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lui à des voyages de long cours, à des fatigues &
des dangers inévitables, ne peuvent y être excités
que .par le plus vif amour pour les fciences,
& qu'ils ne doivent attendre que d'elles feules
leur confolation & leur récompenfe. Si l'injuf-
tic e , la perfécution, des intrigues fourdes, une
baffe jalôufie ont privé Dombey de la plus douce
récompenfe de fes pénibles découvertes, celle
de les publier, fi fes manufcrits > fes collections,
font paffés entre des mains étrangères, & publiés
fous un nom qui n'eft point le fien, du moins fes
compatriotes, & furtout les amis des fciences ,
s'efforcent de payer à fa mémoire le tribut de
reconnoiffance qu'il auroit dû recevoir pendant
fa vie. M. Deleuze a donné fur Dombey, dans
les Annales du Muféum d’kijioire naturelle de Paris ,
une notice affez étendue, dans laquelle il le venge
des injuftices des hommes , en faifant connoïtre
fes travaux & les perfécutions qu'il a éprouvées.
Cette pièce intéreffante doit refter & reftera fans
doute comme un monument hiftorique, & famé
fenfîble & déchirée de Dombey-eût été confolée
£ la voix de fon eftimable panégyrifte eût pu parvenir
jufqu’à lui. On me pardonnera fans doute
de donner à cet article un peu plus d'étendue que
cet ouvrage ne le comporte : on ne doit pas craindre
d'être trop long quand il s’agit de citer au
tribunal des coeurs vertueux le mérite & les ta-
lens perfécutés. L'excellent Mémoire de M. Deleuze
m'a fourni les détails dans lefquels je vais
entrer.
Jofeph Dombey, natif de Mâcon, étoit doué
d’une grande vivacité d’imagination, qui le por-
toit avec la même ardeur aux plaifîrs & à l'étude.
Dans fa jeun.elfe il parcourut les Pyrénées & les
provinces du Midi3 il fe rendit à Paris, & devint
le difciple de Bernard de Juflieu & de Lemonnier.
Jean-Jacques Rouffeau, laffé d’une célébrité fatale
à fon repos, cher choit alors des confolations dans
l'étude des plantes. Dombey, qu'il avoir rencontré
par hafard, lui plut tellement par fa franchife,
& furtout parce que la botanique étoit la feule
chofe dont il lui parlât , que ce philofophe defira.
J'avoir pour compagnon de fes herborisations, &
prit pour lui une tendre amitié. En 1774, M. Tur-
got, contrôleur-général, ayant demandé à M.de;
Jufïieu un botanifte pour aller au Pérou chercher
les végétaux qu’on pourroit naturalifer en Europe
, ce favant lui indiqua Dombey, alors occupé:
à courir les Alpes. Rappelé à Paris, il part aufli-
tôt pour Madrid, afin de faire agréer ce projet
à la cour d'Efpagne j il y éprouva des lenteurs qui
le contrarièrent. M. de Galvez, miniftre des ln-j
des, voulut joindre à lui des boraniftes qui travaillaient
pour l’Efpagne, en même rems qu’il;
travailleroit pour la France. Qn chbiJît MM. Ruiz*
. & Pavon: on dreffa des inftruéti.ons 3 on en donna..
. de particulières à Dombey 5 il fut chargé de faire :
des expériences fur la culture de la canelïe-, qu'on
croyoit indigène au.Pérou, & de fe livrer^ di-'
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verfes recherches fur les mines. Tout ce,la entraîna
de tels délais, que l’expédition ne fut prête à
partir qu’au bout de dix mois. Il s'embarque à
Cadix le 20 o&ohre 1777, arrive au port de Cal-
lao après environ huit mois de navigation, fe rend
auflïtôt à Lima, dans une faifon où il ne put recueillir
que des graines. Au printems fuivant il
alla avec fes deux compagnons faire un voyage le
long des côtes, jufqu'à la ligne près de Quito ;
ils furent expofés à de grands dangers, auxquels
ils n’échappèrent que par leur courage. Attaqués
par une bande de Nègres fugitifs, il fallut livrer
un combat} ils tuèrent un Nègre, & en emmenèrent
trois prifonniers. Dombey rapporta de ce
voyage un grand nombre de plantes ; il en fit
dtflïner trois cents, mais il ne put obtenir une
copie d'aucun de ces deffms, pas même des genres
qu'il avoit dédiés à fes protecteurs & à fes
amis. Sa colleCtion de plantes étoit très-confidé-
: rable 1 il avoit defféché douze échantillons de
chaque efpèce ; il en forma deux herbiers, un
pour la France, un pour le roi d’ Efpagne; un paquet
de graines du ckenopodium quinoa Linn., cultivé
au Pérou & au Chili, dont on mange les
feuilles comme celles des épinards, & dont la
graine eft la principale nourriture du peuple, &
prefqu’auffi bonne que le riz, d'après les notes
de Dombey} mais ces graines n'ont point levé,
n'ayant été remifes à M. Thouin que deux ans
après avoir été recueillies. Dombey prouva^de
plus dans un Mémoire, que le prétendu caneïlier
de Quito étoit une efpèce de laurier, laurus quixos.
