
munes. Nous parcourûmes enfemble ces "belles &
riches plaines fituées au-delà d’Hyppone, le long
de la rivière de Seyboafe ; nous allâmes vifiter, à
mi-chemin de Conllantine, des eaux bouillantes,
nommées par les Arabes hamman - mefcouteen
( bains enchantés ) , placées dans des gorges de
T Atlas, folitaires & dangereufes, où nous rencontrâmes
des Arabes Bérébères , auxquels notre ef-
corte 8c nos armes en impofèrent, & dont nous
évitâmes le raffemblement par une retraite prudente.
Une pluie très-froide , mêlée de grêle,
nous accueillit fur le plateau d’une montagne;
mais nous eûmes le bonheur de trouver dans un
vallon une horde de Bédouins qui nous reçurent
fous leurs tentes. Les rugiffemens du lion & les
cris des autres bêtes féroces que nous entendîmes
toute la nuit , ne nous laiflerent pas oublier dans
quel pays nous nous trouvions : de là > dirigeant !
notre route vers les bords de la mer, nous herbo- :
rifâmes au Cap-Rofe, à l’ancien baftion de France,
& après avoir traverfé d’affez vaftes forêts & vi-
fité la Mazoule, le pays des Zulmis, nous nous
rendîmes à Lacalle , le principal comptoir de la
compagnie d’Afrique, dont les environs font très-
fauvages, dangereux par le voifinage de la nation
des Nadis, mais riches en belles plantes. Après
nous y être arrêtés environ quinze jours, nous
retournâmes à Bonne, où M. Desfont aines s’embarqua
pour Marfeille. Je paffai encore près d’un
an à faire des excurfîons dans ces contrées partout
où il m’étoit poflible de pénétrer fans trop
de dangers; j ’y fus bien fouvent expofé , & la
paffion des recherches me lit plufieurs fois paffer
les bornes de la prudence ; je n’échappai que par
un hafard heureux aux infultes des Arabes, & à
la pelle qui régnoit a!ors>lans ce pays , furtout
dans plufieurs provinces du royaume d’Alger. Je
revenois en France avec une allez belle collection
de plantes , d’infe&es , d’oifeaux , 6cc. ;
mais la longue quarantaine que l’on me fit faire à
Marfeille, la privation de mes caiffes d'infeétes &
d’oifeaux dont on me força de me féparer pour
les dépofer au lazaret, ouvertes & expofées à
l’air, furent caufe que je perdis une grande partie
de ma colle# on , & que je ne pus guère fauver
que mes plantes, dont néanmoins plufieurs paquets
furent dévorés par les rats & les infeêtes.
On conçoit combien une telle perte doit m’avoir
caufé de regrets. J’ai publié un abrégé hiftorique
de mon voyage, & j’ai mentionné les plantes les
plus intéreffantes que j’ai recueillies en Afrique,
parmi lefquelles il s’en trouve d’aflez rares, &
environ foixante eipèces nouvelles. A l’époque
où je m’ occupois de ce travail, le gouvernement
français m’avoit propofé de paffer dans le nord
de l’Amérique pour y faire de nouvelles recherches
en hiftoire naturelle. Quoique ce projet de.
voyage foit refté fans exécution, il ne m'a point
permis de donner à l’ouvrage que je rédigeois
tout le. développement convenable ; je l'ai fait
depuis, & je me propofe de le publier à la première
occafion favorable. Quoiqu’avec'des titres
bien fo.bles à la reconnoiffance publique, plu-
fieurs botaniftes m’ont fait l’honneur de donner
mon nom à de nouveaux genres de plantes.
Gmelin, dans fa nouvelle édition du Syftema Na-
turs. de Linné, a défigné fous la dénomination
de Poiretia deux plantes anonymes, mentionnées
par Waltherius dans fa Flore de la Caroline, mais
qui appartiennent au genre Dickondra de Forfter.
Depuis, M. Cavanilïes a nommé Poiretia un genre
de la Nouvelle-Hollande, que M. Smith, peu auparavant
, avoit appelé Sprengelia. Enfin, M. Ven-
cenat, qui m’honore d’ une bienveillance particulière,
en reftituant aux plantes précédentes leurs
premiers noms, a décrit, dans fon bel ouvrage
intitulé Choix des plantes , fous le nom de Poiretia,
un genre nouveau de la famille des îégumineufes,
que M. de Lamarck a figurée dans Tes Illustrations
des genres, tab. 609 , fig. 1 , parmi les glycine.
