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douze à quinze heures de suite; nous ne causions pas, nous rêvions tout
haut; et souvent, après ces séances si longues, nous nous disions : Combien
nous aurons de choses à nous dire le reste de notre vie! Que d'idées administratives,
sages, philanthropiques, arrivoient à son ame quand le son
de la trompctLe ou le roulement du tambour cessoient de lui donner la
iievre guerriere. Que de notes intéressantes me fourniroit aujourd'hui son
étonnante mémoire! avec quel avantage j e le con su lté rois ! avec quel intérêt
il vcrroit mon ouvrage, qu'il auroit regardé comme le sien! En s'éloignant
de moi pour quelques moments, il sembloit qu'il voulût par degrés maccoutumer
à le quitter.
J'allai avec le général Bclliard prendre possession du gonverncmcnt
de Syene. Tendant mon séjour dans celte ville, mes dessins vont suppléer
à mon journal et le remplacer.
Je fis (l'abord la vue que je viens de décrire, qui est une espece de carte
à vol d'oiseau, dans laquelle on peut voir d'un coup-d'oeil le tableau général
du pays, l'entrée du Nil dans l'Egypte traversant le banc de granit qui forme
ses dcmieres cataractes, l'isle Elephant ine entre Contra-Syene et Syene, les
monuments de cette ville, dans lesquelles on peut distinguer les diverses
époques, ou plutôt les périodes de son existence. Les ruines de sa premiere
antiquité se font facilement reconnoitre; ce devoit être alors une cité bien
considérable, si les édifices de droite et de gauche du Nil et ceux d'Eléphantine
ne formoient qu'une même ville, comme on doit le croire, puisqu'ils
ne sont séparés que par le tlenve, qui en cet endroit est plus profond que
large: les ruines arabes sont groupées sur un rocher à Test; au bas, sont
des monuments romains, que l'on retrouve aussi des fabriques dans l'isle
Elephantine: à tout cela a succédé un grand village, mieux bâti, avec des
rues plus droites que les villages ordinaires; ce que l'on doit attribuer a
la présence de la pierre et à la quantité des anciens matériaux. Au milieu,
est un château turc masqué de tous côtés, et qui ne peut être d'aucune
défense.
Dans mes premieres promenades, je dessinai les prolils des objets dont
j'avois fait la carte ( j.ojrz /;/. 6',, « " a ) ; et me rapprochant du rocher sur
lequel étoit l'ancienne ville arabe, je fis celui de l'isle p:iéphantinc et de
ses monuments, dont on peut voir le gisement avant d'en coiinoitre les
détails ( mi me planchf n" 3 ).
Nous employâmes nos premiers moments à nous établir: nous avions
un assez beau quartier; c'étoit la maison du kiachef, bâtie en pierre, avec
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un étage, des terrasses, et des appartements voûtés: nous fímes des lits,
des tables, des bancs; se déshabiller, s'asseoir et se coucher me parut de
la mollesse, une véritable volupté: les soldats en firent de même. Le second
jour de notre établissement il y avoit déjà dans les rues de Syene des
tailleurs, des cordonniers, des orfevres, des barbiers français avec leur
enseigne; des traiteurs et des restaurateurs à prix fixe. La station d'une
année 'offre le tableau du déveloi)pcment le plus rapide des ressources de
rindiistrie; chaque individu met en oeuvre .tous ses moyens pour le bien
de la société: mais ce qui caractérise particulièrement une armée française,
c'est d'établir le superflu en même temps et avec le même soin que le
nécessaire; il y avoit jardins, cafés, et jeux publics, avec des cartes faites
à Syene. Au sortir du village une allée d'arbres alignés se dirigeoit au nord;
les soldats y mirent une colonne mil 11 a i r ^ avec l'inscription, Routr dr
Paris, /i° onze, ccnt soixante-sept milles trois ccnts qunrantp: c'étoit quelques
jours après avoir reçu une distribution de dattes pour toute ration qu'ils
avoient des idées si plaisantes ou si philosophiques. La mort seule peut
mettre un terme a tant de bravoure et de gaieté; les plus grands malheurs
n'y peuvent rien.
De ce côté du ilcnve il n'y a d'autre reste de la ville égyptienne qu'un
petit temple quarré entouré d'une galerie, mais si détruite et si informe,
<|u'on n'y voit plus (jiie l'embrasure de deux eutrecolonnements, avec les
chapiteaux, et une petite partie de l'euiablement: ce fragment est ce que
Savari, qui confesse n'être pas venu à Syene, indique sur parole comme
pouvant être les restes de l'observatoire, dans lequel il faut, selon lui,
chercher le nilomctre. J'ai fait le dessin pariiculier de cette petite ruine,
pour détruire une erreur dont on ne peut accuser notre ardent et élégant
voyageur, qui a tout cherché, tout indiqué, et qui sou\cnl a j)eiiu merveilleusement
même ce qu'il n'avoit pas vu ( i/ojrz pl. 06, n" i ).
Près de cette ruine, parmi les palmiers, sont des fragments d'un édifice
qu'il faut, j e crois, donner à la catholicité grecque; on voit encore debout
deux colonnes de granit, deux chainbraiilcs de même matiere, et des
colonnes groupées contre deux faces d'un seul pilastre, ces deux derniers
morceaux sont renversés.
L'isle d'Eléphantine devint tout à la fois ma maison de campagne, mon
lieu de délices, d'observation, et de l'ccherehes; je crois y avoir retourné
toutes les pierres, et questionné tous les rochers qui la composent: c'étoit
à sa partie sud qu'étoit la ville égyptienne et les habitations romaines et
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