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domination tliéocratiquc; et, clans ce cas, j e ne verrois dans ce riche pays
de l'Egypte qu'un gouvernement mystérieux et sombre, des rois loibles,
u n peuple triste et malheureux.
L e 17, nous nous mîmes en route pour aller à la rencontre d'Osmanbcy,
que l'on disoit devoir pasSer le Nil à René. J'eus la douleur do traverser
remplacement de Thebes, et d'y éprouver encore plus de privation
que la premiere fois: sans mesurer une colonne, sans dessiner une vue,
sans approcher d'un seul monument, nous suivîmes les bords du Nil, également
éloignes des temples de Médinet-a-Bou, du Memnonium, des temples
de Gournoux, que je laissois à ma gauche, des temples de Luxor et de Karnaq,
que j e laissois à ma droite; des temples! encore des temples! toujours
des temples! et pas un vestige de ces cent portes si vaines et si fameuses,
point de murailles, point de quais ni de ponts, point de thermes, point
de théâtres, pas im édifice d'utilité ou de commodité publique: j'observois
avec soin, je cherchois même, et j e ne voyois que des temples, des murailles
couvertes d'cnihlemes obscurs, d'hiéroglyphes qui alLesloient l'ascendant
des prêtres qui sembloient dominer encore sur toutes ces ruines,
et dont l'empire obsédoit encore mon imagination.
Quatre villages et autant de hameaux, au Tnilieu de vastes cliRTnps, remplacent
maintenant cette ville incompréhensible, comme quchfues rejetons
sauvages rappellent Icxistenoc d'nn arbre célébré par la majesté de
son ombre ou la douceur de ses fruits. Quittant à regret ce sol fameux,
nous fîmes halte dans le faubourg de l'ouest, le quartier de la Nécropolis,
où je retrouvai les habitants de Gournoux, qui nous disputèrent encore
une fois l'entrée des tombeaux, devenus leur asyle; il eût fallu les tuer
pour leur apprendre que nous ne voulions pas leur faire de mal, et nous
n'avions pas le temps d'entamer la discussion: nous nous contentâmes de
les bloquer pendant un petit repas que nous fîmes sur l'emplacement de
leur retraite; j e profitai de ce moment pour dessiner le désert et les dehors
de ces habitacles de la mort ( voyez plunchr 42, n" !\ ). Vers le soir un de
nos espions nous rapporta que les Mekkains, unis à Osman-bey, nous
attendoient retranchés à Benlioutc, à trois lieues en avant de Kéné; qu'ils
avoient du canon, et étoient résolus à faire la guerre et à tenter une l)ataille;
ils ajoutei-ent qu'ils avoient arrêté plusieurs de nos l)arqucs sur le
N i l , et qu'après un combat opiniâtre, où beaucoup de paysans et de Mekkains
avoient été tués, les Vrançais avoient succombé sous le nondjre et
avoient été tous massacrés. Nous vînmes coucher sur les bords du fleuve:
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il falloit le traverser pour rencontrer l'ennemi; nous attendions nos barques
qui suivoîent. Nous vîmes à n'en pouvoir douter que nous étions
observés de l'autre rive; à chaque instant des cavaliers armés arrivoieut
et repartoicnt: nous fîmes une marche rétrograde pour rencontrer noli'e
convoi, que nous rejoignîmes bientôt; tout le reste de la jouriice fut employé
à notre passage, que nous effeetuianes à èl-Kamontéh, Le 19 \entose,
nous nous mîmes en marche; à notre arrivée à Kous on nous confirma le
récit de la veille.
K.OUS, placé à l'entrée de l'embouchure du désert qui conduit à Bérénice
et <à Cos s é i r , a encore ijuelque apparence du côté du sud ; ses immenses
plantations de melons, ses jai 'dins, assez abondants, doivent la faire i)aroître
délicieuse aux habitants des bords de la mer llouge, et aux voyageurs altérés
([ui v iennent de traverser le désert; elle a succédé àCopthos parson commerce
et par sa catholicité; car les Copthes en sont encore les plus nombreux habitants.
Leur zele vint nous donner tous les renseignemenls qu'ils avoient
pu recueillir; ils nous accompagnèrent de leurs personnes et de leuis voeux
jusqu'aux confins de leur territoire. Je fus frappé de l'intérêt sincci-e du
c h e i k h , qui, ci'Oyant que nous marchions à une mort assui'ée, nous donna
les avis les plus circoustanciés, sans nous cacher aucun de nos dangers,
nous prévint avec la plus parfaite intelligence sur tout ce ([ui pouvoît nous
les rendre moins funestes, nous suivit aussi loin qu'il put, et nous quitta
les larmes aux yeux. Desaix a v o i t été huit jours à Kous; il a v o i t beaucoup
v u le cheikh; et ce tendi'e intérêt que l'on nous témoignoit étoit un résultat
bien natuicl de l'idée avantageuse ([u'il avoit donnée de son caractere
loyal et communicatif, de cette équité douce et constante qui lui valut
dans la suite le surnom de jusU', le plus beau titre qu'ait jamais obtenu
un vainqueur, un étranger arrivé dans un j)ays poui- y porliîr la guerre.
Nous ne concevions rien à ces barques, à ce combat; nous étions bien
éloignés de deviner l'importance du rapport qu'on nous avoit fait: nous
n'étions plus qu'à quatre lieues de l'ennemi; une heure après avoir dépassé
Koiis nous vîmes à notre droite, au pied du désert, les ruines
de Copthos, fameuse dans le quatrième siecle par son commerec d'orient;
on ne reconnoît son ancienne splendeur qu'à la hauteur de la montagne
de décombres dont elle est entourée, et qui indique encore combien
étoit grand l'emplacement qu'elle occupoit. La ville antique est à présent
aussi seche et aussi déshabitée que le désert sur le boi'd duquel elle est
située,
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