Poiteau. Ce voyageur intéreffant, qui a fu de
lui-même , & par (es propres efforts, fortir de
l’obfcuriré & de l’ignorance où il étoit refté Jjjf-
qu’à vingt-cinq ans, & s’élever jufqu’au rang que
lui deftinoient la Nature & fon génie > qui, de fimple
garçon jardinier, eft parvenu à obtenir une place
honorable parmi les botaniftes, mérite fans doute,
avant de parler de fes voyages, que nous le faf-
'fions connoître d’une manière plus particulière ;
6c , pour mieux juger de ce que peut l’homme
animé par le noble defir d’agrandir fes idées par
l’étude, nous laifferons M. Poiteau nous apprendre
quels obftacles il lui a fallu vaincre pour arriver à
ce haut degré d’inftruétion. C’eft d’après les ma-
nuferits que M. Poiteau a eu la complaifance de
me confier, & d’après une lettre adreffée à M. de
Juffieu, que je vais extraire ce qui fuit.
« Je fuis né, en 1766, dans un village nommé
Ambleny, près Soiffons. La culture des jardins potagers
fut mon occupation pendant ma jeuneffe ;
je vins enfuite à Paris pour me perfectionner dans
ma profeffion de jardinier. Après avoir travaillé
chez les marefehais , n’ ayant plus rien à y ap-
i prendre, je paffai chez les fleuriftes, d’où , en
! 175)0, j’entrai garçon jardinier au Jardin des Plan-
| tes. Mon intention, en follicitant un emploi dans
i ce jardin, 'n'étoit pas d’apprendre à connoître les
| plantes, mais feulement leurs noms ; car je n’avois
encore nulle idée de botanique. Mais mon naturel
(tudieux ne voulut pas que je m’en tînffe aux feuis
noms des plantes ; il voulut auffi que je les étu-
diaffe en elles-mêmes. C ’eft alors que, pour la
première fois, je connus de quel prix eft l’éducation.
Loin de lavoir le latin , je ne favois pas même
deux mots de français. J’avois alors vingt-cinq
ans , & jamais je n’avois entendu décliner le mot
grammaire. D’après le eonfeil d’un ami, j ’achète
un Rudirpcnt. Je le tiens d’une main, tandis que
je prends mes repas de l’autre. Quand je laboure
la terre, il eft toujours dans ma poche, & je l’ interroge
toutes les fois que le travail me force à
reprendre haleine. En portant mes arrofoirs, je
décline des noms, & je conjugue des -verbes. Bientôt
je paffe les foirées à traduire à coups de dictionnaire;
enfin, j’entends quelques mots du Syf-
tema vegetabilium.
33 II y avoir près de trois ans que je travaillois
au Jardin des Plantes, & plus d'un an que j’étois
chargé du foin de l‘école, lorfqu'un jour M. Jean
Thouin apprit, avec furprife, que je favois lire.....
Peu après, M. Daubenton me choifit pour coopérer
à l’établiffement d’une maifon rurale dans le
département de la Dordogne, lequel n'ayant pas
réuffi, je fus obligé de prendre de l’emploi dans
les fub fi (tances de l'armée des Pyrénées. Pendant
ce tems, M. Thouin l’aîné avoit la bonté de m’encourager
par fes lettres, & de m’ inviter à travailler
de plus en plus à mon inftruétion.....Peu après il
m’écrivit pour favoir fi je ferois bien ai Ce de paffer
à Saint-Domingue, avec plufieurs naturaliftes que
le gouvernement envoyoit dans cette colonie.
J’acceptai cette offre avec tranfport. »3
M. Poiteau reç it en effet une commiftion du
gouvernement pour paffer à Saint-Domingue ; mais
il éprouva beaucoup de contradictions, des retards,
un refus abfolu d’argent & de tout fecours ;
on ne lui accorda que le paffage.
« En arrivant à bord, dit-il, je ne poffédois plus
que vingt-quatre fous ; je les donnai aux matelots
qui avoient monté mon chétif coffre à bord du
vaiffeau. Ainfi je partis pour le Nouveau-Monde
auffi pauvre que j’etois lorfque j’arrivai dans l’Ancien.....
Arrivé à la rade du Cap, cédant au démon
de la botanique, je n’entrai point dans la ville ; je
fuivis le quai qui borde la mer > je traverfe une
place publique tapifièe du tribulus cifioides, qui la
couvroit du plus beau tapis doré ; enfin, je me
trouve dans une favanne que je parcourus en cherchant
des plantes, jufqu’à ce que la chute du jour
me força de tourner mes pas vers le Cap.
