
paroit dès-lors à faire la guerre au roitelet de
Sennar. M. Duroule étant arrivé à Sennar , fut
logé par ordre du Roi dans une maifon appartenante
à Ali-Zogaiar, ci-devant fon mini lire , que
ce roitelet avoit fait tuer quelque tems auparavant,
quoiqu’il eût à ce minière l’obligation de la
place qu’il-occupoit, & qu’il fût regardé comme
s’il avoit été le père de ce Prince. Après que
M. Duroule eut été logé dans la mai Ion de cet
ancien vifir, il envoya au roitelet de ce lieu des
préfens coniidérabks, qu’il eftima beaucoup, &
en reçut de ion coté de ce.Prince, qu’il réitéroit
même de tems à autre. M. Duroule en fit aufli à
ceux qui approchoient du Prince, furtout à fon
premier miniftre, qui faifoit beaucoup d’amitié à
M. Duroule, & qui même vint le vifiter.
» Quelques jours s’étant écoulés, M. Duroule
fit demander i’a permiilion de palier en Ethiopie,
qu’on éluda, tantôt fur une raifon, puis fur une
autre ; de forcé que, défefpérant d’obtenir cette
permifiîon fans le fecours du rot d’Éthiopie, il
fe détermina à lui donner avis de Ton arrivée à
Sennar, & comme il y étoit arrêté ; il fit palier
cette lettre au Roi par un marchand de Ion pays.
Le roi d’Éthiopie l’ ayant reçue , l’envoya en original
au roi de Sennar, & le pria de ne point
fouffrir que M. Duroule ni aucun des liens paffàt
dans fon pays, mais au contraire de les faire tous
périr. Ces lettres ayant été rendues au roi de
Sennar, il difpofa les efclaves dans certains endroits
de la ville ; puis il envoya dire à M. Duroule
qu’il avoit befoin de la maifon où il logeoir,
& qu’il lui en avoit fait préparer une autre.
* Cet ordre reçu , M. Duroule fit charger toutes
fes hardes fur fes chameaux, & , ayant lu qu'il
n’ y avoit pas loin de la maifon où il étoit, à l’autre
qu’on difoit lui avoir été préparée, ne voulut pas
monter à cheval ; il le donna à conduire au Nubien
qui mar-choit à la tête du bagage. M. Duroule
marchoit enfuite : à la queue étoient M. Lippi &
M. Macé, chacun monté fur un cheval. M. Du
roule avoit à fes côtés un feul domeftique français,
nommé Gentil, & deux Chrétiens, l'un du
Caire, & l ’autre du Sejout. Étant dans cet ordre
arrivé à une grande place, tous les efclaves, armés
& préparés, fondirent fur M. Duroule & fur fon
monde. Le premier qui fut tué fans aucune rélif-
tance, ce fut lui, après néanmoins qu’on eut cafte
quatre fabres fur fon corps, puis Gentil, qui étoit
à fes côtés. M. Macé s’étant approche du corps
de M. Duroule, offrit quarante piaftres d’Efpagne
pour qu’on lui fauvdt la vie : on les prit, puis on
le tua : on tua enfuite M. Lippi, & même les deux
Chrétiens, quoiqu’ils proteftafisnt qu'ils n'étoient
pas du pays, ni oc la famille de M. Duroule. L’on
fit grâce aux gens du pays qui étoient à fon
fervice.
