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de botanique, & l’on eut fouvent-à île plaindre
de fa trop grande» inclination à fe Prendre poffef-
feur des plantes les plus rares qu'on'y cultivoit :
il defiroit ardemment trouver l’occafion de voyager
5 elle fe préfenta au gré de fes defirs. En 1767
il fut nommé par le gouvernement pour accompagner
le célèbre de Bougainville dans fon voyage
autour du Monde. Pendant les deux premières
années, Commerfon parcourut les côtes du Bré-
fil, Buenos-Ayres, les terres magellaniques, la
Nouvelle-Angleterre , les îles d'Otaïti, de Bouro,
de Java , de Roderic, & beaucoup d’autres 5 il
vécut enfuice, pendant l’efpace d’environ cinq
ans, dans les îles Maurice & Bourbon, vifita deux
fois celle de Madagafcar} il avoir. entrepris de
deffiner & de décrire toutes les plantes & les animaux
de ces trois îles ; il avoit trouvé dans
M. Poivre un ami, un protecteur, qui lui four-
niffoit tous les moyens de mettre à exécution une
û. grande entreprise.
. Dans l’enthoufiafme de fon admiration pour
toutes les belles plantes qu’il avoit recueillies,
& pour celles qui s’offroient à fes regards dans
ces contrées où la végétation a tant d’éclat, il
écrivoit en 1771 à M. de Lalande : «e Quel admirable
pays que Madagafcar ! c’eft la véritable terre
de production pour les naturaliftes. C’eft là que
liNature fernble s'y être retirée comme dans un
fanCtuaire particulier, pour y travailler fur d'au- ■
très modèles que ceux auxquels elle s'eft aftervie
dans d’autres contrées; Le.Diofcoride du Nord y
trouverait de quoi faire dix éditions-revues &
augmentées de fon Syfiema Nnura , & finirait fans ;
doute par avouer qu'on n'a encore foulevé qu'un
coin du voile qui couvre les productions éparfes '
de la,Nature. Quelle préfomption de prononcer :
fur Je nombre des plantes ! J'en ai déjà fait une
collection de vingt-cinq mille, & je ne crains pas
d'annoncer qu’il en exifte au moins quatre à cinq
fois autant fur la furface de la Terre. Connoît-on
l’ intérieur, du vafte empire de la Chine, la Tartarie
afiatique, le Japon, les îles Formofes , les Philippines?
Connoît-on l'inépuifable fécondité de la
Cochinchine, de Siam, de Sumatra, de l’Inde
mé^it^rranée , des trois Arabies, de toute l’Afrique
intérieure & du vafte continent de l'Amérique?
A-t-on feulement fuivi la chaîne des énormes
.montagnes des Cordillères, auprès defquelies
nos Alpes & nos Pyrénées ne font que d'humbles
taupinières? J’en ai efçaladé les dernières croupes
auftrales, qui vont s'abaiffer au détroit de Magellan
& aux terres de Feuj mais ce 11’eft qu'une li-
fière de la pièce, 8çc. »
On reconnoît à ces expreffions quelle grande
idée Commerfon fe formoit de la variété des productions
de la Nature ; & fi l'on y trouve de l'exagération,
elle eft bien pardonnable à un obferva-
teur qui ne rencontroit à chaque pas que des objets
nouveaux. Tant que M. Poivre habita l’Ifle-
de-France, Commerfon fut heureux : fon bonheur
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s'évanouit à l’arrivée de fon fuccefleur} if eut à
fupporter des dégoûts, des contradictions oui influèrent
fur fa fan té:, déjà confidérablement altérée
par fes longs voyages, & fon infatigable activité.
Vi&ime .de fon dévouement pour les fciences, il
périt en l’année 1773, au milieu de fes grands travaux.
Le gouvernement français ordonna que fes
collections nombreufes, fes manufcrits & fes def-
fins feroient dépofés dans le Muféum d’hiftoire
naturelle de Paris ; malheureufement plufieurs de
fes écrits, des cailles de plantes,particuliérement
celles recueillies à Otaïti, furent perdues pendant
la traversée. Ses herbiers furent confiés à M. de
Jullîeu 5 ils contenoient encore plus de trois mille
plantes, avec de très-beaux delfins. C ’eft d'après
elles que M. de Julfieu a établi plus de foixante
genres nouveaux dans fes familles des plantes.
