
nique les plantes qu’elles produifent : il fit part <
de Ton projet à l’Académie , qui l’accueillit très- j
favorablement, & s’empreffa de lui fournir tous
les fecours & les recommandations propres à faciliter
une aufii grande entreprife > il s’embarque J
à Marfeilleen 1785, arrive à Tunis le 25 août de j
la même année, en parcourt les environs dans
une étendue allez confidérable, en attendant une I
occafion favorable pour pénétrer plus avantj elle
s’offrit au gré de fes deiîrs. Tous les ans le b e y j
de Tunis forme un camp deiliné à lever les tributs
dans le Bilédulgerid, élo gné de Tunis d’environ
cent foixante lieues. M. Desfontaines obtient du
bey la permiflion de fe joindre à cette expédition
> ce qui lui procuroit l’avantage de parcourir
la partie méridionale du royaume de Tunis. C’eft
à la vérité la moins abondante en plantes ; cependant
il en obferva de très-intéreffantes : il vifita le
Gairoan & fes environs, s’avança jufqu’au Cafsa,
fur les bords du défert. C’eft là qu'il découvrit ce
bel arbre que Linné avoit pris pour un rhamnus
( Rk. pentaphyllus ) , que M. Desfontain .s reconnut
pour un rhus3 & que l’on cultive de fes graines
au Jardin des Plantes, fous le nom de rhus
theçera, ainfi qu’un beau géranium en arbre , recueilli
dans les mêmes lieux , & le cheiranihus far-
Jètia, dont les fleurs fe montrent en hiver, &
répandent une ode ur des plus fuaves ; il pénètre
dans le Bilédulgerid, fe promène au milieu de
ces belles plantations de dattiers, en fuit la culture
, en obferve l’organi'fation, le développement.
C’eft là, c’eft au milieu de fes obferva-
tions, que fon efprit eft frappé de cette idée génératrice,
d’après laquelle ü fut conduit par la
■ fuite à cette importante découverte qui établit
la différence des plantes ligneufes monocotyié-
dones & dicotylédones, fur l’oiganifation intérieure
de leurs tiges.
. Le camp du bey de Tunis, après fon expédition,
retourna en cette ville par la partie oueft
de ce royaume , beaucoup mieux cultivée & bien
plus abondante en plantes : là s’offrit aux recherches
de M. Desfontaines un grand nombre
de belles efpèces rares ou inconnues 5 il en recueillit
beaucoup dans les environs des villes de
Spitola, de-Sbiba, &c. où il eut en même tems
l ’avantage d’y obferver beaucoup de ruines romaines,
ainfi qu’à Kef, ville frontière du royaume
d’Alger.
Après trois mois & plus, M. Desfontaines revint
à Tunis avec le camp, vers la mi-avril, y
féjourna pendant quelque tems, & , profitant d’une
faifon aufii favorable, il obtint une efcorte du
bey3 & . fuivant les bords de la mer du côté du
fud-eft, il s’avança jufque fur les confins de Tri- Fo li, s’arrêta à l’ïle de Zerbi, dans la Petite-Sirte,
ancien pays des Lotophages, où il vit en très-
grande quantité ce fameux,lotos, qu’il reconnut
, d’après des renfeignemens pris fur les
lieux 3 pour être le même arbriffeau dont les
fruits fervoient de nourriture aux Lotophages.