» Cependant ce Nubien, ayant fu que Ton cher-
chôit le marchand du pays qui avoit amené M. Duroule,
fe retira le foir parmi les Arabes de fa connoïffanée,
où il apprit le fujet du ma fiacre de
M. Duroule & des liens ,/c’efi-à-dire, la réception
des lettres du roi d’Éthiopie. Cë‘ Nubien fe
fauva enfuite chez lui, à la faveur dès mêmes
Arabes, d’où, après quelque fejour, il vint en
cette ville du Caire. »
Ce tragique événement fut encore confirmé à
M. Démaillée par qu< lques autres perfonnes qui le
tenoient de témoins oculaires, un peu different
dans les cifconftances, mais le même quant au
fond. Lippi, jufqu’à fon arrivée à Sennar & fa fin
déplorable, avoit fait en France plulùurs envois
de graines & de plantes fèches, que M. de Juflleu
pofiède en grande partie dans fon heibier, & qui
fe trouvent mentionnées dans l’ouvrage manuf-
crit dont j’ai parlé plus haut, avec des dëlcrip-
tions&des obfervations intéreffantes. On y trouve
beaucoup d’efpèces & même de genres nouveaux,
dont plufieurs ont été découverts depuis parForsk-
hall, Delile & autres botaniftes qui ont parcouru
les mêmes contrées. La mémoire de Lippi, fon
dévoûment pour les progrès de la botanique,
fon courage dans les dangers & fa mort tragique
lui confervercnt toujours Tellime & la reconnoil-
fance de tous ceux qui aiment les ici en ces. Linné
a.été un des premiers à lui rendre hommage, en
lui confacrant le genre Lippia. :
L g e f l in g (Pierre) s’étoit fait connoître par
quelques Mémoires, & en particulier par la def-
cription de deux jolies corallines publiées avec
figures, par une thèfe fur les bourgeons des arbres
, loutenue fous la préfidence de Linné > il fit
qutlque tems après un voyage eh Efpagne, &
pafia enfuite dans l’Amérique méridionale pour
en obferver les productions végétales. La mort
le furprit au milieu de fes travaux, fur les bords
de l'Orénoque , en 1756. Une grande partie de
fes manufents & de fes recherches a été perdue :
néanmoins on conferve encore en Efpagne, dans
l’Efcurial, un grand nombre de plantes qu’il
avoit recueillies en Amérique. Il a publié les
plantes les plus rares de TEfpagne. Sans une mort
prématurée, il eût fans doute enrichi la fcience
de très-bonnes obfervations, & de la defeription
des plantes qu’il avoit obfervées dans les contrées
méridionales de l’Amérique. Le Loejlingia, plante
de la famille des caryophyllées, a été confacré à
fa mémoire par Linné.
L o u r e i r o . Il eft impoflîble à l’homme qui,
des contrées feptentrionalès de l’Europe, elt tranl-
porté dans le beau climat des Indes, de ne point
être frappé d'admiration à la vue des belles plantes
qu’elles produifent. C’elt en effet ce qu'e-
prouva Loureiro 5 il s’étoit rendu à la Cochin-
chine en qualité de millionnaire. Ces prédicateurs
de l’Évangile ont eu louvent dans ces contrées
lointaines un avantage refufé aux autres Européens,
celui de pouvoir pénétrer plus avant dans
c e s
ces pays, & d'en étudier les productions naturelles
, uirtout lorfqu’au titre de miflionnaire ils
pouvoient joindre celui de mathématicien ou de
médecin. Loureiro réunit l’un & l’autre, & les
fervices qu’il rendit aux grands pendant un féjour
de trente-fix ans, lui donnèrent toute liberté pour
obferver les plantes de ces riches contrées ; il
n’avoit aucun principe de botanique, aucun livre
pour les étudier; mais celui de la Nature eft ouvert
à tous les hommes. Loureiro apprit à le lire ;
il prit l’habitude d’obferver & de diftinguer les
plantes entr’elles, de prendre des notes fur les,
ufages auxquels les naturels les employoient. A la
vérité, il ignoroit les noms qu’elles portent en
Europe j mais il favoit ceux qu’on leur donne dans
leur pays natal. Enfin, il vint à bout de fe procurer
les ouvragés de Linné, qui lui apprirent à
porter fes obfervations fur les parties des fleurs
employées pour la diftin&ion des genres, & dès-
lors il fut à même de reconnoître que, parmi les
plantes qu’il avoit recueillies, II s’en trouvoit un
grand nombre de nouvelles} il employa, pour les
décrire, la méthode linnéenne, & dès-lors il
mérita d’être placé au nombre de ces botaniftes
dont les découvertes ont reculé les limites de la
fcience.
Ludwig (Chrétien). Ce favant, né en Siiéfie,
& profeffeur de botanique à Leipfick, accompa-
gnaErneft Hebenftreit dans le voyage qu’il fit en
Afrique, dans la vue d'y recueillir les végétaux
particuliers à ce pays. Sa palfion pour la botanique
étoit des plus ardentes, & l’étude approfondie
qu’il en fit, produisit en 17411 ouvrage intéref-
fant que Ludwig publia fous le titre à.3Inftitution.es
regnï vegttabüis, qui renferme un grand nombre
d’obfervations judicieufes5 il y ajouta, quelques
années après, fes Definitiones plantarum, ouvrage
dans lequel il effaie de combiner le fyftème de
Rivin avec celui de Linné. Ce dernier auteur lui
a dédié le genre Ludwigia.
