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dite : il faîîoit tromper la vigilance d*une nation 1
■ jaioufe d'une propriété dont elle joüiffoit exclnfi-
vement ; il fall-ok former des fiai-fons, infpirer de
la confianceoblervcr la culture du nopal, fe procurer
l'infecte précieux avec la plante qui fort à
fon éducation} il falloir enfin pouvoir enlever l’itn
te l’autre fans être découvert, te les conferver
pendant la traversée , jufqu’à ce qu’ils tufisnt arrivés
à leur deftination.
Thferÿ, doué d’une-activité qui animoit fon
courage, te d’une conftitutiou robufle qui le ren-
doit propre à foutenir les fatigues de cette entreprise
, avoit prévu tous les obftacles qu’il rencontrer
oit fans en être effrayé 5 il ne voyageoit pref-
que jamais qu’ à pied : cfeft ainfi- qu’il parcourut
plufieurs provinces du Mexique, te qu’il parvint
jufqu’à Guaxaca , où il vit avec tranfport les plus-
belles plantations de nopal couvertes de cochenilles
: il eut l’adreffe d’en'acheter d’un propriétaire
nègre, fous le prétexte1 qu’étant médecin , il
en avoir befoin pour taire un onguent pour la
goutte. Lorlquil s’en vit poffelfeur, « J’a vois *
dit-il, un battement de coeur que ne faurois
rendre 5 il nie fembloit que je venois d’enlever la
toîfbn d’or } mais je eroÿôis aulfi avoir à ma pour-
fuite le dragon furieux prepové à fa garde. Tout:
le long du chemin je répétois ce beau vers :
F.niïa, il^ft en ma puiffance.
Je î’aurois volontiers chanté fi je n'avois pas eu
peur d’être entendu. J’arrivai tout hors d’haleine,
fans avoir rencontré une feule perfonne dans les
rues. L’aurore eommençoit à poindre} mais perforais
n étoit encore éveillé dans la maifon. Je
m’enfermai dans ma chambre, te là j’arrangeai
avec un contentement inexprimable, te le plus
délicatement qu’il fut poffible, mes chers nopals
dans deux dé mes petites caiffes..... Ainfi, à cinq
'heures du marin je me trouvois poffelfeur d*une
belle charge de cochenille , que perfonne ne m’a-
voit vu acheter ni emballer. Le Nègre qui me
Tavok vendue étoit un homme fimple te honnête,
te les Indiens, que je payai bien, en leur
recommandant le fecret fur ma courfe du matin ,
ignoroient de qtrel précieux dépôt je les avois
chargés. Bien tranquille fur ce point, j’allai jouir
fous des orangers qui étoient dans la cour, & du
frais , & de ma bonne fortune , en attendant le
réveil démon hôte. Jamais le ciel nem’avoit paru
fi beau, ni le climat fi agréable. La veille je ne
voyois que des monftres} ce jour-là, tout fe peignoir
en beau à mes yeux, te me permettoit de
me livrer aux plus douces réflexions. »
J’ai rapporté à deffein les propres exprefîions
de Thiery, Comme une preuve du fentiment de
bonheur qui pénètre l ’ame de l’honnête citoyen
qui parvient à rendre à fa patrie un fervice important
, & dont il trouve dans fa confeience la
plus douce récompenfe. Ce fut en tâchant de mériter
h bienveillance de quelques Indiens te de
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quelques Noirs qui cultivoient le nopal, te Tut
en vivant avec ces hommes, auxquels il étoit dangereux
de découvrir trop tôt un d : fie in qui pott-
voit compromettre fa liberté te fa vie, que Thietÿ
parvint à fe procurer les deux efpèces de cochenille
, dont il avoit appris à diliinguer la nature,
la conilitution , les caractères, les-habitudes, lies
époques d'exillence, te us lés procédés qui conviennent
à leur culture ; enfin , la différence qui
exifte entre la cochenille fixe ou mefieque, te la
cochenille filvefire. Mais après cet heureux faccès,
il rettoic encore bien des difficultés te des dangers
à éviter ; il falloir tranfporter ces caiffes de
nopals de l’intérieur des terres jufque fur les bords
de la mer ; il fai l oit échapper aux vifites Se à l’oeil
furveillaht des douaniers de l’Efpagne. Son intrépidité,
fa pr-ëfonce d’ efprit, le fauvent de tous
ces dangers. Il s'embarque pour revenir à Saint-
Domingue; mais contrarié par une traversée ora-
geule, il eil expofë à de nouveaux dangers : ils
turent bien moins alarmans pour lui , que la
crainte de perdre le fruit de fon pénible voyage
par le dépériffement de fès nopals te de la cochenille.
