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i cme t en marche. Pendant ce temps, Mourat-bcy avoit fait venir à son armée
un inconnu qui rcpandoit la nouvelle que les Anglais avoient détruit ce
qu'il y avoit de Français à Alexandrie, que les habitants du Caire avoient
massacré ceux qui occupoient cette ville, enfin qu'il ne rcstoit en Egypte
que cette poignée de soldats, que l'on avoit vu fuir la veille, et que l'on alloit
anéantir: il y eut une féte ordonnée, et dans cette fête un simulacre de
combat, où les Arabes représentant les Tranoais, avoient ordre de se laisser
vaincre; la fête se termina à la maniéré des cannibales, c'est-à-dire qu'ils
massacrerent les deux prisonniers qu'ils avoient faits deux jour s auparavant.
Desaix avoit appris que Mourat étoit à Sediman, qu'il s'ébranloit pour le
joindre et lui livrer bataille; il résolut de l'attaquer lui-iiième: dès que nous
eûmes quitté le pays couvert et cultivé, et que sur une surface unie l'oeil
put nous compter, des cris d'une joie féroce se (ireut entendre; mais la
journée étoit avancée, les ennemis remirent au lendemain une victoire qu'ils
croyoient assurée. La nuit se passa en fêtes dans leur camp; leurs patrouilles
venoient dans les ténebres insulter nos avant-postes en contrefaisant notre
langage. Au premier rayon du jour, on se forma en bataillon quarré avec deux
pelotons aux lianes; peu de temps après, on vit Mourat-bey à la tète de ses redoutables
Macnclouks et huit à dix mille Arabes, couvrant vis-à-vis de nous
un horizon d'une lieue d'étendue. Une vallée séparoit les deux armées; il
falloit la franchir pour attaquer ceux qui nous attendoicnt; à peine nous
voient-ils engagés dans cette position désavantageuse qu'ils nous enveloppent
de toutes parts, et nous chargent avec une bravoure qui tenoit de la fuiw,ar:
notre masse pressée rend leur nombre inutile; notre raousqueterie les foudroie,
et repousse leur premiere attaque: ils s'arrêtent, se replient comme
poiu- prendre du champ, et tombent tons à la fois sur un de nos pelotons;
il en est écrasé; tout ce qui n'est pas tué, par un mouvement spontanée se
jette à terre: ce mouvement démasque l'ennemi pour notre grand quarré;
il en profite et le foudroie: ce coup de feu l'arrête de nouveau, et le fait
encore se replier. Ce ([ui reste du peloton rentre dans les rangs; on rassemble
les blessés. Nous sommes de nouveau attaqués en masse, non plus
avec les cris de victoire, mais avec ceux de la rage: la valeur est égale des
deux côtés; ils avoient celle de l'espérance, nous avions celle de l'indignation;
nos canons de fusils sont entamés de leurs coups de sabres; leurs
chevaux sont précipités contre nos files, qui n'en sont point ébranlées; ces
animaux reculent à la vue de nos baïonnettes; leurs maîtres les poussent
tournés en arriéré, dans l'espoir d'ouvrir nos rangs à force de ruades: nos
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gens, qui savent que'leur salut est dans l'unité de leurs efforts, se pressent
sans désordre, attaquent sans s'engager; le carnage est par-tout, et il n'y
a point de mêlée: les tentatives impuissantes des Mamelouks excitent en
eux un délire de fureur; ils lancent contre nous les armes qui n'ont pu
autrement nous atteindre, et, comme si ce combat dût être le dernier, nous
les voyons jeter fusils, trouiblons, pistolets, liaehes, et masses d'armes; le
sol en est jouché. Ceux qui sont démontés se traînent sous les baïonnettes,
et viennent chercher avec leur sabre les jambes de nos soldats; le mourant
rassemble sa force, et lutte encore contre le mourant, et leur sang, qui
se mêle en abreuvant la .poussière, n'a pas appaisé leur aniinosité. Un des
nôtres, renversé, avoit joint un Mamelouk expirant, et l'égorgeoil; un oflicier
lui dit: Comment, en l'état oii tu es, peux-tu commettre une pareille
horreur? "Vous en parlez bien à votre aise, vous, lui dit-il, mais moi, qui
n'ai plus qu'un moment à vivre, il faut bien que je jouisse un peu.
Les ennemis avoient suspendu leur attaque; ils nous avoient tué bien
du monde; mais en se repliant ils n'avoieut pas fui, et notre position n'étoit
pas devenue plus avantageuse: à peine s'étoient-ils retirés, que, nous laissant
à découvert, ils firent jouer une batterie de huit canons, .pi'ils avoient
masquée, et qui, à cha((ue déchai'ge, emportoit six à huit des nôtres. Il
y eut un moment de consternation et de stupeur; le nombre des blessés
augmentoit à chaque instant. Ordonner la retraite étoit rendre le courage
à l'ennemi et s'exposer à toute sorte de dangers; différer étoit accroître
inutilement le mal et s'exposer à périr tous: pour marcher il falloit abandonner
les blessés, et les abandonner étoit les livrer à une mort assurée; circonstance
affreuse dans toutes les guerres, et sur-touL dans la guerre atroce
que nous faisions! Comment donner un ordre? Desaix, l'ame brisée, reste
immobile un instant: l'intérêt général commanda; la voix de la nécessité
couvrit les cris des malheureux ¡)lessés, et l'on marcha. Nous n'avions à
choisir qu'entre la victoire ou une destruction totale; celte situation extrême
avoit tellement rapproché tous les intérêts, que l'armée n'étoit plus qu'un
individu, et que pour citer les braves il faudroit nommer tous ceux qui la
composoient; notre artillerie légère, commandée par le l)ouillant Tournerie,
(it des prodiges d'adresse'et de célérité; et tandis qu'elle démonte en courant
quelques canons des Mamelouks, nos grenadiers arrivent; la batterie
est abandonnée; cette cavalerie à l'instant s'étonne, s'ébranle, se replie,
s'éloigne, et disparoit couime une vapeur; cette masse décuple de forces
s'évanouit, et nous laisse sans ennemis.
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