MARCGRAFF. ( Voyei PlSON.)
Michaux ( André) eft un de ces hommes précieux
aux yeux de l’humanité reconnoiflànte ,
dont la vie laborieufe a été toute entière confa-
crée aux progrès des fciences & de l’agriculture.
Cette noble paflion de n’obtenir de la célébrité
que par des fervices diftingués, rendus à la fo-
ciété, lui fit entreprendre dès fon jeune âge des
voyages longs & pénibles, qui ne celïèrent qu’avec
fa vie, & qui hâtèrent le moment de fa mort
fous un climat étranger. La première paflion de
Michaux, & qui ne s’éteignit qu’avec lui, fut celle
de l'agriculture : il conçut que, pour en étendre
le domaine, il falloir l’enrichir de végétaux étrangers}
il forma dès-lors le projet d’aller dans des
contrées peu connues, fituées fous un climat ana-
Botanique. Tome VIII.
logue â celui de la France, d'en rapporter les
productions & de les acclimater parmi nous ; il
fe démit, en faveur de fon frère, d’une ferme
qu’il poffédoit aux environs de Verfailles, où il
étoit né , & fe livra à l’étude de la botanique fous
Bernard de Juflieu ; & pour s’exercer aux obfervations
& aux voyages, avant de fe livrer à de
plus grandes entreprifes , il paffa en Angleterre ,
y fuivit, y admira la. culture que Ton y faifoit
de beaucoup de végétaux exotiques, en rapporta
un grand nombre, qu il planta dans le jardin de
M. Lemonnier, où ils réuflirsnt parfaitement »
puis, en 1780, il alla herborifer fur les montagnes
d’Auvergne avec MM. de Lamarck, Thouin
&c plufieurs autres botaniftes diftingués. A fon retour
il parcourut les Pyrénées, plufieurs contrées
de TEfpagne, &rc. Enfin , en 1 7 5Z , il s'embarqua
pour la Perfe, fe rendit d’abord à Alepi & de là
à Bagdad, où, après quarante jours de marche à
travers le défert, il arriva avec M. Rouffeau ,
neveu du célèbre Rouffeau de Genève, né à If-
pahan, & qui avoit été nommé conful en Perfe
pour la France. Peu après Michaux fe fépara de
lui} il parcourut ces pays jadis fi floriffans, aujourd’hui
fi dévaftés, fitués entre le Tigre & l’Euphrate
, & fe rendit à Baffora, où il féjourna quelques
mois. La Perfe étoit alors en proie aux
guerres civiles , & les Arabes en ravageoient les
frontières. Michaux effayà d’y entrer par Boucher,
port du golfe Perfique} mais il fut pris &
dépouillé par les Arabes , qui ne lui laiflerent que
fes livres. Nu, fans reffources, il ne favoit ce qu’il
ailoit devenir, lorfqu’il fur réclamé par M. de
Latouche , conful anglais à Baffora, qui lui fournit
les moyens de continuer fon voyage. Mi-?
chaux parvint jufqu’à Schiras,'y relia quelque
tems, & fe rendit à Ifpahan : de là, traverfant
des chaînes de montagnes & les déferts, il parcourut
pendant deux ans la Perfe, depuis la mer
des Indes jufqu’à la mer Cafpienne} il y vérifia
que les provinces fituées entre le 35e. & le 45e.
degré de latitude font la patrie de la plupart des
arbres & des plantes qui enrichiffent nos campagnes.
Là croiffent naturellement le noyer, le ce-'
rifier, la vigne, Tépeautre, la luzerne, le fain-
foin dit de Malte, le pois chiche , l’oignon , le
lys, la tulipe, &c. 5 il lui faifoit un grand courage
pour s’avancer dans un pays agité par la
guerre, où des bandes de voleurs infeftoient les
campagnes, où i f fa II oit marcher toujours armé,
fe réunir fouvent à des caravanes pour aller d’une
contrée à l’autre, & tantôt éviter les brigands ,
tantôt les mettre en fuite par une vigoureufe
défenfe.
Michaux revint à Paris en 178y avec un magnifique
herbier & une nombreufe collection de
graines. On,doit à ce voyage plufieurs plantes
cultivées aujourd’hui dans les jardins, telles que
le rofa fimplicifolia , le %oegea leptaurea, un genre
nouveau, figuré & publié par M. Lhéritier, qu’il