
phie , où il arriva dans le mois d’ avril 1807. Il par*
tic de Philadelphie au c on mu. nce ment de l’été, 8c
arriva en France fans autre accident. Il rapporta de
ce grand voyage une très riche collection en objets
d’hiftoire naturelle 3 un herbier confidérable, dont
au moins le quart des plantes qu’il contient eft encore
inconnu. Il en a deffiné un grand nombre, &
pris fur les autres, dans leur lieu natal, les notes les
plus ex .'des. Les graines qu’il a récoltées, ont été
■ diflribuées , tant au jardin de la Malmai l'on, qu’à
celui du Muféun» d’hiftoire naturelle de Paris.
D’autres efpèces vivantes dé l’Amérique fepten-
trirnale font arrivées heureufement en Europe\
& ont été la plupart dépofées au jardin de la Mal-
maifen.
■ A ces richelTes végétales, M. Lefchenault a
réuni beaucoup d’autres objets appartenais aux
deux autres règnes de la Nature, des oifeaux bien
préparés j particuliérement deux calaos qui man-
quois-nt au cabinet du Muféum , des coquilles ,
des poiffons ,, des mollufques, des vers, des zoo-
pliytes, & principalement une très-belle fuite de
papillons & d’infectes, un magnifique fquelette
de ferpent, long de plus de quinze pieds ; une
peau bien confervée du fameux acrocorde ou ferpent
tuberculeux de Java , beaucoup d’autres efpèces
de ferpens & de lézards 5 plulieurs quadrupèdes
très-rares , un linge noir d’une nouvelle efpèce
, le grand lori pareffeux, le galéopithèque
ou prétendu fémur volant de Linné 5 des chauves-
fouris nouvelles, une nouvelle génette, une nouvelle
civette, une nouvelle efpèce de chat d’une
taille approchant de celle du lynx, Un nouveau
palatouche, & unichneumon à peine grand comme
un rat j un écureuil nouveau , le grand écureuil
volant ou taguan, plufieurs autres de Java. Le
quadrupède le plus curieux eft une nouvelle moùf-
fette, appartenant vraiment à ce genre, que l’on
avoir cru jufqu’ici propre à l’Amérique, également
rayée de blanc fur du noir, mais fe diftin-
guant des autres efpèces, en ce qu’elle n’a point
de queue. Elle eft commune dans l’île de Java, 8c
répand, quand on la prurfuit, la même odeur fétide
que les autres mouffettes} enfin quelques objets
intéreffans pour l’hjftoire de l’homme, comme
des fragmens d’os vraiment humains1, tirés d’un
cimetière, & qui paroiflent y avait fubi au moins
un commencement d’infiltration calcaire } le crâne
d’un Chinois de Java, des armes, des vêtemens
& autres uftenfiles à l’ufage des Indiens} des ma-
nuferits, deux ftatues fort curieufes , trouvées
dans les ruines d’un temple.
M. Lefchenault fe propofe de publier toutes fes
belles obfervations, dont nous ne préfentons ici
qu’un léger apperçu. Parmi l'es plantes qui peuvent
intéreffer le plus ia fociété par leur utilité,
nous pouvons déjà citer, d’après des notes que
M. Lefchenault nous a communiquées, une efpèce
à*indigotier qui croît au détroit dJErttrecafteaux,
& qui peut fournir une fécule colorante-. Dans les
mêmes lieux, il a également récolté un fous-ar-
biiflèau -, de la famille des rubiacées, qu’il foup.
ç on ne pouvoir remplacer , par la culture & la
greffe, lé caféyer, genre dont il eft très-vodin.
Ges deux plantes font d’autant plus incéreffantes,
que lé climat de leur patrie fe rapproche beaucoup
de celui de la France. A Java, il a obfervé
plus de quatre-vingt-dix variétés de riz cultivé}
il, a trouvé , dans les montagnes de Maria, le riz
naturel primitif, ou du moins revenu , par l’abandon,
à fon état naturel II a aufti rapporté deux
efpèces de plantes qui fiourniffent cette faineufe
gomme-réfine avec laquelle les naturels empoifon-
nent leurs flèches , & connue en Europe fous le
nom de buhon-upas. Il a trouvé dans les montagnes
de Tinger, une nouvelle efpèce dtandira 3 dont
les fruits font regardés par les Javanais, comme
une forte de panacée-. L’île de Madura lui a offert
un grand arbre, de la famille des fapoïilliers-,
dont les fruits fourniffent une cire végétale que
les naturels emploient aux mêmes ufages que la
cire ordinaire.