Il arrive enfin au môle Saint-Nicolas en
1778, fier de fa conquête : fon triomphe étoit
femblable à "celui d’un guerrier plein d’audace,
qui foi e d’une expédition dangereufè : il pourvoit
à la fûreté de fa nouvelle colonie, te s’occupe à
chercher dans ce lieu un terrain où il puiffe la
faire profpérer ; il en tranfporca également tafu
Port-au-Prince , où le nopal te la cochenille fine
fe multiplièrent par les foins. Il avoit employé fes
forée* j fa jeuneffe te fon activité à fervir fa patrie
; il méritoit fa reconnoiffance » il l’obtint.
L’Académie des fciences l’admit dans fon foin.
Le gouvernement lui accorda le titre de bota-
mfte du Roi , avec 6000 livres de pénfion. Le
refte de fes jours, qui malheureufement furent
trop courts , fut eonfacré à la culture du nopal
& à l’éducation de la cochenille. Il fut atteint
au milieu de fes grands travaux, te par excès de
fatigue, d’une fièvre maligne, à laquelle il fuc-
eomba en 1780, te par un autre malheur non
moins affligeant, la cochenille fine fut perdue peu
de tems après fa mort. U paroît qu’il éprouva de
grands chagrins dans les dernières années de fa
v ie , te qu’il nè fut pas autant aidé dans fes pto-
jets qu’il le defiroit. « Mon féjour dans cette colonie
, écrivoit-il au général te à l’intendant de
Saint-Domingue , me devient de jour en jour plus
pénible. A des travaux forcés fe joignent des be-
foins toujours augmentant : mes bras peuvent à
peine écarter la mifère ; plufieurs maladies font
furvenues te ont altéré ma fafité; dés vols m’ont
été faits ; on m’a fufcité des procès ; la calomnie
furvient encore, te cherche à foülever la force
pour m’opprimer. Rien ne me dédommage de tant
de maux. ... Ce ne font pas là les encouragemens
dus à ma confiance, à mes travaux utiles, tec. >»
Ses manufcrks , l’hiftoire de fon voyage a
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Guaxaca, fes Mémoires fur la culture du nopal &
for l'éducation de la cochenille, ont été recueillis
te publiés après ifa mort par le cercle des phila-
delphes établi au Cap-Français.
T hunberg. Les plantes du Japon étoient peu
connues lorfque M. Thunberg conçut le projet de
vifiter ce royaume. 11 exiftoit à la vérité une Flore
du.Japon manufcrite de Mentzelius, dépofée dans
la bibliothèque de Berlin , avec des figures coloriées
, ainfi qu’une lettre d’Erndelius fur Us Plantes
du Japon. Le foui ouvrage imprimé où quelques
plantes de ce pays fuffent mentionnées, étoit celui
que Kempfer a publié fous le titre d* Amoenitates
txoticA. Le Japon pouvoir donc être regardé comme
devant offrir aux naturaliftes une récolte abondante
de plantes inconnues, te cet efpôir étoit
plus que fuffifant pour exciter le zèle d’un bota-
nifte aulfi diftingué que M. Thunberg. Cette en-
treprile étoit périlfeufe, & d'une difficile exécution.
Les Japonais ne permettent à aucun étranger
l’entrée dans leur pays : les foupçons les plus in-
juftes tombent toujours fur celui qui fe préfente
pour y pénétrer. M. Thunberg ne put les éviter, j
quoiqu’il y arrivât, avec le titre de médecin, en
177 j. Débarqué dans l’île de Dezima ou les Hollandais
ont un comptoir, il y relia long-tems fans
pouvoir obtenir la permiffion de faire au dehors
des excurfions. Après bien des tentatives inutiles,
il lui fut enfin perm s de parcourir les montagnes
pour y recueillir des plantes, fous, le prétexte de
leur ‘Utilité indifpenfable dans les medicamens j
mais en même tems , à caufe des foupçons qu’ex-
cite tout Européen dans le pays, on lui donna une
efcorte fi nombreufe de Japonais, qu '11 devoir
nourrir à fes frais, que les dépenfes excédèrent
fes moyens, te qu’il ne put multiplier fes voyages
autant qu'if eût été néceffaire pour compdéter fes
recherches. Ce ne fut qu’avec des peines infinies
qu'il parvint à fe procurer, fok en graines, fait
en nature , un affez grand nombre de plantes. La
Flore du Japon qu’ il a publiée a fon retour en
Europe, contient environ mille efpèces, parmi
fefqüelles fe trouvent vingt-deux genres , te trois
cent feiae efpèces. nouvelles : la plupart des.autres
font rares ou peu connues» Thunberg les a décrites
d’après les principes , te rangées d’après la méthode
de Linné. Il a joint à chaque efpèce les
noms qu’elle porte dans le pays, fes propriétés ,
fon ufage en médecine , te fouvem dc s abferva-
fcions particulières iméreffuntes. A fon retour il
féjourna , pendant près de trois ans , au Cap de
Bonne-Efpérancei. y recueillit un tvès-gsrand nombre
de belles plantés, dont il nous a donné le
Prodrome x on attendant l’occafion de les- faire con.
