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jufqu’à la bouche! du Rio-Guaviare , p a fiant les
lameufes cataractes d’Aturos 8c deMaypure, où
la caverne d’Atarnipe renferme les momies d’une
-nation détruite par la guerre des Caraïbes 8c des
Maravitains.
De lji million de Javita, nos voyageurs pénétrèrent
par terre aux fources du Guainia, que les
Européens nomment Rio - Negro. Une trentaine
d’indiens portèrent les canots par des bois touffus
de hevea} de lecythis, de laurus cinnam.Omoid.es, &c.
au Cano - Pimichin. C’eft par ce petit ruiffeau
qu’ils, parvinrent à la Rivière - Noire , qu’ils
defcendirent jufqu’à la petite fortereffe de San-
Carlos & jufqu’aux frontières du Grand-Para, capitainerie
générale du Bréfil. La méfintelligence
.qui régnoit alors entre les cours de Madrid & de
Lisbonne empêcha ces deux favans de pouffer
leurs opérations au-delà de Saint-Gabriel de las
Cochnellas.
11 s’agifioit de fixer une partie encore inconnue,
le bras de l’Qrénoque , appelé Cajiquiare, qui fait
la communication entre l'Orénoque & l’Amazone.
Pour exécuter ce travail, nos voyageurs'remontèrent
depuis la fortereffe efpagnole de San-Car-
lo s , par la Rivière-Noire 8c le Cafiquiare, à l'Orénoque
> & fur ce dernier jufqu'à la million de
rEfmeraldo, auprès du volcan Duida, ou jufqu’aux
fources du fleuve. Les Indiens Guaïcas,
race d’hommes très-blanche , très-petite, prefque
pygmée j mais très-belliqueufe, habitent le pays
à l’eft du Pafimoni ; & les.Guajaribes, très-cuivrés
j plus féroces, & en outre antropophages,
rendent inutile toute tentative de parvenir aux
fources de l’Orénoque même. Depuis la miflion
d’Efmeraldo , cabanes firuées dans le coin le plus
reculé & le plus folitaire de ce monde indien, nos
voyigeurs defcendirent trois cent quarante lieues
à l'aide des hautes eaux, c’eft-à-dire, tout l’Oré-
poque jufque vers fes bouches, à Saint-Thomas
de la Nueva-Guayana ou à l'Angoftura, repaffant
une fécondé fois les cataractes. C ’eft dans le cours
de cette longue 8c pénible navigation, que le
manque de nourriture & d’abri, les pluies nocturnes,
la vie dans les bois, iesmofquites & une
infinité d’ autres infeétes piquans & venimeux
l’impoffibilité de fe rafraîchir par le bain, à caufe
de la férocité du crocodile & du petit poifion
caribe , & les miafmes d’un climat brûlant 8c humide,
expofèrent ces voyageurs à des fouffrances
continuelles.
Ils retournèrent de l’Orénoque à. Barcelone &
à Cumana par les plaines du Cari & les millions
des Indiens caribes, race d’hommes très-extraor-
dinairé, & , après les Patagons, peut-être la plus
haute 8c la phis robufte de l’Univers. Après un fé-
jour de quelques mois fur la côte, ils fe rendirent
à la Havane par le fud de Saint-Domingue & de
la Jamaïque. Cette navigation, exécutée dans une
faifon très-avancée, fut auffi longue que dange-
fepfe, le batimept manquant de fe perdre la nuit
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fur des écueils fitués au fud du banc de la Vibora.
Ils féjournèrent trois mois dans l’ile de Cuba : ils
éroient fur le point de partir pour la Vera-Cruz,
comptant paffer par le Mexique 8c par Acapulco
aux lies Philippines, 8c de là par Bombai, Baffora
8c Alep pour fe rendre à Conltantinople, lorfque
de faillies nouvelles fur le capitaine Baudin leur
firent changer de plan. Les gazettes américaines
annoncèrent que ce navigateur partiroit de France
pour Buenos-Ayres, & qu’après avoir doublé le
cap Horn, il longeroit les côtes du Chili 8c du
Pérou.
Ils formèrent auffitôt le projet de fe réunir à
l ’expédition françaife, d’ en partager les travaux
8c les recherches ; ils efpéroient trouver le capitaine
Baudin à Guayaquil ou à Lima, 8c vifiter
avec lui la .Nouvelle-Hollande 8c ces îles de l’Océan
pacifique, auffi intéreffantes par la richeffe
dé leur végétation, que fous les points de. vue
moraux.