■ Lippi. Cet infortuné jeune homme, brûlant du
defir de fuivre les traces de Tournèfort fon maître
& fon ami, dans la carrière pénible des voyages
, crut que le plus beau jour de fa vie étoit celui
où il avoit été choifi pour accompagner M. Le-
noir Duroule , envoyé de France auprès du roi
d’Abyflînie. Son début ne fut pas heureux , & au-
roit pu décourager tout homme moins intrépide.
S étant embarqué à Toulon avec M. Duroule ,
fous l’efcorte du chevalier de Forbin, peu d’heures
après avoir mis à la voile, ils éprouvèrent une
tempête des plus affreufes, qui dura dans toute fa
force , pendant environ trente-fix heures} toutes
les voiles furent emportées 3 les vagues, qui ve-
noient fe rompre contre le bâtiment avec une
furie épouvantable, enfoncèrent la poupe, entrouvrirent
les côtés du vaiffeau , 8c dès ce moment
mirent tout l’équipage en danger de périr fans
reffources , tant par la grande quantité d’eau qui
entroit pour lors de toutes parts, que par le* fâcheux
état où ils étoient réduits de travailler fans
relâche à la pompe pour vider l’eau. Ils fe fau-
vèrent, comme par miracle , fur la cote de Catalogne.
Le refte du voyage ne fut pas plus heureux
; ils furent obligés d;e relâcher fuceeflïve-
ment à Majorque, à l’île de Sardaigne , à Tunis ,
à Malte, 8cc. Ils arrivèrent enfin à Alexandrie
après plus de trois mois de dangers 8c de fatigues
incroyables : de là ils fe rendirent à Rofette, au
Caire, à Sioute dans la Haute-Egypte.
La malheureufe deftinée qui attendoit Lippi
chez le roi-des Abyftirrs, nous a privés en partie
du fruit de fes recherches & de fes manuferits :
on n’a recueilli que quelques obfervations &
quelques lettres qu’il avoit fait paffer en France}
elles n’bnt jamais été’publiées. M. de Juüîeu les
çonferve dans un mancffçric de la main d’Ifnard,
qu’il a bien voulu me communiquer-: j’ai cru dep
voir en profiter pour donner quelques détails
fur ce funefte voyage, & fur les dangers auxquels
Lippi a été continuellement expofé, Il me fuffira
d’extraire quelques-unes de fes lettres, & de rapporter
les circonftances de fa mort, d’après une
lettre de M. de Maillet, alors conful de France
au Caire.
cc Nous partons de Sioute , dit Lippi, après y
avoir refté près d’un mois. Le fruit que j’y ai fait
n’y répond pas à la longueur duTéjour. 11 faut 1 or-
tir pour herborifer, 8c je n’ai pu le faire. 11 n’eft
pas convenable de fe montrer dans le murmure &
le foulévement qu’entretient ici notre prélence ,
ouvrage des Français du Caire, qui n’ont rien négligé
pour faire échouer ce voyage. À in fi, grâces
à ces Meflieurs , nous fommes gens fufveMs. M. Du-
roule, à ce qu’on dit, eft un Jtls du roi fugitif; nous
avons des chameaux chargés d'or ; nous allons enfei-
gner iart militaire; nous portons des canons; nous
fommes , outre cela , d'infignes magiciens, dans Le noir
deffein de couper le Nil & de faire un défert complet de
l'Egypte. En remontant la rivière, nous aecochâmes
une flèche qui fit paraître en V air plus de quatre mil’e
hommes armés , faifant un choc épouvantable. Vifilant
les ruines et une ville affe[ proche d'ici, nous y
vîmes une haute colonne : on lui fitfigne de nous fuivre
3 elle fut obéiffante, elle monta fur la barque ;
alors, prodige inouï ! cette colonne devint homme, &
cet homme eut avec nous des entretiens ineffables.
C’eft ainfi que l’on parle de nous dans les cafés &
dans les places-publiques.
*» La maifon l’autre jour étoit environnée d’une
foule de peuple que la juftice turque vint diftrper
à rems. Ainfi nous fommes enfermés depuis plus
d’un mois fans pfer nous montrer à ces barbares.
Heureufement pour la botanique , elle perd peu
de chofe. Le plat pays eft inondé^ & la montagne
n’a pas un brin d’herbe 3 c’eft ce que j’ai pu remarquer
en trois ou quatre forties que j’ai faites. La
caravane refufe, après avoir long-tems promis à
M. l’envoyé de le conduire, de forte que nous
fuivons le Nil feuls, au lieu de prendre les déferts,
& , s’il plaît à Dieu, nous verrons les cataradies.