Après un féjour d’environ treize mois dans le
royaume de Tunis, M. Desfontaines s’embarqua
fur une frégate anglaife pour fe rendre à Alger,
avec le projet de vifiter les belles & riches provinces
de ce royaume, comme il avoit fait dans
celui de Tunis : il arrive à Alger j il y étoit attendu
par l'amitié } il y eft reçu par le cônful de
France, M. de Kercy, l ’ami de fa jeuneffe, &
qu’il n’avoit point vu depuis long-tems; il féjourna
une partie dé l’hiver dans cette ville, &
ayant trouvé, comme à Tunis, l’occafion de le
réunir à un camp qui partoit pour aller lever les
tributs, M. Desfontames s'avança jufque vers
l’empire de Maroc j il s’arrêta quelque tems dans
les fertiles contrées de Mafcara & de Tremecen,
fuivit la double chaîne de l’Atlas fur fes montagnes
les plus élevées, parcourut de très-riches
vallons, rencontra des plaints d'une très grande
fertilité, y fit une abondante récolte de plantes,
'dont quelques-unes le trouvent en Europe , d’autres
font particulières au Levant, & mentionnées
dans le Voyage de Tournefort: un grand nombre
appartient prefqu’exclufivement à la Barbarie,
les unes peu connues ou très-rares , d'autres mal
décrites ou nouvelles. Cet intéreffant voyage a
enrichi la botanique d’un des plus beaux ouvrages
publiés de notre tems. M. Desfontaines a décrit
dans fa Flore du Mont-Allas environ feize cents
plantes recueillies dans les royaumes de Tunis &
d’Alger, parmi lesquelles fe trouvent au moins
trois cents efpèces nouvelles, prefque toutes figurées
avec la plus grande exactitude, d’après les
deffins de MM. Maréchal & Redouté, accompagnées
des détails de la fructification. La précifion,
la clarté des defcriptior.s, l’exaêtirude de la iyno-
nymie, la pureté & l’élégance du ityle, font autant
de titres qui affignent pour toujours une
place honorable à ce bel ouvrage &: à fon auteur
dans les annales de -la fcience. L’opinion des fa-
vans fur cet ouvrage ne me laiffe point appréhender
d’être abufé dans la mienne par la recon-
noiflance & l’amitié. Outre des graines nombreu-
fes qui ont orné nos bofquets de jolis arbuftes,
nos parterres de fleurs nouvelles, M. Desfontaines
a également enrichi le Muféum d’hiftoire
naturelle d’oifeaux rares, & d’une très-belle fuite
d’infeCtes qui depuis ont été décrits en partie par
les entomologiftes.
De retour à Alger après en avoir vifité au loin
les environs, M. Desfontaines voulut encore,
avant fon retour en France, profiter d’une caravane
qui devoit fe rendre à Conftantine : il tra-
verfa de nouveau le Mont-Atlas, paffa chez plu-
fleurs nations de Cabaïles ou d’Arabes indomptés
, expofa plufieurs fois fa liberté & fa propre
vie pour la conquête des plantes qu’ il jugeoit
devoir être utiles à fa patrie ; il fut très-bien reçu
du bey de Conftantine, qui lui donna un logement
dans fon palais, & toutes l e s fûretés néceffaires
pour parcourir les belles plaines de cette province.
De Conftantine, M. Desfontaines fe rendit
à Bonne, ville maritime peu éloignée de l’ancienne
Hyppone. Ce fut là où nous nous rencontrâmes
, & où fe formèrent les premiers liens
d’une amitié dont j’éprouve de plus en plus la
douceur & les bienfaits : dès-lors nos courfes &
nos recherches fe firent en commun. ( Voye£ U article
Poiret. ) M. de Labillardière a confacré à
M. Desfontaines le genre Fontanefia, charmant
arbriffeau de Syrie , qui décore aujourd’hui nos
i jirdins & nos bofquets.
Detüssac. Un féjour defeize années à Saint-
Domingue & dans quelques îles des Antilles , où
M. Detuffac avoit des pofièffions, le mirent à
même de faire fur les végétaux de-ces contrées
des obfervations & des expériences qu’aucun bo-
ranifte n'avoit pu faire avant lui : il y facrifia tout
fon tems & la plus grande partie de fa fortune 5
mais peu s'en fallut qu’il ne perdît le fruit de fes'
| longs travaux à l’époque de l’incendie du Cap j il
t fe trouva alors dans la cruelle alternative d’opter
entre le fit cri fi ce de près de deux mille plantes
dèftinées & coloriées, & leur hiftoire manuferite. _
Ne pouvant fauver les deux enfemble, il fe détermina
pour la confervation de fes manuferits, pouvant
par la fuite faire deffiner ces mêmes plantes,
dont il avoit des échantillons en herbier. Un ca- ,
hier de deflîns, dépofé dans fon habitation au
[ morne du Cap, échappa feul aux flammes. Il for-
! tic de la ville portant fes manuferits fur fa tête j
■ il traverfa la place d’armes du Cap, couverte de
j Nègres armés, qui ouvrirent les rangs pour le
laifler paffer, en difant : Voila un Blanc qui fe
fauve avec fa mufique. Son projet étoit, après avoir
dépofé fes manuferits dans la caverne d’un rocher
à un quart de lieue de la ville, de revenir
chercher les deffins qu’il y avoit laiffes j mais le
progrès des flammes fut fi rapide, qu’il ne lui fut
pas poffible de rentrer dans la ville. Il ne lui refta
plus alors qu’à s’occuper'des moyens de fe fouf-
traire au danger pendant la crife affreufe que le
débarquement de l’armée françaife préfageoit 5 il
prit le parti de fe rendre à fon habiration du morne
au Câp & de fe livrer à fes Nègres, dont il con-
noiflbit l’attachement pour lui : ils lui témoignèrent
en effet l’intention où ils étoient de lui relier
fidèles.