33 J'entrai dans fes rues, où j ’errai fans favoir où
j’ai lois, ni où je voulois aller.....Enfin, la nuit ayant
tout-à-fait fuccédé au jour, & me trouvant à la
porte du gouvernement, je me h a fardai à me mettre
fous un efcalier pour y paffer la nuit, n’ayant point
de quoi fouper ni coucher. Il y avoit environ un
quart’-d’heure que j ’y étois,lorfqu’un aide-de camp
du commiffaire Santhonax vint à m’appercevoir
malgré l’obfcurité qui m’environnoit. Mes répon-
fes à fes demandes n’ayant pu diffiper les foupçotvs
que ma place , ma trifteffe, mon pauvre accoutrement
lui fuggérèrent contre moi, il crut devoir
me faire mettre en lieu de fureté, afin qu’il pût le
lendemain me voir au grand jour, & me faire de
plus amples que (lions.
» S i j’avois connu le corps-d^-garde où il me fit
conduire, j’aurois été moi-même demander la per-
miffion d’y paffer la nuit, & je la paffai en effet
plus fainement que je n’euffe fait fous l’efcaiier
où je m’étois blotti. Le lendemain matin le même
officier vint me reconnoître : je le détrompai aifé-
ment, & il me fit mettre en liberté fur ma parole
; car je n’avois pas un mot d’écrit qui pût
attefter rien en ma faveur , ni perfonne de qui je
puffe me réclamer.
»s Lorfque je fus en liberté, je me fouvins que
le commiffaire Raimond m'avoit témoigné quelque
bienveillance à Rochefort, & qu’il auroit fayorifé
mon paffage fans l’oppofition de fon tout-paiffant
collègue Santhonax. J’afai donc folliciter une pe*
tire audience de fa part, 6c je l’obtins fans peine.
Je lui rappelai la bienveillance qu’il avoit eu U
bonté de me témoigner à Rochefort, 6c je le priai
de me la continuer au moins jufqu’à ce que j’euffe
pourvu à mon exiftenee. Je ne lui cachai pas que
je n’avois pas un denier, 6c qu’il y avoit bientôt
vingt-quatre heures que je n'avois mangé. Il fat
fenfible à ma pofition, m’invita à prendre ma part
d’un déjeûné qui étoit fervi ; ce que je fis de fort
bonne grâce. Il dit enfuite à fa femme de me
donner deux gourdes, afin que je puffe faire def-
cendre mon coffre qui étoit encore à bord, & il
me permit de le dépofer chez lui. 3j La commiftion ayant ou paroiffant avoir envie
d’établir un jardin de botanique au Cap , me
deftina pour en être le futur jardinier, & en attendant
elle me mit en fubfiftance à l’hôpital militaire
, où j’ai vécu, pendant deux mois, avec une
portion de malade par jour.....
>3 La commiffion ayant organifé l’indruftion publique
, je fus nommé jardinier du jardin où l’oa
devoir enfeigner les premiers élémens de l’agriculture
aux enfans. Çe jardin n’a jamais exifté, du
moins fous le rapport de i’ir»ilru#ian. Je fus cependant
a fiez fo t , pendant cinq mois, pour labourer,
ratifier, eïpérant toujours les fecours que
me prometteit l’abbé Lahaye, dupe de la commiffion
& dire#eur de ce futur jardin. N'ayant
jamais pu toucher un fou des appointemens qui
m’étoient accordés, me trouvant prefque nu , ma
fanté étant très-altérée par la trop petite quantité
& par la mauvaife qualité de la nourriture que je
prenois , j’ai cru devoir abandonner une place où
j’étois évidemment inutile.
33 J’entrai donc en qualité de commis dans l’ad-
miniftration, où je touchai du moins de tems en
tems quelqu’à-compte ; mais i’avois déjà le phy-
fique tellement affaibli par les privations de toute
efpèce , & le moral tellement abattu, que je dus
enfin fuccomber. Mes organes me refufèrent leurs
fondions ; une fièvre indéterminée me conduifit
à rhôpital, où je reliai plufieurs mois, & où je
retournai encore deux fois dans la même armée,
tant j’étois affoibli. Cependant la fièvre ne me
quittoit guère , & mon eftomac faifoit toujours
mal fes fonéfeions. Je crus que le lieu que j’habi-
tois s’oppofo-it à mon rétabliffemont ; c’eft pourquoi
j’acceptai de l’emploi qui m’étoif offert da--
puis long-tems à la dire#ion des fortifications.