que les noms des favans eftimables donnés aux
nouveaux genres en rappellent les talens & les
bienfaits j & deviennent autant de monumens précieux
pour l'hiftorique de la fcience.
Combien de pareils fouvenirs viennent ajouter
aux douces jouiffances de l’homme fenfible, qui,
en fe promenant dans fes bofquets ou au milieu
des fleurs brillantes de fes parterres, attache ainfi
à chaque plante, à chaque arbufte exotique, le
nom de celui qui en a fait la découverte, le tableau
du pays où ils croifient, les immenfes fatigues,
les dangers qui ont accompagné fa conquête
! Le tribut le plus jufte, le mieux mérité,
eft donc ce’ui de perpétuer dans ces annales vivantes
de la fcience, le nom de tous ces voyageurs
qui ont enrihi leur pays de plantes nouvelles j
tribut que nous devons leur payer avec d'autant
plus de féyérité , qu’il eft fouvent la feule récom-
penfe de leurs longs travaux. C’eft en partie pour
entrer dans ces vues, que j'ai cru devoir mentionner
ic i, autant que me le permettront les bornes
de cet ouvrage , le nom & les principales découvertes
des voyageurs naturaliftes qui ont, furtout
depuis environ un fïècle, tant contribué à perfectionner
l'étude de la botanique. C ’eft avec regret
que je n’ai pu faire entrer dans cette notice rapide
le nom de tous les voyageurs que l’amour des
fciences a conduits dans les contrées lointaines.
Une pareille entreprise formeroit feule un ouvrage
allez étendu, que je me propofe de publier un
jour. Je n’y ai point compris les voyages faits uniquement
en Europe, quoiqu’il y en ait eu de très-
intérelfans. Ces voyages, comparés à ceux de
l’Amérique & des Indes, ne font pour ainfi dire
que des herborifations faites dans fon propre pays,
& nous poftedons aujourd'hui un grand nombre
de Flores particulières de la plupart des royaumes,
des provinces> même des villes & des bourgades
de beaucoup de contrées européennes. Nous ne
devons cependant pas oublier ici les excurfions
botaniques que M. Deçandolle a été chargé par
le gouvernement français de faire tous les ans
dans les différens départemens de la France, pour
la perfe&ion & le complément de la Flore fran-
faije : il a déjà vilïté une partie des Alpes, des
Pyrénées, les landes incultes de la Bretagne, &c.
Les obfervations & les découvertes qui ont été
le fruit de fes recherches nous annoncent combien
il eft important qu’il puilfe les continuer.
A danson, né avec cette ardeur pour les fciences
naturelles, & cette vivacité de conception qui
iïgnale de bonne heure l’homme de génie j Adan-
fon, tourmenté pat cette noble paflïon, partit
très-jeune pour le Sénégal, en 1748, où il demeura
l’efpace de fix ans : il viftta également les I
îles Canaries & les Açores j il en rapporta un très- i
grand nombre de plantes intéreffantes, peu con- :
nues, & parmi lefquelles fe trouvoient au moins
trois cents efpèces nouvelles > il ralfembla plus de i
trois cents pieds d’arbrës ou d’arbuftes, qu’ il fit
partir de Podor pour le Jardin des Plantes de Paris.
Il nous a donné fur le boabab ( adanfonia boa-
bab Linn.), fur la longue durée & la grolïeur pro-
digieufe de fon tronc, des détails très-curieux,
inférés dans les Mémoires de i Académie des fciences
de Paris y 1761, ainfi que plufieurs autres Mémoires
intéreffans fur les arbres qui fourniffent différences
fortes de gommes. Chacun connoît fon bel
ouvrage des familles des plantes. Son Hifioire des
. coquillages recueillis au Sénégal, dans laquelle il
décrit avec un loin particulier les animaux qui en
font les architeéles, a mis les naturaliftes qui lui
ont fuccédé , fur la voie des obfervations anatomiques
qu’on avoit trop négligées. Adanfon, dont
la perte eft récente, a fourni une longue carrière.