Si cette réfolution réuflit, c’eft un coup de maffue
peur les indignes Cujets du roi , qui font au
Caire.
» Les bruits qu’on a répandus de nous dès le
Caire, dit ailleurs Lippi en écrivant de Karty,
dernier pays de Nubie, ont fait un tel progrès ,
qu’il femble que l’enfer n’ a pu rien inventer de
pire. Il y a plus de quatre mois que nous fommes
en Nubie l’objet de la fureur des peuples. Après
les immenfes fatigues du défert, nous attendions
un meilleur fort fur les États, d’un roi chez lequel
nous allions. Nous penfions qu’en écrivant,des lettres,
ce prince les recevroit, mais le commandant
du pays les a toutes retenues pour avoir occafion
de nous ronger. Tout n’eft ici que mifère Sc con-
voitife infatiable. Perforine n’eft honteux de demander,
encore eft-ce avec infolence; Il faudroit
donner à tout le monde , 8c rien moins que des
habits. Notre tente eft tous les jours environnée
d’une foule de canaille noire, armée de lances &
mal peignée, dont an ne voit que les yeux & les
dents, qu’elle montre moitié de rage & moitié par
étonnement. Eh quoi ! difent-ils , ces gens font
étendus fur des lits , comme nos rois , & nous referons
nus? Toujours lire 3 toujours écrire , chercher des
herbes que ton sèche dans du papier pour les enfermer 3
choifir une pierre entre mille, & charger des chameaux
de toutes ces chofes l Qui a jamais vu cela ? On a
bien rai fon de dire que ces méchans hommes vont f i cher
notre Nil ou tempoifonner pour nous perdre. A
quoi tient il maintenant que tonne s'en dêfaffe ?
» Tels font les difeours que l’on tient fur nous,
8c que l’on a portés aux oreilles du roi, fans faire
mention, ni de lettres, ni d’ambafTadeurs. Sur ces
bruits, ie prince a dépêché vers nous quelques
perfonn.es avec ordre de voir qui nous fommes, 8c
de nous faire paffer vers lui afin de favoir fi ce que
l’on dit eft faux. Ces gens font arrivés le 27 du
mois dernier ( février 1705) , & nous allons palier
incefifamment le défert de Bayouda pour nous rendre
à Sennar. Jugez de ce que j’ai pu faire. J’étois
réduit à parcourir des yeux les environs de ma
tente, où j’éprouvois le fort de Tantale. »
Enfin, dans une dernière lettre écrite du
même endroit & à la même époque, Lippi s'exprime
ainfi : «Depuis notre départ d’Egypte, nous
ignorons l’ufage des maifons , & nous n’avons pas
mangé de pain ; car l’on ne peut appeler ainfi de
là pâte mal cuite, fans levain, moitié farine , moitié
fable , dont il a fallu fe farcir. Il y a.des chiens
mieux couchés que nous, & qui ne pourroient
dormir fur nos matelas d’un pouce d’épaiffeur 3
pofés fur terre : encore euffions-nous été comme
de petits rois fans les dangers continuels où nous
nous fommes vus dans ce pays , fans pouvoir informer
le Prince de notre fort. Dieu , depuis
quelques jours, a diffipé nos troubles, 8c nous
allons au Roi, tous en parfaite famé, malgré
l’état violent où nous avons vécu depuis le
Caire. «
Il paroît que cette lettre eft la dernière que
Lippi ait écrite, ou du moins qu’on ait reçue eo
France : ce fut environ fix ou huit mois après qu’il
fut affafliné.à Sennar avec M. Duroule & tous ceux
qui l’aceompagnoient. M. De maillet raconte ainfi
les circonftances de ce crime affreux , dans une lettre
adreffée au gouvernement français. «On m’amena
un Nubien de Dongcla , qui m’aiïirra avoir
été au fervice de M. Duroule depuis ce lieu >uf-
qu’à Sennar, 8c n’être revenu dans fon paysqu’a-
près avoir vu périr M. Duroule 8c toute là fuite.
Ce Nubien , interrogé par moi en quatre reprifes
différentes, me fit conftamment le même rapport
qui fuit. Il me dit que M. Duroule arriva à Sennar
vers la fin de mai 170.5 , n'ayant pas voulu s’ arrêter
auprès du commandant d'Àrbagi, qui fe pré