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qui servoit (le demeure au kiaclief, lo lout crenclé, avec un cliemin couvert
crib-lé de meurtrieres : le kiaehef avoit émigré, ses satellites étoicnL
dispersés, et leurs maisons étoient pillées; les habitants des villages voisins
avoient saisi cette occasion de prendre une revanche.
A not r e seconde sortie nous allâmes à Meimound, village très riche, de
dix mille habitants; il est entouré, commc tous les autres, de monceaux
d ' o r d u r e s et de décombres, qui, dans an pays de plaine, forment autant
de montagnes d'où l'on découvre tout le pays d'alentour: aussi les crêtes
d e ces monticules sont-elles cliuque soir couvertes d'une partie des habit
a n t s , <iui, accroupis, y respirent l'air, fument leur pipe, et observent si la
p l a i n e est trau((uille. l/ineonvénient de ces cas d'ordures, c'est d'oiïusquer
les villages, de les rendre mal-sains en les privant d'aii-, d'empâter les yeux
des habitants d'une poussière fangeuse, niélée de brins de paille impercept
i b l e s , et d'être une des nombreuses causes des maux d'yeux dont l'Egypte
est affligée.
De Meimound nous allâmes à El-Eaffer, jol i village dans un excellent
p a y s : on y recueille de la gomme, connue sous le nom de gomme arab
i q u e , tirée de l'incision d'un mimosa, appelé épine égyptienne, ou cassie,
p o r t a n t des boutons d'or très odoriférants: on nous donna à El-Eaffer de
b e a u x chevaux et u n bon déjeûner. Nous découvrîmes de là Aboussir, Benn
i a l i , Dallaste, Bâcher, Taboueh, Bouch, Zcitoun, .^t Esehmend-cl-Arab.
Nous trouvâmes à El-Eaffer une douzaine d'Arabes campés hors du village:
j e dessinai la tente du chef, composée de neuf piquets, soutenant un mauvais
tissu de laine, sous lequel étoient Ions les meubles de son ménage,
c o n s i s t a n t en une natte, et un lapis de même étoffe que la tente; deux
sacs, l'un de bled pour le maître, et l'autre d'orge pour la jument ; une
g r a n d e jarre pour serrer les habits; u n moulin à bras pour faire la farine;
u n e cage à poulets, un vase à faire pondre les poules; des pots, enfin des
cafetieres et des tasses. Les femmes étoient hideuses, ainsi que les enfants
(voj-ez /;/. 54, II" r ) . De El-Eaffer nous vînmes à Benniali; on ne nous y
d o n n a rien: nous emmenâmes les cheikhs; et le lendemai n on nous amena
des chevaux, et on nous compta l'argent du miri. Je lis encore une vue de
Zaoyé à sa part i e sud {vojez pl. 25, /i" i ) , et laissai sans regret celte premiere
s t a t i o n pour aller joindr e Desaix, que je connoissois, que j 'aimois, que jo
n'allois plus quitter, et dont le sort des opérations ailoit être celui de mes
voyages. Nous partîmes de Zaoyé, et vînmes coucher à Chendaouych, en
l e p a s s a n t par Meimound et Benniali: les premiers arrivés a ce village en
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avoient trouvé les habi tant s armés; il en étoît ré.sulté u n mal-entendu pour
lequel il y avoit eu des coups de fusil tirés; plusieurs d'entre eux avoient été
t u é s : mais on s'étoit expliqué, et tout s'étoit arrangé. Un mcmient après
nous entendîmes de grands cris, qui nous parurent annoncer quelque terr
i b l e catastrophe, ou en être la suite; la hache de nos sapeurs avoit attenté
a u x branches seches d'un tronc pourri, qui avoit paru à nos soldats très
p r o p r e à faire bouillir la soiipe; et ce fut bien un autre grief que le
p r e m i e r .
La croyance dans un Etre suprême, quelques principes de morale, enfin
t o u t ce qui e.st raisonnable suffit à l'homme sage; mais aux passions de
l ' h o m m e ignorant il faut des divinités intermédiaires, des divinités grossières,
analogues à sa grossiere imagination, des divinités vicieuses, pour
ainsi dire, avec lesquelles il puisse traiter de ses habitudes vicieuses. La
r e l i g i o n de Mahomet, qui se réduit à des préceptes, ne peut donc suffire
à l'ignorance fantastique des Arabes; aussi, malgré leur aveugle respect
p o u r le koi-an, et leur obéissance absolue pour tout ce qui vient de leur
p r o p h e t e , malgré l'anatbeme prononcé contre tout ce qui s'en écarte, ils
n ' o n t pu se soustraire à l'hérésie, et au charme de l'idolàtiie: ils ont donc
aussi des saints, auxquels ils n'assignent point de place à part dans leur
p a r a d i s , où tout est commun, mais auxquels ils élevent des tombeaux,
et dont ils reverent la cendre; et ce qu'il y a d'étrangement s t u p i d e , c'est
que ces saints ne deviennent l'objet d<^ leur culte qu'après leur avoir servi
de risée piîiidant leur vie. Ils at tribuent aux pauvres d'esprit, quand ils sont
m o r t s , des pouvoirs et des influences: l'un est le pere de la lumière, et
" u é r i t le mal des yeux; un autre est le pere de la génération, et préside
a u x accouchements, etc., etc. l.a ])lupart de ces saints, accroupis à l'angle
d ' u n e muraille, ont passé leur vie à répéter sans cesse le mot ai/a/>, et à
recevoir sans reconnoissance ce qui a suffi à leur subsistance; d'autres à
se f rapper la tête avec des pierres; d'autres, couverts de chapelets, à chanter
des hymnes; d'autres enfin, tels que les fakirs, à rester immobiles, et absolument
nus, sans témoigner jamais la moindre sensation, et attendant
u n e aumône, qu'ils ne demandent point, et dont ils ne remercient jamais.
Outre .cette idolâtrie, il en est encore d'autres qui ont du rapport avec la
magie: ce sont, par exemple, des pierres, des arbres, qui recelent nn bon
o u un mauvais génie, et qui deviennent sacrés, dont on ue peut rien dél
a e h e r sans profanation, auxquels on va faire des confidences domestiques,
el communiquer ses projets; le culte en est mystérieux et secret, mais on
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