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Eti revenant au fond du port par le bord de la mer, on trouve des débris
de fabriques de tous les temps, également maltraités par la vague et
par les siecles. On v distingue des restes de bains, dont il existe encore
plusieurs chambres, fabriquées postérietirement dans des murailles plus
anciennes. Ces fabriques me parurent arabes; et pour les conserver on a
fait une espece de pilotis en colonnes, qui ressemblent maintenant à des
batteries rasantes; leur nombre immense prouve combien etoicnt magnifiques
les palais qu'elles ont décorés. Lorsqu'on a dépassé le fond du port,
on trouve de grandes fabriques sarrasines, qui ont quelques détails de
magnificence et d'un mélange de goi'it qui embarrasse l'observateur : des
frises, ornées de triglypbes doriques, surmontées de voiites à ogives, doivent
faire croire que ces fabriques ont été construites de fragments antiques
que les Sarrasins ont mêlés au goût de leur architecture. I.es portes de ces
édifices peuvent donner la mesure de l'indestructibilité du bois do sicomore,
qui est resté dans son entier, tandis que le fer dont elles étoient
revêtues a cédé au temps et a disparu cntièremcnL. Derrière cette espeee
de forteresse sont des thermes arabes, décorés de toutes sortes de détails de
magnificence ; nos soldats, qui les avoient trouvés tout chauffés, s'y étoient
établis pour faire leur lessive, et en avoient suspendu l'usage. Je renvoie
donc à un autre moment la description des bains de cette espece, et à
celle qu'en a faite Savary, l'idée de volupté qu'on en doit prendre.
Auprès de ces bains est une des principales mosquées, autrefois une
primitive église sous le nom de S.-Athanase. Cet édifice, aussi délabré que
magnifique, peut donner une idée de l'incurie des Turcs pour les objets
dont ils sont le plus jaloux. Avant notre arrivée ils n'en laissoient pas
approcher un chrétien, et préféroient y avoir une garde plutôt que d'en
raccommoder les portes : dans l'état où nous les avons trouvées elles ne
pouvoient ni fermer ni rouler sur leurs gonds.
Au milieu de la cour de cette mosquée un petit temple octogone renferme
une cuve de breche égyptienne d'une beauté incomparable, soit par
sa nature, soit par les innombrables figures hiérogh-phiqnes dont elle est
couverte en-dedans comme en-dehors; ce monument, <[ui est sans doute
un sarcophage de l'antique Egypte, sera peut-être illustré par des volumes
de dissertations. Il eût fallu un mois pour en dessiner les détails; je n'eus
que le temps d'en prendre la forme générale, dont on peut voir le trait
(f/anc/ir 9, «"3); et je dois ajouter qu'il peut être regardé comme un des
morceaux les plus précieux de l'antiquité, et une des premieres dépouilles
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de l'Egypte, dont il seroit à désirer que nous pussions enrichir un de nos
musées. Mon enthousiasme fut partagé par Dolomieux lorsque nous découvrîmes
ensemble ce précieux monument.
Ce fut des galeries du minaret de cette mosquée que je fis le dessin
{n" k,planche 10) où l'on voit à vol d'oiseau tout le développement du port
neuf. Tout près de la mosquée sont trois colonnes debout {voyezpl 10,
n" I ) , dont aucun voyageur n'a parlé. Il seroit intércs.sant de fouiller a
leur base: au fini du travail de ces colonnes ou peut juger qu'elles ont fait
partie de quelques monuments antiques; mais leur espacement exagéré
doit faire penser qu'elles ne sont pas placées à leur deslination primitive:
quoi qu'il en soit, elles sont les restes d'un grand et magnifique édifice. -
Nous allâmes de là jusqu'il la porte de Rosette, (jui est fortifiée, et où
s'étoient défendus les Turcs lors de notre arrivée. Un groupe de maisons
y forme one espece de bourg, qui laisse un espace vuide d'une demi-lieue
entre cette partie de la ville et celle qui avoisine les ])orts. Toutes les horreurs
de la guerre existoient encore dans ce quartier. J'y lis une rencontre
qui m'ofiHt le plus frappant de tous les contrastes: une jeune femme,
blanche et d'un coloris de roses, au milieu des morts et des débris, étoit
assise sur lui catalcete encore tout sanglant; c'étoit l'image de l'ange de la
résurrection: lorsqu'attiré par un sentiment de compassion je lui témoignai
ma surprise de la trouver si isolée, elle me répondit avec une douce ingéiuiité
qu'elle atteiidoit son mari pour aller coucher dans le désert; ce
n'étoit encore qu'un mot pour elle, elle y alloit coucher comme à un
autre gite. On peut juger par-là du sort qui attendoit les femmes auxquelles
l'amour a^oit donné le courage de suivre leurs maris dans cette
expédition.
La plupart des divisions, en descendant du navire, n'avoient fait que
U-averser Alexandrie pour aller camper dans le désert. Il fallut s'occuper
aussi d'abandonner Alexamirie, ce point si important dans l'histoire, où
les monuments de toutes les époques, où les débris des arts de tant de
nations sont entassés pèle-mèle, et où les ravages des guerres, des siecles,
et d'un climat humide et salin, ont apporté plus de changement et de
destruction qu'en aucune autre partie de TEgjpte.
Bonaparte, qui s'étoit emparé d'Alexandrie avec la même rapidité que
S. Louis avoit pris Damiette, n'y commit pas la même faute: sans donner
le temps à l'ennemi de se reconnoitre, et à ses troupes celui de voir la
pénurie d'Alexandrie et son âpre territoire, il fit mettre en marche les