Ils partirent de Batabano en mars 180.1, longeant
le fud de l’ïîe de Cuba, 8c déterminant aftrono-
miquement plufieurs points dans ce groupe d’ilots
nommés les jardins du Roi, & les abordages du
port de la Trinité. Les courans portèrent la'goë-
lette trop à l’oueft au-delà des bouches de l’A-
traêto. On relâcha au Rio-Sinu, où jamais bota-
nifte n’avoit herborifé j mais l’aterrage à Cartha-
gène des Indes fut très-pénible, à caufe de la
violence des brifes de Sainte-Marthe. La goélette
manqua de chavirer près de la pointe du Géant :
il fallût fe fauver vers la côte pour fe mettre à
l’ancre, & ce contre-tems procura à M. Humboldt
l’avantage de faire Tobfervation de l ’éclipfe de
lune du 2 mars i8c i . La faifon trop avancée pour
la navigation de la mer du Sud le détermina à
paffer quelques femaines dans les forets de Tur-
baco^ ornées de gujiavia , de toluiferà , à’anacar-
dium , de cavanillea , &c. 8c à remonter, pendant
trente-cinq jours, la belle & majeftueufe rivière
de la Magdeleine, dont il efquiffa la carte malgré
les tourmens des mofquites, tandis que M. Bon-
pland en étudioir la végétation, riche en hélico-
nia, en pfycothria , en melaftoma , &c.
Débarqués à Honda, nos voyageurs fe rendirent
par des chemins affreux, à travers des forêts
de chêne, de melafioma, de cinckona, à Santa-Fé
de Bogota, capitale du royaume de la Nouvelle-
Grenade > 8c quoique la faifon pluvieufe rendît les
chemins prefqu’impraticables, ils entreprirent le
voyage d’Opeito; ils redefcendirent par Fufaga-
fuga , dans la vallée de la Magdeleine, paffèrent
les andes de Quindiu , où la pyramide neigée de
Tolina s’élève au milieu des forêts de ftyrax, de
pajjîjlora en arbres, de bambufa 8c de palmes à
cire : il fallut fe traîner treize jours dans des boues
affreufes, 8c coucher à la belle étoile dans des
bois fans traces d’homme. Arrivés pieds nus &
excédés des pluies continuelles, dans la vallée de
la rivière Çauça, ils longèrent la province du
• Choco,
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Choco, pays du platine ; ils montèrent par Caîoto
& les lavages d’or de Quiiichao à Popayan,.placé
au pied des volcans neigés de Puraté 8c Sotara.
Après être parvenus avec beaucoup de peine
au cratère du volcan de Puracé, bouche remplie
d’eau bouillante, qui, au milieu des neiges, jette
avec un mugiffement effrayant des vapeurs d’hy-
drogètie fulfuré, ils paffèrent depuis Popayan,
par les cordillères efcarpées d’Almaguer, à Pafto,
évitant l’atmofphère infeétée 8c contagieule de la
vallée de Patin. > ils traverfèrenc par Guachucal le
haut plateau de la province de Los-Paftos. Enfin,
après quatre mois d: voyage, ils arrivèrent dans
l ’hémifphère auftral, à la ville d’Ibarra 8i à Quito;
ils continuèrent leurs recherches géologiques 8c
botaniques pendant huit à neuf mois dans le royaume
de Quito, pays que la hauteur coloffale de fes
cimes neigées, l’activité de fes volcans, vomiffant
tour-à-çour des feux, des roches, de la boue 8c
des eaux hydro-fulfureufes, la fréquence de fes
tremblemens de terre, fa végétation, les reftes
de l’architeéture péruvienne, 8c, plus que tout,
les moeurs de fes anciens habitam, rendent peut-
être la partie la plus intércflànte de l’Univers. Ils
réuffirent à parvenir deux fois jufqu’au cratère
du volcan de Pichincha, où ils firent des expériences
fur l’analyfe dè l’air, fa charge éleélrique,
magnétique, hygrofeopique, fon élafticité, 8c le
degré de température de l’eau bouillante ; ils
trouvèrent le volcan embrâfé, & peu s’en fallut
qu’il n’en coûtât la vie à M. Humboldt, qui, dans
fa première tentative , faillit prefqu’y tomber, fe
trouvant feul avec un Indien qui connoiffoit le
bord du cratère auffi peu que lui, 8c marchant
fur une crevaffe maCquée par une couche mince
de neige gelée; ils firent des excurfions particu- ,
lières aux montagnes neigées d’Artifana, aeCoto-
paxi, de Timguragua 8c Chimborazo, la cime la
plus élevée de notre globe ; ils parvinrent à trois
mille trente-fix toifes de hauteur au deffus du niveau
de l’Océan pacifique , voyant fortir le fang
de leurs yeux, des lèvres & des gencives, glacés I
d’un froid que îe thermomètre n’indiqua pas.