Encycl.
Peu après, Dombey alla s'établir dans la province
de Tarma, au-delà des Cordillères, & suivit
les torrens qui fe jettent dans le Maragnon ,
au fleuve des Amazones. Dans ce canton le fol
eft montueux & fi varié, que chaque vallée offre
d^s plantes tout-.àrfait différentes; mais les précipices
, la hauteur des montagnes., lès alternatives
du froid & du chaud rendent les herbqri a-
tions pénibles & dangereufes 5 il partit enfuite
pour Huanuco, le terme des établiflèmens efpa-
gnols. Plus loin , ce font de vaftes forêts où croit
en abondance le quinquina, qui n’étoit auparavant
connu qu’à Loxa. Les Efpagnols en avoient
été avertis depuis un an > mais il étoit important
de conftater le fait., & de s'aflurer fi c'étoit la
même efpèce. Pour aller herborifer dans ces forêts
, il fallut prendre des mules, des domeftiques,
des guides indiens, & faire les mêmes provifions
que pour un voyage de mer. Tandis qu'on s'oc-
cupoit des préparatifs, Dombey eut le courage
de prendre fes compagnons pour aller à la recherche
du quinquina. Ces forêts font impénétrables}
les arbres y font réunis par un grand nombre d'ef-
pèces de lianes grimpantes : on ne peut fe frayer
un chemin qu'avec la hache : pour chaque plante on
eft obligé d'abattre un arbre, fouvent même deux,
p a r c e que la plupart font dioïques. Nos voyageurs
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fouffriient beaucoup. Dans ces forêts épaifiVs, le
défaut de circulation de l’air rend la chaleur accablante
: les falaifons furent bientôt gâtées, &
le bifcuit étoit rempli d’infe&es. Nos, voyageurs
avojent établi le dépôt de leurs colltétipns dans
le petit pofte de Cochero, où l'on ne trouve rien 5 !
ils auroient cependant prolongé leur fejour s'ils :
n'euffent été avertis que deux cents fauvages ve- •
noient les attaquer pour les piller : il fallut partir ;
au milieu de la nuit, & s’enfuir au travers des ;
précipices pour regagner Huanuco, d'où il revint
à Lima.
Épuifé de fatigues, Dombey defîroit retourner
en Europe 5 mais il vouloit auparavant voir l e ,
Chili, pays d'autant plus intéreffant pour lu i,
que le climat étant analogue à celui de la France,
il pouvoit efpérer d'en naturalifer chez nous les
productions végétales 3 il fe rend à là Conception
au commencement de 1782, de là àSaint-Yago,
où il fut chargé par l'Elpagne d’ aller obferver
les mines de mercure de Huanca-Velca, ruinées
par des éboulemens, & celles d’Alma'den, pref-
qu’ épuifées} enfin, d'en chercher d'autres. Dombey
va vifïter dans les Cordillères la mine de Co- ■
quimbo, abandonnée depuis plus de cinquante
ans, la fait nétoyer & en fait lever le plan ; il en
découvre une autre à Xarilla de deux lieues d'étendue
,. & indique une nouvellè mine d'or. On
envoya, d’après fes, inftruCtions, des minér3lo-
giftes au Pérou.
Cette excurfïon dans les Cordillères avoit été
de; cent lieues, & le travail pénible auquel il s e-
toit livré, l’avoit rendu prefque fourd. 11 retrouva
au Chili un ,des plus beaux arbres du Monde, imparfaitement
nommé par Molina pinus araucaria ;
il eft décrit dans cet ouvrage fous le nom de dom-
beia, : & fous celui d‘araucaria par M. de Juflieu.
.Son tronc eft. droit comme, une flèche, haut de.
cent cinquante pieds } il feroit très-propre à la
mâture, mais fon bois eft un peu trop tendre : fes
.amandes font bonnes à manger.
