupirs
d'un être auquel on a arraché l'organe des larmes; une jeune feuune,
u n enfant au milieu d'un désert! Etonnés, curieux, ils questionnent : ils
a p p r e n n e n t que le spectacle affreux qu'ils ont sous les yeux est la suite
et l'effet d'une fureur jalouse : ce ne sont pas des murmures que la victime
ose exprimer, mais des prieres pour l'innocent qui partage son malheur,
et <[ui va périr de misere et de faim. Nos soldats, émus de pitié, lui donnent
aussitôt une part de leur ration, oubliant leur besoin près d'un besoin plus
p r e s s a n t ; ils se privent d'une eau rare dont ils vont manquer tout-à-fait,
lorsqu'ils voient arriver un furieux, qui de loin repais.saut ses regards du
spectacle de sa vengeance, suivoit de l'oeil ces victimes; il accoiut arracher
des mains de cette femme ce pain, cette eau, cette derniere source de vie
que la compassion vient d'accorder au malheur: Arrêtez! s'écrie-t-il; elle a
manqué à son honneur , elle a flétri le mien; cet enfant est mon opprobre,
il est le (ils du crime. Nos soldats veulent s'opposer à ce (ju'il la prive du
secours qu'ils viennent de lui donner; sa jalousie s'irrite de ce que l'objet
de sa fureur devient encore celui de l'attendrissemenl; il tire un poignard,
frappe la femme d'un coup mortel; saisit l'enfant, l'enleve, et l'écrase sur
le sol; puis, stupidement farouche, il reste immobile, regarde fixement
ceux qui t'environnent, et brave leur vengeance.
Je me suis informé s'il y avoit des lois répressives contre un abus d'autorité
aussi atroce; on m'a dit qu'il avoit mal fail de la poignarder, pareeque,
si Dieu n'avoit pas voulu qu'cdle mourût, au bout de; quarante jours on
auroit pu recevoir la malheureuse dans une maison, et la nourrir par
charité.
La division Kléber, commandée par Dugua, avoit pris la route de Rosette
pour protéger la flottille qui étoit entrée dans le Nil. L'armée acheva de
se mettre en marche, les 17 et i8 messidor, par Birket et Demenhour;
les Arabes en attaquent les avant-postes, en harcellent le resie; la mort
devient la peine du traîneur. Desaix est au moment d'être pris pour être
resté cinquante pas derrière la colonne; Le Mireur, ofïicier distingué, et
qui, par l'effet d'une distraction mélancolique, n'avoit pas répondu à l'invitation
qu'on lui avoit faite de se rapprocher, est assassiné à cent pas
des avant-postes; l'adjudant-général Galois est tué en portant un ordre du
général en chef; l'adjudant Delanau est fait prisonnier à quelques pas de
l'armée en traversant un ravin : on met un prix à sa rançon ; les Arabes
s'en disputent le partage, et, pour terminer le différent, brûlent la cervelle
à cet intéressant jeune homme.
I.es Mamelouks étoient venus au-devant de l 'armée française : la premiere
fois qu'elle les vit ce fut près de Demenhour; ils ne firent que la reconnoitre,
et cette apparition, ainsi que le combat insignifiant de Chebrcise,
donna leur mesure à nos soldats, et leur ôta cette émotion incertaine
qui tient de la terreur, et que donne toujours un ennemi inconnu. De
leur côté, n'ayant vu dans notre armée que de l'iafanterie, sorte d'arme
pour laquelle ils avoient un souverain mépris, ils emportèrent la certitude
d'une victoire aisée, et ne tourmenterent plus notre marche, déjà assez
pénible par sa longueur, par l'ardeur du climat, et les souffrances de la
soif et de la faim, auxquelles il faut encore ajouter les tourments d'un
espoir toujours trompé et toujours renaissant; en effet c'étoit sur des tas