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niodc-stemmt elles suivoient avec imc impassible résignation toiis o u x a qui
Vun après l'autre elles étoicnt adjugées, jusqu'à oe qu'enfin leur pere, leur
mari, ou leur ancien maître, sans prendre d'autres informations, vinssent
les racheter des derniers enchérisseurs beaucoup plus cher qu'elles ne leur
avoient coûté. Cela paroît tout d'abord ne pouvoir saecorder avec les moeurs
et la jalousie musulmanes; mais, ainsi que nous l'avons déjà observé, ils
disent à cela très sensément: Est-ce leur foute si nous n'avons pas su les
défendre?
Moarat-bey, qui par le désert étoit venu nous couper la communication
avec le Caire, vit attaquer et détruire ses alliés sans oser venir à leur secours;
il se contenta de se mettre en mesure pour nous tenir en échec sans
se compromettre; il temporisoit en attendant les circonstances; ce n'étoit
pohit encore pour lui le moment d'accepter ou de demander des conditions;
r i en ne pouvoit baser un traité entre nous: quel intérêt politique ou commercial
eut pu alors garantir respectivement une mutuel le bonne foi? accoutumé
d'ailleurs à voir sa fortune se relever par des événements imprévus, il
revoit des chances favorables; l'absence du général en chef, l'expédition
de Syrie qui avoit éloigné une partie de nos forces, quolqxies conspirations
ourdies, tout servoit à lui rendre de l'espoir; aussi cmployoit-il toute espccc
de moyens pour réchauffer les esprits et organiser des partis: il parvint à
persuader l'émir Adgi, cpii étoit au Caire, et qui devoit aller rejoindre le
général en chef en Syrie, de se composer un cortege assez considérable
pour tenter un coup de main dans la route, s'emparer de Belbéis, fermer
le retour à l'armée, el soulever l'Egypte contre nos forces partagées, nous
obliger à nous réunir, et à abandonner rEg>-pte supérieure. Ce plan assez,
beau en apparence ne produisit, faute de base solide, que la ruine de l'Adgi;
des mouvement s suspects découvrirent ses desseins; au moment d'être arrêté
par la garnison de Belbéis, il n'eut que le temps de se sauver par le désert
avec quelques uns des siens: cette mine éventée, le massacre de Bénéadi,
et îa seconde défaite à.Miniet de ceux qui s'en étoicnt échappés, déjouèrent
encore les projets de Mourat-bey, et l'obligerent à se retirer aux oasis.
En arrivant à K.éné, j'eus à regretter la mort d'un crocodile, que des
paysans avoient surpris endormi, qu'ils avoient lié et apporté vivant à
celui qui commandoit en l'absence du général Belliard; encore j<>une, cet
animal ne pouvoit être bien redoutable, on l'eut enchaîné avec un cen^le
de fer entre les épaules et le ventre, et alors nous eussions pu l'observer,
et connoitre ses habitudes, ignorées dans le pays même qu'il habile, tant
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ii y inspire de peur! et cette peur s'augmentant et se perpétuant par tous
les contes qu'elle-même enfante, il eût été si curieiix de voir conimeni
cet amphibie mangeoit, ce qu'il mangeoit, si la mastication lui est nécessaire,
comment elle s'effectue avec des dents qui sont toutes incisives, quelle
est l'action de son gosier qui lui sert de langue, si sa voracité pourroit
être un moyen de l'apprivoiser, ou bien, en lui laissant son caractère, de
tenter de le faire arriver vivant à Paris, de le livrer aux obsen-ations des
naturalistes, à k curiosité des Parisiens, enfin d'en faire un hommage à la
nation comme un trophée de la conquête du Nil. Errant perpétuellement
sur les rives de ce fleuve, j'en ai vu un grand nombre de toutes grandeurs,
depuis trois jusqu'à vingt-six ou vingt-huit pieds de longueur; plusieurs
officiers dignes de foi m'ont assuré eu avoir vu un de <)uaranl«î : ils nc>
sont pas aussi farouches qu'on le prétend; ils affectent certains parages
de préférence, ce qui prouve qu'ils vivent en famille; c'est sur les isles
basses qu'ils se montrent au soleil, dont ils paroissent chercher la chaleur;
on y en voit plusieurs à la fois, toujours immobiles, et le plus souvent endormis,
souvent au milieu des oiseaux, qui ne s'en inquiètent pas. De quoi
peuvent vivre de si grands animaux? On conte d'eux bien des histoires; mais
nous n'avons pas été témoins d'un seul fait; hnnlis jusqu'à l'imprudence,
nos soldats les bravoient; moi-même je me baignois tous les jours dans
le Nil; les iiuils plus tranquilles que me procuroient les l)ains me faisoient
passer sur de prétendus dangers qu'aucun événement ne rendoit
vraisemblables: s'ils ont mangé quelques cadavres que la guerre leur aura
procurés, ce mets ne devoit qu'exciter leur appétit, et les engager à une
chasse (fui pouvoit leur promettre une proie aussi friande; et cependant
nous n'avons jamais été attaqués, jamais nous n'avons rencontré un seul
crocodile éloigné du fleuve; il faut apparemment que le Nil leur fournisse
assez abondamment des proies faciles, qu'ils digèrent lentement, ayant,
comme le lézard et le serpent, le sang froid et l'estomac peu actif: au
reste, n'ayant it combat t r e dans la partie du Nil qui nous est connue <}u'euxniêmes
et les hommes, ils deviendroient bien redoutables pour ces derniers,
si, couverts comme ils le sont d'une arme défensive presque à l'épreuve de
toutes les nôtres, ils étoient adi'oits à se servir de celles que la nature leur
a données ])our attaquer. Lorsque je partis de Kéné, le général Belliard en
avoit un petit qui avoit six pouces; il étoit déjà méchant: ce général m'a
dit depuis qu'il avoit vécu quatre mois sans manger, sans paroitrc souffrir,
sans maigrir ni croître, et sans s'iipprivoiser.
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