Peu propre aux intrigues & aux follicitations, il
a vécu long-tems dans une médiocrité fouvent
bien proche de l’indigence. Conftamment occupé
de grands travaux, il a peu fréquenté la fociété :
il étoit tout entier concentré dans fes grandes
idées, & l’on pourroit affurer qu’ il a plus vécu
au Sénégal que dans fa patrie. Tout ce qu'il y
avoit obfervé & recueilli a occupé fa penféè jusqu'au
dernier moment, & bien des fois, dans fes
dernières années, il m’en a entretenu avec la vivacité
& l'enthoufiafme d’un-jeune homme. Linné,
malgré les critiques amères qu’Adanfon a faites de
fes ouvrages, lui a dédié le boabab , fous le nom
générique d‘Adanfonia.
Alpin ( Profper ) éroit né avec l’amour des
plantes, qui le conduifit en Égypte Lil y recueillit
un grand nombre d’obfervations importantes , &
furtout beaucoup de plantes rares, la plupart inconnues
à cette époque, qu’il fit connoître dans
fon ouvrage de Plantis Ægypti, accompagnées
d’environ cent quatre-vingt quatre figures, en
1592. Nous avons encore dë lui un autre ouvrage
de Plantis exoticis. Le genre alpinia lui a été con-
facré par Plumier.
Aublet (Fufée). Les plantes de la Guiane
étoient à peine connues lorfqu’Aublet reçut du
gouvernement français, en 1762, la miflion honorable,
mais pénible, d’aller étudier les productions
naturelles de ces riches contrées, revêtu
du titre d'apothicaire-botanifte du Roi. Aublet
étoit né avec une très-vive paffion pour les plantes.
Dans fa jeuneffe il avoit plufieurs fois quitté
la maifon paternelle & le collège pour aller her-
borifer. 11 apprend qu’on équipe à Toulon une ef-
cadre pour l’Efpagne. Dans la crainte d’être contredit
par fa famille, il s’échappe fecrétement,
s’embarque , arrive à Grenade, & entre au fer-
vice de don Antonio Lopez, apothicaire vifiteur :
il s’y perfectionne dans les connoiffances de fon
éta-t, & confacre aùx herborifations fes momens
de liberté. Un an après il eft découvert & rappelé
dans fa patrie. 11 y relie peu de teins, fe rend à
Montpellier pour y fuivre les cours de Sauvages,
& vient enfuite fe fixer à Paris, dans l’efpérance
d’y trouver plus de facilité pour fe perfectionner
dans l’étude de la botanique. Son efpoir ne fut
point trompé, & les circonftances les plus favorables
concoururent pendant plufieurs années a
réalifer fes projets : il y acquit des amis, des pro-
teàêurs. Il fut défigné à la compagnie des Indes
comme un fujet diftingué > elle le choifit en 1752,
pour aller établir à lTfle-de-France un jardin ou
ron.cultiveroit toutes les plantes qui pourroient
devenir avantageufes à la colonie, foit comme
alimentaires pour les hommes & les animaux,Toit
pour fournir aux vaiffeaux qui venoient s’y rafraîchir.
Il remplit cette miflion avec beaucoup de
diftinCtion5 il pafla neuf ans dans cette île , p|il
eft forti pendant tout ce terr.s peu de vaiffeaux de
fes ports qui n’aient été chargés de cailles de végétaux
, de minéraux, d’animaux , & de plufieurs
Mémoires fur l’hifloire naturelle de ce pays.
