effectivement, en suivant un large ravin, bientôt nous la vîmes se briser
contre les ressifs qui bordent la côte; ù Tborizon un broaiHard nous
indiqua celle d'Asie, trop éloignée cependant pour pouvoir jamais être
appcrçuc. Les Arabes Ababdes, qui nous avoicnt précédés, avoiont été on
avant avenir les habitants de Cosscir; et nous les vîmes revenir avec les
obcikhs de la ville et leur suite, précédés d'un troupeau de moutons,
premier présent de paix et d'iiommage; le costume eosséirien, qui est celui
de la Mckke, celui des Ababdes, dont une partie étoit nue avec une seule
draperie autour des reins, une lance à la main, et une dague attachée au
bras gauche, assis les jaml)cs croisées sur la selle élevée des dromadaires
élancés, tout cela formoit un ensemble qui avoit de la singularité et de l'intérêt;
les Mekkains, d'un maintien plus grave, coiffés comme des augures,
vêtus d'habits longs à larges raies, étoiejit montes sur de grands chameaux.
A la rencontre des différents corps tout le monde mit pied à terre; nos
troupes se mirent en bataille, et après une conférence amicale de quelques
minutes, nous allâmes tout d'un temps prendre possession du châtean, audessus
duquel flo ttoit déjà l'étendard blanc de la paix. Je m'étois figuré la ville
de Cosséir si affreuse, le château tellement en ruine, que j e trouvai la premiere
presque fastueuse, et l'autre .m fort; ccliii-ei est un édifice arabe bâti du
temps des califes, dans le style des fortifications d'Alexandrie, formant uti
<iuarré de quatic courtines, flanquées de quatre bastions, sans fossés; mais en
ajoutant une contrescarpe à ce qui existe, on en pourroit foire un cbAtcau
a résister aux batteries flottantes et aux forces qu'on peut débarquer au
fond de la mer Rouge; je ils un dessin dans lequel je rendis compte du
port, de la rade, de la ville, du phare, et du château, avec le tableau portrait
de notre rencontre avec les habitants ( />/• 8i , le lendemain
j'en iis un autre au revers, où l'on voit les brisants et les doubles ressifs
qui forment le port, le mettent à l'abri contre les vents du nord, et le
laissent ouvert à ceux de l'est et du sud-est {voyez pi 83, «"2); dans ce
second dessin on %-oit la chaîne des montagnes qui bordent la côte escarpée,
sans port, sans eaux, et déserte, dit-on, jusqu'à Babel-Mand<a. 11 seroit
intéressant d'aller y reconnoitre la rade de Bérénice, faite à grands fiais
par les Ptoloniées à (quarante lieues au sud, et abandonnée pour celle de
Cosséir, tpii ne peut cependant contenir qu'ini petit nombre de petits vaisseaux
marchands, la rade n'ayant souiement ([ue dc»ix brasses à deux brasses
,.t demie à sa plus gi'ande profondeur; on est obligé pour les chargements
de faire porter les marchandises à bras à cent cinquante pas de la rive,
de les déposer dans des chaloupes qui les conduisent enfin jusqu'au bâtiment
sur lequel elles doivent être chargées: avec tous ces inconvénients on est
d'abord tout étonné de trouver encore quelques agitations commerciales
sous les masures du chétif village de Cosséir: mais lorsqu'on pense que
c'est encore le meilleur port connu de la mer Rouge; que c'est celui qui
fournit le bled à la Mekke, et qui reçoit le café de l'Yémen; qu'il est le
point de contact de l'Asie et de l'Afrique, et pourroit devenir l'entrepôt des
marchandises de ces deux parties du monde, on s'étonne encore bien davantage
qu'un gouvernement puisse être si aveuglément dévorateur, de
n'avoir pensé qu'à imposer et vexer un commerce qui eût payé un si gros
intérêt des avances qu'on lui auroit faites, et de ne trouver à Cosséir ni
douanes, ni magasins, ni même une seule citerne. Lorsque nous arrivâmes
dans ce port, il n'y avoit d'eau que celle apportée d'Asie, et dont chaque
gobelet coùtoit un sou : l'activité de nos soldats leïir fit trouver des
sources en vingt-quatre heures; nous eûmes pour rien de l'eau meilleure
que celle que l'on vendoit si cher, à la vérité elle ne pouvoit étj-e gardée
ou chaufFée sans prendre une amertume presque insupportable; mais,
comme il est sur que l'eau existe aux environs de Cosséir, nous laissâmes
à la garnison qui y restoit, et à l'infatigable Douzelot qui alloit y commander,
l'espoir d'en trouver dans des lits de glaise qui ne seroit imprégnée
d'aucune siibstance acre et malfaisante.
La còte aux envii-ons de Cosséir est d'une pauvreté hideuse; mais la mer
y est riche en poissons, en coquillages et en coraux; ces derniers sont si nombreux,
qu'il est possible que ce soient eux qui aient donné le nom de ¡•OU^Î^C
à cette mer, tandis que le sable en est blane; les ressifs ne sont que coraux
et madrepores, ainsi que tous les rochers qui avoisinent les parages jusqu'à
une demi-lieue de la rive actuelk-; ce qui indiqueroit encore qu'à
cette rive la mer se retire ou que ses boi-ds s'élevent. J'aurois eu grand
plaisir à faire une collection de coquilles qui, au premier aspect, me parui'ent
aussi nombreuses que variées; mais quelques dessins à faire, et des soins
à prendre pour le retour, ne me laissèrent de libre que le temps d'aller faire
une course surl a côte avec les Arabes Ababdes, nos nouveaux alliés; je montai
de leurs dromadaires avec la selle à leur u.sagc, je fus ravi de la légèreté de
l'un, et de la commodité de l'autre: nous gagnâmes toute leur estime en
fai.sant avec eux des simulacres de charge, leur montrant assez de confiance
pour nous éloigner et ne revenir que de nuit à Cosséir, en courant
eniin comme eux jusqu'à faire une lieue en moins d'un quart-d'heure.