M. de Lamarck les a fait graver en grande partie
dans fes llluftrations des genres, & un grand nombre
d’efpèces fe trouve décrit dans cet ouvrage.
Forfter a confacré à la mémoire de Commerfon
un genre de plantes qu'il a nommé Commerfonia.
C ornuti. Le Canada étoit à peine connu,
quoique découvert depuis environ un fiècle, lorf-
ue Cornuti, médecin de Paris, profita, en 1630,
u beau jardin de M. Robin pour décrire un certain
nombre de plantes envoyées du Canada, &
qui paroiffoient pouvoir s'acclimater en France.
C ’eft par erreur que Linné a placé Cornuti au
nombre des voyageurs. J’ai aujourd’hui la certitude
que ce botanifte n’a travaillé que d'après
des envois de plantes ou de graines, faits à Paris
de ces contrées glaciales. Quoique la botanique ,
long-tems enfeveiie fous les ténèbres de l’ignorance
, eût repris alors beaucoup plus d'aCtivité,
quoique les frères Bauhin fe fufient déjà montrés
comme les reftaurateurs de cette belle fcience,
cependant-elle n’avoit pas encore de principes,
& les progrès dans l'étude des plantes nouvelles
ne pouvoient être que ttès-lents. Le médecin
Cornuti n'en cita au plus qu’une centaine de ce
pays, dont il a figuré le plus grand nombre dans
fon Hiftoire des -plantes du. Canada. A des deferip-
tions qui en facilitent la connoiffance, quoiqu'elles
laiffent fouvent beaucoup à defirer, il y a ajouté
leurs propriétés, leurs ufages, le tems de leur flo-
raifon & leur lieu natal. Plufieurs de ces plantes
font encore aujourd’hui cultivées dans les jardins,
d’autres font rares, & quelques - unes ne nous
font plus connues. Cornuti nous a donné le premier
un catalogue des plantes qui croiffent aux
environs de Paris, fous le nom aEnchiridium bo-
tanicum parifienfe , qu'il a placé à la fuite de fon
Hiftoire des plantes du Canada : c’eft une fimple
nomenclature, empruntée de Lobel. On conçoit
combien il y a loin de ce premier effai à ce que
depuis nous ont donné Vaillant, Tournefort, D a -
libard, & c .} mais on aime à fuivre les fciences en
quelque forte pas à pas dans leurs progrès plus ou
moins
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moins rapides, & ceux-là ne méritent pas moins
notre reconnoiffance3 qui les premiers ont entrepris
de nous en tracer la route. Le genre Cornutia
lui a été confacré par Plumier j il a été adopté
par Linné. ( Voye^ A g n a n t h e , vol. 1 , pag. 5 4 . )
De Clieux. Quoique cet eftimable citoyen ne
puiffe être placé parmi les botaniftes, fon nom ne
doit pas être oublié dans la lifte honorable de
ceux qui ont contribué au bonheur de leur patrie
par la propagation des végétaux utiles. L’arb;e à
café ( le caféyer) , qui croît naturellement dans
, l'Arabie, avoir été tranfporté par les Hollandais
de Moka à Batavia, & de Batavia à Amfterdam :
on en avoit envoyé de cette ville un pied, qui fut
placé dans les ferres du Jardin des Plantes de Paris
: on en forma des boutures, & de Clieux fut
chargé du foin de les tranfporter à la Martinique.
Il s’embarqua avec ce précieux dépôt. La traver-
fée fut longue & pénible : la provifion d’eau vint
à manquer j elle ne fut diftribiiée qu’avec mefure
aux gens d^- l’équipage. Mi de Clieux partagea la
petite portion qui lui revenoit avec les arbuftes
qui lui a voientété confiés, & qui périfloient fans
ce fecours. C’eft à cette privation pénible & coii-
rageufe que les nombreux caféyers cultivés aujourd’hui
en Amérique.doivent leur exiftence 3 c'tft à
elle que nos colonies font redevables d’une partie
de leurs richeffes, ik la France d’une boiffon extrêmement
agréable, & qui eft devenue d'un ufage
général.