Il y avoit fur l’habitation des cavernes affez
vaftes , formées par des roches confidérables, en-
taffées les unes fur les autres : l’entrée en étoit
cachée par des bofquets épais de bambous. Il pro-
pofa au conducteur des Nègres d’y faire tranfpor-
ter pendant la nuit tous les effets de l’atelier, &
de s’y réfugier enfemble pour laifler paffer ce
moment défaftreux, & attendre que les Nègres
révoltés fe fuffent éloignés. La propofition fut
’bien reçue, & en moins de deux heures il fe
trouva en fûreté dans la caverne, avec fes effets
& le conduCteur des Nègres. Après cinq jours &
cinq nuits, ils fortirent fains & faufs de la caverne
, où les Nègres ne les avoient laiffé manquer
d’aucune provifion, ils defeendirent au Cap.
Le général Leclerc, deux jours après l’arrivée de
l’efcadre françaife, envoya une frégate a la Jamaïque
pour, y complimenter le général anglais.
M. Detuffac fofiieita un paffage fur cette frégate ;
il lui fut accordé.
Pendant la traverfée, M. Lebrun, aide-de-camp
du général, lui dit qu’il étoit chargé de demander
au gouverneur de la Jamaïque des plantes
curieufes & utiles du jardin botanique de cette
île ; mais n’ayant point les connoiffances necef-
faires dans cette partie, il invita M. Detuffic de
fe charger de cette commiflion. Pendant un féjout
de dix mois qu’il fit dans cette île, tant pour remplir
fa miflion, que pour étudier les plantes de cé
pays, il y éprouva beaucoup de contrariétés, de
défagrémens; il fut même foupçonné d’avoir quelques
inftruCtions fecrètes du gouvernement français
j il devint fufpeCt, & la guerre s’étant allumée
de nouveau entre la France & l'Angleterre,,
il fut forcé de s’embarquer fur uh vaiffeau anglais
avec des prifonnièrs français. Arrivé en Angleterre
, il ne dut la confervation de fes effets &
de fes herbiers, qu’à la protection généreufe de
M. Bancks.
Pendant fon féjour à la Jamaïque , M. Detuffac
eut l’avantage d’enrichir confidérablemeîit la Flore
des Antilles3 à laquelle il travailloic depuis quinze
ans j de rencontrer beaucoup de plantes qui avoient
échappé au célèbre Brown, &: de relever des erreurs
dans lefquelles. cet auteur étoit tombé dans
un tems où la fcience étoit bien éloignée de la
perfection qu’elle a acquife dépuis. L’ouvrage que
M. Detuffac fe propofe de publier, & dont il a
déjà fourni les premiers cahiers, en faifant con-
noître à l ’Europe les richeffes de l’Amérique,
doit suffi éclairer le colon américain fur les plantes
qu’il lui importe le plus de cultiver, & fur les
meilleurs moyens d’en diriger la culture.
Dombey. Quand on confîdère les fervices itn-
portans que Dombey a rendus aux fciences naturelles,
fes longs travaux, fes voyages, les dangers
dont ils ont été accompagnés, & que, d’un autre
côté, on réfléchit fur les perfécutions qu’il eut à
fupporter, fur l’injuftice & les mauvais traitemens
qu’il éprouva de la part d’un gouvernement auquel
il avoit rendu les plus grands fervices i quand
on le voit paffer, dans une agitation continuelle ,
une vie qu’il avoit confacrée aux progrès des
fciences, quand on le voit privé du fruit de fes
longs travaux, & viClime de l’injuftice & des factions
, terminer fes jours dans les fers, fous un
ciel étranger, & augmenter par (a mort le nombre
de ceux qui ont été martyrs de leur zèle pour
i l’hiftoire naturelle, on ne peut s’empêcher de
convenir que tous ceux qui- fè dévouent -comme