Après avoir fait au Chili une colle&ion con-
fidérable, Dombey revint à Lima pour repaffer
en Europe; il y éprouva l’effet de la calomnie
& de la baflè jaloufie, y tomba malade , & con-
fervapeu d’efpérance de revoir fa patrie.. Cependant
fa fanté fe rétablit, & la calomnie fut decouverte.
Il s'embarqua le 14 avril .1.784, & , après
une navigation très-pénible, il entra dans le poit
de Cadix le 22 février 1785. Malgré l'affoiblifle-
ment de fa fanté, il étoit au comble de la joie
de toucher au moment d’offrir à fa patrie le.
fruit de fes voyages; il ne foupçonnoit pas que
c’étoit le commencement de fes malheurs. Je ne
rappqriprai point ici les caufes qui les. ont amenés
: on peut en voir le détail dans le Mémoire
de M. Deleuze ; mais on fait qu’une des plus1
grandes peines que puiffe éprouver un botanifte'
eft d’être privé de fes colle&ions, de ce fruit
précieux de fes longs travaux, de fes voyages, de;
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tomes fes fatigues : c’eft ce qui arriva à Dombey.
L'Êfpa-gne retint une grande partie de fes plant.es,
& lui fit promettre de ne rien publier de fes découvertes,,
qu'après le retour de MM. Ruiz Ôç
Pavon, qui relièrent encore quatre ans au Pérou;.
Pendant ces tracafferies, Dombey eft ^ forcé de
refter à Cadix , fans argent, fans crédit, fans
reflburces, traité avec mépris, & obligé de contenir
fon indignation. Ses réclamations ne font
point écoutées} il eft même fur veillé : on prend
une copie exa&e des descriptions & des notes hiftorique
s qu’il avoit jointes à fon herbier, dont
il n'étoit plus le dépofitaire. Enfin, lorfque Dombey
auroit pu rendre publiques fes découvertes ,
ou M. Lhéritier, qui en avoir été chargé & s'en
étoit occupé, différentes circonftances s y oppo-
fèrent. MM. Ruiz & Pavon le font aujourd’hui
en Efpagne. «Il eft fans doute indifférent, dit
M. Deleuze, au progrès,des fciences, que^cet
ouvrage ait été publié par la France ou par l Efpagne
} mais il importe a la gloire de^ Domoey
qu’on fâche combien il y a contribué} il importe
même à la France qu’on ne s'empare point des
découvertes d'un Français envoyé par le gouvernement.
*> Tous ces objets furent envoyés a
Cadix.
Enfin Dombey, dégoûté de la célébrité , dégoûté
des fciences qu'il avoit aimées fi paflionne-
ment, donna à fes amis tout ce dont il pouvoit
difpoler, & rompit toute correfpondance avec
les naturaliftes : il forma le projet de fe retirer
dans une folitude au pied du Mont-Jura , & d'y
finir paifiblement fes jours auprès d'un bon cultivateur
qu'il avoit connu jadis ; mais ce projet
n'ayant pu s'exécuter au milieu des convulfions
révolutionnaires , il fe trouva à Lyon lors du
fiége de cette ville; il y vivoit en mifdnthrope’,
& ne voyoit prefque perfonne. Après la prife de
la ville, il fe hâta de la quitter, & ne pouvant
plus fupporter le fejour de la France, il follicita
& obtint une commiflïon pour voyager en Amérique;
il y trouva également des hélions, des partis
oppofés; il y fut perfécuté , incarcéré, forcé
de fe rembarquer ; mais à peine écoit-il forti de
la rade , que le vaiffeau qui le -portoit, fut pour-
fuivi par deux rcorfaires , contre lefquels il ne put
fe défendre. Quoique déguifè en matelot espagnol
, H fut reconnu & conduit dans, les prifons
de Mont-Serrat, où la maladie, les chagrins, les
mauvais trajtemens eurent bientôt terminé fa
carrière.
Le jardin du Muféum d'hiftoire naturelle de
Paris doit à Dombey un grand nombre de belles
plantes, qui fe font depuis répandues dans les
principaux jardins de l'Europe : tel eft ce bel ar-
bufte connu fous le nom de fioripondio , qui pendant
plufieurs mois de l'année produit dans nos
parterres ur. effet fi pittorëfque, & fe fait remarquer
au loin par fes fleurs en cloche, longues
d’un pied, fufpéndues 6c flottantes à l'extrémité