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et facilite. Il nous dit encore que dans la famille royale la succession étoit
élective, que c'étoient les cliefe militaires et civils qui choisissoient parmi
les fils du roi mort celui qu'ils jiigeoicnt le plus digne de lui succéder
au trône, et qu'il n'y avoit pas encore d'exemple que cela eût produit la
guerre civile. Tout ce qu'on vient de lire est mot pour mot le procè.s-verbal
de l'interrogatoire que nous fimes subir à cet étrange prince: il ajouta que
nous avions inliniment de choses à fournir à l'Afrique; que nous la rendrions
très volontairement notre tributaire, sans nuire au commerce qu'ils
avoient à faire eux-mêmes, et que nous les attacherions à nos intérêts par
tous leurs besoins, et par l'exportation de tout le superflu de nos productions;
que le commerce de i'Inde se feroit de mémo par la Mekke, en
prenant cette ville ou celle de Cosseïr pour entrepôt commun, comme Alep
j'étoit pour celui des états musulmans, malgré la longueur des marches qu'il
falloit faire de chaque côté pour arriver à ce point de contact,
Nous attendions tes barques qui devoient suivre notre marche, et qui
portoient nos vivres, nos munitions, et la chaussure de nos soldats: le vent
avoit été toujours favorable contre l'ordinaire en cette saison; et cependant
les barques n'arrivoient jwint : nous avions dépéché divers exprès pour
prendre des informations; les premiers avoient péri dans la traversée des
villages révoltés; les autres ne reparoissant plus, notre belle .saison .se perdoit
dans l'inaction ; le pays pouvoit croire que nous prenions peur des MainelouLs,
et ce préjugé égarer de nouveau les paysans: ils refu.soient dcja de
payer le miri, et ils disoient pour raison: Il doit y avoir bataille; nous
paierons au vainqueur.
Le 19 frimaire, dixieine jour de notre arrivée, le général Desaix se détermina
à envoyer sa cavalerie jusqu'à Siouth, pour savoir définitivement ce
qu'étoit devenu son convoi maritime; on avoit envoyé on avant de Girgé
u n bataillon à Bardis pour chercher des vivres; rofficier qui le commandoit
nous fit dire, le 19 au soir, qu'il se répandoit qu&le 21 les Mamelouks
se mettroient en marche de Haii pour arriver le 23, et qu'ils vouloicnt
en venir à une bataille: cette nouvelle étoit confirmée de toutes parts; et
quoique Desaix ne fût pas convaincu de cette bonne fortune, il se trouva
dans le cas de reprocher encore à notre marine de le priver de notre cavalerie,
qui le laisseroit sans moyen de profiter de la victoire, s'il y en
avoit une; car la simple infanterie ne pouvoit avec les Mamelouks qu'accepter
le combat, sans jamais les y forcer ni le prolonger.
Un autre fléau dont nous étions travaillés, c'étoit une volerie perpétuelle,
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et organisée de telle sorte qu'aucune rigueur militaire ne pouvoit en défendre
nos armes et nos chevaux. Chaque nuit les habitants entroient dans
nos camps comme des rats, et en sortoient comme des chauve-souris,
emportant presque toujours leur proie. On en avoit surpris qui avoient
été sacrifiés au premier mouvement de la rage du soldat: on espéra que
cette rigueur feroit quelque sensation; la garde fut doublée; et le jour même
on prit deux des forges de l'artillerie: on saisit les voleurs, qui furent fusilles.
Dans la nuit qui suivit cette exécution les chevaux de l'aide-de camp
du général de la cavalerie furent volés : le général gagea qu'on ne le voleroit
jjas ; le lendemain on lui enleva son cheval, et l'on avoit démoli un 7nur
pour le surprendre lui-même, si le jour ne fût venu à son secours.
T.e 20, nous sûmes que Mourat-bey invitoit les cheikhs arabes des villages
soumis à uiarcher contre nous, leur donnant rendez-vous à Gii-gé.
Le 22, jour où il devoit nous attaquer, plusieurs nous envoyèrent leur
l e t t r e, en nous faisant dire qu'ils restoicnt fideles au traité, et notis dénoncèrent
ceux qtii avoient promis de marcher; mais la rencontre que
ceux-ci avoient faite de notre cavalerie avoit déconcerté leurs pi'ojets.
Le 21, le temps fut couvert, et nous en souffrîmes comme d'un jour
d'hiver assez rude, quoiqu'il eût été un de nos fort beaux jours d'avril; tant
il est vrai que l'absence du bien sur lequel on a compté est déjà un mal!
j e vis cependant dans cette effroyable journée une treille de vigne vcr!c
comme au mois de juillet ; les feuilles ne font ici que se durcir, rougir, et
sécher, pondant que le bout de la branche renouvelle perpétuellement sa
verdure; les pois-grimpants font la même chose; la tige en devient ligneuse :
j'en ai vu qui avoient quarante pieds de haut, et atteignoient au sommet
des arbres.
Nous sûmes qu'il étoit arrivé de la Mekke par Cosseïr une quantité
innombi-able de fantassins pour se joindre à Mourat-bey, et qu'ils étoiem
en marche pour venir nous attaquer.
Le 23, nous apprîmes que noire cavalerie avoit rencontré un rassemblement
à Mensbielb, avoit sabré mille de ces égarés, et avoit poursuivi son
chemin; leçon rien moins que fraternelle, mais que notre position rendoit
peut-être nécessaire: cette province, qui, de tout temps l'évoltée, avoit la
réputation d'être terrible, avoit besoin d'apprendre que ce n'étoit pas lorsqu'elle
se mcsuroit conti'e nous; nous avions d'ailleurs à leur cacher que
nos moyens étoient petits et disséminés; peut-être falloit-il encore qu'ils
nous crussent aussi vindicatifs que cléments; peut-être enlin, n'ayant pas