Pendant leur féjour à Quito, ils apprirent que
le capitaine Baudin étoit parti pour la Nouvelle-
Hollande*, en prenant la route de l’eft & doublant
le Cap de Bonne-Efpérance : il fallut alors renoncer
à le rejoindre, 8c cependant cet efpoir avoit
occupé nos voyageurs pendant treize mois, &
leur avoit fait perdre la facilité de paffer de la
Havane au Mexique & aux Philippines; il les
avoit conduits par terre & par mer plus de mille
lieues au fud, expofés à tous les extrêmes de la
température, depuis les cimes couvertes de neiges
perpétuelles , jusqu’au bas de ces ravins profonds
où le thermomètre fe foutient jour 8c nuit
de 25 à 31 degrés de Réaumur. Accoutumés aux
revers de toute efpèce, ils fe confolèrent facilement
de cet effet du fort. Le voyage de Baudin,
ûu plutôt la faufie nouvelle de fa direction , leur
Botanique. Tome V lll .
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[ âvoit fait parcourir des pays immenfes, vers lesquels
, fans ce hafard, peur-être pendant long-
tems aucun natuialifte n’auroit dirigé fes recherches.
Réfolu dès-lors de pourfuivre fa propre expédition
, M. Humboldt dirigea fa route depuis
Quito vers la rivière des Amazones & vers Lima,
dans l’attente de faire l’obfervatiou importante
du paffage de Mercure fur le difque du foleil.
Nos voyageurs vifitèrent d’abord les ruines de
Laétacunga, d’Hambato & de Riabamba, terrain
bouleverfé dans l’énorme tremblement de terre
de 1797 : ils paffèrent par les neiges de PAffonay
à Cuença, 8c de là , avec des difficultés tiès-gran-
des pour le tranfport des inftrumens Ôc herbieFS
encaiffés, par le Paramo de Saraguro à Loxa.
C'eél là que, dans les forêts de Gonzanama & de
Malacates, ils étudièrent cet arbre précieux qui
fournit l’écorce fébrifuge du quinquina. L’étendue
du terrain que leur expédition embraffe,
leur a fourni l’avanrage qu’aucun botanifte n’a eu
avant eux, de comparer les différentes efpèces de
cinckona de Santa-Fé, de Popayan, de Cuença»
de Loxa, de Jaen, &c. De Loxa ils entrèrent
au Pérou par Ayavaca 8c Gouncabamba, traver-
fant la haute cime des Andes pour fe porter vers
la rivière des Amazones. Ils eurent à paffer en
deux jours trente-cinq fois le Rio de Chamaya,
paffages toujours dangereux, tantôt en radeau ,
tantôt à gué ; ils s’embarquèrent fur un radeau
d’Ochroma au petit village indien de Chamaya,
8c defcendirent par la rivière du même nom à
celle des Amazones, naviguant jufqu’aux cataractes
de Rentema, M* Humboldt formant à Ta-
mependà' un plan détaillé de cette partie inconnue
du Haut-Maragnon, tant fur fes propres ob**
fervations , que fur les notions qu’il acquit par
des voyageurs indiens. M. Bonpland fit, en attendant,
une excurfion intéreffante dans les forêts
autour de la ville de Jaen, ou il découvrit plufieurs
nouvelles efpèces de cinckona; 8c après
avoir beaucoup fouffert par le climat ardent de
ces contrées foiitaîres , après avoir admiré une
végétation riche en beaucoup de plantes inconnues
, nos voyageurs repaffèrent pour la cinquième
fois la cordillère des Andes, par Montan, oour
retourner au Pérou.
De Caxamarca ils defcendirent à Truxilio, dont
le voifinage contient les veftiges de Timmenfe
ville péruvienne Manfiche, ornée de pyramides ,
dans l’une defquelles on a découvert, au dix-huitième
fiècle, pour plus de quatre millions de livres
tournois en or battu. C’eft à cette defeente occidentale
des Indes , que nos voyageurs jouirent
pour Ja première fois de l’afpeâ: impofant de
l’Océan pacifique, 8c de cette vallée longue &
étroite , dont l’habitant ignore la pluie 8c le tonnerre,
8c>où, fous un climat heureux, le pouvoir
le plus abfolu 8c le plus dangereux à l’homme , la
I théocratie même, fembloit imiter la bienfaifance
de la Nature. Depuis Truxilio, ils fuivirent les
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