D e l i l e &,S a Vigny. L’expédition de l'Egypte,
à jamais célèbre dans les faftes de l’Hiftoire, ne
le fera pas moins dans ceux des fciences. C ’eft
peut-être un exemple unique de voir les talens
militaires les plus diftingués, réunis aux hommes
les plus inftruits dans les fciences } de voir un
jeune héros, déjà couvert des lauriers cueillis en
Europe, ouvrir aux guerriers le chemin de la
gloire, aux favans celui des recherches, enflammer
les premiers par fon courage, protéger les
féconds par les armes. On connoït, on répète Je
nom de tous ceux qui l’ont accompagné dans fes
conquêtes} mais nous devons mentionner ici ceux
ue le defir de perfectionner & d’étendre l’étude
es plantes a tranfportés fous cet heureux climat,
MM. Dèlile & Savigny, tous deux pleins d’ardeur
8c d’inftruCtion , le dernier déjà connu avantageu- !
fement par plufieurs articles très-bien faits qu’il a
fournis pour cet ouvrage, & depuis fon retour
par des Mémoires intéreffans, qu’il a préfentés à ;
l’inftitut national.
M. Delile, de fon côté, a publié fur les plantes
d’Egypte de lavantes differcations : il nous a fait
connoïtre les diverfes fortes de féné introduites
dans le commerce, les lieux où elles croiffent, la
manière de les cultiver & de les recueillir. Nous
lui devons encore un très-bon Mémoire fur les
différentes efpèces de lotus du Nil, dont il eft
Botanique.. Tome VIII.
' fouvent queftion dans les auteurs qui ont écrit fur
l’Égypte, mais fur lefquelles il reftoit beaucoup
dHncenitude lorfqu’il s’agiffoit de lesbien diftin-
guer. On poffédoit depuis long tems dans les cabinets
les fruits d'une forte de palmier que Gærtr-
ner avoit figuré fous le nom d'hyphsne, 8c qu’on
nommoit vulgairement palmier de la Thebaide ou.
cucifera de Théophrafte ; mais l’arbre 8c fa floraifon
nous étoient tout-à-fait inconnus. M. Redouté
jeune en a fait un excellent deffin fur les lieux,
& M. Delile nous a fourni fur cet arbre, fur fes
fleurs, fur l’emploi de fes fruits, les détails les
plus intéreffans ; il l’a nommé douma thebaica.
Il nous reftoit bien des doutes fur un grand
nombre des plantes d’Égypte, mentionnées par
Forskhall. M. Delile, en les obfervant fur le lieu ,
a beaucoup contribué à les lever. L’herbier qu il
a rapporté les contient prefque toutes, & d’autres ^
efpèces jufqu’alors inconnues. Ce fera un grand
avantage pour la fcience iorfque toutes ces fa-
vantes recherches auront été rendues publiques.
Encouragé par d’auffi heureux fuccès , M. Delile
, quelque tems après fon retour d’Égypte, eft
paffé dans l’Amérique feptentrionale, où il a fé-
journé pendant trois ans. Les envois confiderables
de graines faits au Jardin des Plantes, la riche
colledion qu’ il a rapportée de ce pays, fes recher-,
ches, fes obfervations, prouvent que le même
efprit qui l'a conduit en Égypte, l’a également
accompagné dans l’Amérique.
D e s c h a m p s ( Voye% L a b i l l a r d i è r e . )
Despontaines (René). La Grèce, les principales
îles de l’Archipel, plufieurs belles provinces
du Levant, avoient été vificées par Tournefort}
Haffelquift, Forskhall, avoient voyagé dans
la Paleftine & l’Egypte, tandis que la partie Septentrionale
de l’Afrique, fi peu éloignée de l’Europe,
n'avoit encore été parcourue par aucun
naturalifte. On ne connoiffoit de ce riche pays
que quelques plantes récoltées aux environs des
villes fituées le long des côtes. Perfonne n’ofoic
fe hafarder de pénétrer dans l’intérieur, & de
s’enfoncer dans les gorges prefque défertes de
l’Atlas, retraite de beaucoup d’Arabes indomptés
& féroces, auxquels il eft impqffible d’échapper
lorfqu'on les rencontre, & qu'il eft très-difficile
de ne pas rencontrer. La. Barbarie étoit donc un
pays dont les productions naturelles étoient encore
inconnues} mais il falloit, pour ofer en rif-
uer la récolte, un grand amour pour le progrès
es fciences, & un courage proportionné aux
dangers. M. Desfontaines, aujourd’hui membre
de l’inftitut national, &: profeffeur de botanique
au Jardin des Plantes de Paris, que fes travaux
fur les plantes avoient fait admettre de bonne
heure à l’Académie des fciences , conçut îe
hardi projet de pénétrer dans ces dangereufes
contrées, & d’ajouter aux richeffes de la bota