nokre d’une manière1 plus particulière. Linné fils ,
dans fon Supplément, lui a dédié le genre Tkun-
kergia-,
T ournefC>rt ( Pitton-de). C ’en à l’iinmerte)
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Tournefort qu’il étoit réfervé de faire fortir la
botanique de cet état de confufion où elle fe
trouvoit de fon tems, de créer une méthode claire
te facile, & de fixer la détermination des genres
d’après les caractères des différentes parties de la
fleur 5 enfin, de rétablir l ’ordre , te de répandre
la clarté dans une feience dom tous tes principe*
étoient encore vagues te obfqurs. A cet important
fervice rendu à la fcience , Tournefort en a ajouté
d’autres, celui de l’enrichir d’un grand nombre
de découvertes, fruits précieux de fes pénibles
voyages. Avant l’âge de vingt-fept ans, il avoit
déjà parcouru les montagnes de la Provence, du
Languedoc , du Dauphiné, des Alpes , de la Ca*-
talogne, des Pyrénées. Ces excurfions, furtour
celles des Pyrénées, n’étoic nt pas alors fans.dangers.
« Il favoit, dit Fonteneile, qu’il ne trouve-
roit datas ces vaftes folttndes qu’une fubfiflance
pareille à celle des plus aufières anachorètes , te
que les malheureux habitans qui la lui pourroien*
fournir, n'étoient pas en plus grand nombre que
les voleurs qu’il avoir à craindre : suffi fut-L plu-
fieurs fois dépouillé par les miquelets efpagnoh.
Il avoir imaginé un firatagême pour leur dérober
un peu d’argent dans ces fortes d’occafions y il
enfermoit des réaux dans du pain qu’il portois fur
lu i, te qui étoit fi noir & fi dur, qife , quoiqu'il*,
le vola fient fort exaélem- nt te ne fulfent pas gens
à rien dédaigner, ils le lui larlf dent avrc mépris.
Son inclination dominante lui fai foie tout furmon-
ter : cesirochers affreux & prefqti’îBacceffibfes^qut
l’environnaient de taures parts, s’çtoient changes
pour lui en une magnifique bihiiothèquà, „où il
avoit le plaifir de trouver tout ce qu-e fa curioffté
demandoit, te où il paffoit des i jour nées délt-
cieufes. Un jour une médiante cabane où il gou^:
choit tomba toutâ coup; il fut deux fleures enfe-
veli fous les ruines, &- y aaiv^in péri fi l’otr eut
tardé encore quelque tems à. l’en retirer. ?>
M. Fagon , ptemfer médecin :de la reine 8c
direéleur du Jardinioyal des Riantes de Paris, qui
favorifok la botanique de tout le pourvoir que lui
donnoiem fa place & fon mérite , fk nommer
Tournefort, en 1785 , profeffear en botamique à
ce même Jardin établi par Louis X lll , & devenu
depuis fi célèbre par fesi fevams drllingpss qui y
, ont enforgrvé les foiejnees naturelles. Cet emploi
[ ne‘l’empêcha poiruc de ferre.différens voyages pour
muUip ier fes découvertes. Toujours-wivemem fo!»
Moiré par le défit d’acquérir dé nouvdies connoif-
fanoes-, il retourna rn Efpagne, fut jufqu’en Portugal
, voyagea enfoke en Hollande te en Angleterre
, te donna partout des preuves d’un grand
(avoir te d’une a Cliva ré inexprimable, gagnant
l’eftime:& T amitié de tOiusJes boc.miiftès qu’il rem
contrefit. M. HeFmsip, prafeffeur à Leyde , déjà
fort â^é, vouloir lui -réfigner fa place avec une
penfton de quatre mille featics y Tournefort fo
refufaà des offrt« fi flatteufes , quoique les reve^
nus de fa piïtee fullepr-tre^^modiques ic bieniafé»