Aublet y ayant éprouvé ^beaucoup de contrariétés
& de défagrémens, revint à Paris. A
peine y fut-il rendu, qu’on le follicita de palier
dans la Guiane françaife pour s’ y livrer aux mêmes
recherches. Son ardeur pour les découvertes lui
fit oublier tout cè que ce voyage pouvoir: avoir
de fatigant & de dangereux. Il débarque à 1 île de
Cayenne, & à peine y eft-il arrivé, que fon impatience
ne lui permet aucun repos î il parcourt
tous les lieux, s’avance au milieu des forêts les
plus épaiffes, fuit les torrens dans leur chute rapide
, le bord des rivières, les cotes maritimes,
&c. j fait partout une abondante moiffbn
de plantes rares ou inconnues» oublie, au milieu
de ces richeffes, les fatigues qu’il en coûte pour
les obtenir. ««Les perfonnes, dit-il, qui font entrées
dans les forêts de la Guiane peuvent feules
avoir une idée de l’extrême difficulté qu’on éprouve
pour y pénétrer, à caufe des lianes, des arbriflfeaux
épineux & des herbes coupantes qui occupent
l'intervalle des grands arbres j car pour peu qu’on
s’éloigne des habitations, on ne trouve ni chemins
ni fentiers frayés. Il faut avoir pénétré dans
ces forêts pour juger des dangers ou 1 on eft ex-
pofé à chaque inftant de fe bleffer, de s eftropier,
d'être attaqué par les nègres marrons ou fugitifs,
par les animaux féroces 5 de marcher fur des fer-
pens qui fe vengent cruellement > de tomber dans
des trous profonds, remplis d’eau, de vafe, de
rofeaux ou autres plantes, dont un homme feül ne
fe retireroit jamais. Les efclaves & les Indiens
que l’on eft obligé de prendre avec foi comme
conduéfceurs, &r pour porter les provifions, ainfi
que tous les inftrumens & uftenfiles néceffaires,
font un fujet d’inquiétude prefque continuel : il
faut deviner leurs deffeins , leurs complots, taire
en forte d’en être refpeéié, craint & aimé, s’il
étoit poflible, afin qu’ils ne vous abandonnent pas
dans les bois ou ne vous y tuent pas : il n’y a-que
ceux qui ont commandé ces gens-là, qui fâchent
combien ils font difficiles à conduire dans ces fortes
d’expéditions. On eft obligé de les armer , &
il ie trouve un Européen contre dix ou vingt perfonnes
armées, qui ont eu fouvent à fe plaindre
des Européens. A ces dangers , qui_ rendent les
herborifations très-difficiles, il fe joint une multitude
d’incommodités confidérables : on eft tourmenté
par les tics, les pous d’agouti, les moullr-
ques, les maringouins, les chiques, infeétes dont
les piqûres caufent des ulcères & empêchent de
marcher : tantôt on éprouve une chaleur extrême,
fuffocante ; tantôt on eft mouillé par des.
pluies habituellement plus fortes que les plus
abondantes pluies qu'on voit en Europe durant
les orages. Les cabanes que l’on eft obligé de
conftruire tous les foirs pour y palier la nuit, ne
garantiffent qu’imparfaitement de la fraîcheur-&
de l'humidité, d'autant plus vives & malfaifantes,
que le jour a. été plus chaud. Souvent on rencontre
des arbres très-élevés, auxquels on ne peut
grimper, parce que le tronc eft trop lilfe & fans
branches jufqu’à leur fommet : il faut alors abattre
l’arbre avec la coignée, ce qui ne fe fait pas fans
danger, afin de fe procurer des fleurs, des lèmen-
ces. Heureux quand on peut y trouver ces parties
eflencielles ! »
Ces travaux entrepris & continués avec ardeur
altérèrent enfin dans Aublet une conftitution
forte, qui les lui avoit fait foutenir long-tems :
il devint fujet aux maladies qui régnent dans ces
contrées, & qui lui firent prendre la réfolution de
repaffer en France, où il arriva avec un grand
nombre de caiffes de plantes, qu’il publia fous les
yeux & avec l’aide du célèbre Bernard de Juffieu.
Chacun connoît ce bel ouvrage, fous le titre
â'Hiftoire des plantes de la Guiane françaife, ornée'
d’environ quatre cents planches, qui ne repréfen-
tent que des efpèces nouvelles ou à peine connues.
Celles qu'Aublet avoir recueillies à l'lfle-
de-France (elles étoient en grand nombre) fe
trouvèrent par accident en fi mauvais état, qu’il
fe borna à les mentionner dans un fimple catalogue.
M. Lemonnier avoit dédié à Aublet, fous
la dénomination d1 AubUtia, une plance qui a porte
dans Linné le nom de buchnera canadenps , puis
dans Linné fils celui de verSena aabletia. Depuis,
Gærtner a établi un autre aubletia, mais qui appartient
au fonneratia de Linné fils.
Le voyage le plus intéreffant qui ait été fait à
Cayenne depuis Aublet eft celui -de M. Richard,
qui eft refté dans ce pays un grand nombre d’années
en qualité de médecin-botanifte du Roi : il a
recueilli fur toutes les" produirions naturelles de
ces belles contrées, particuliérement fur les animaux
& les végétaux, un grand nombre d’obfer-
vations neuves & intéreffantes ; il en a rapporté
un très-bel herbier, dont la publication feroic
infiniment utile à la fcience. Nous regrettons
que des raifons particulières n’aient point permis
à ce favant obfervateur de nous fournir fur fon