
le moindre danger ; jamais nous n'avons efluyé la
moindre infulte ; jamais nous n'avons éprouvé
aucune perte ; nous étions feulement en butte
chez nous à une curiofité très-importune. »
. Le mont Albours , couvert de neiges une partie
de l’année, fixoit depuis long-tems l’attention des
deux voyageurs : ils attendoient avec impatience
le moment où ils auroient l’un & l’autre la force
de grimper jufqu’au fommec. Déjà ils avoient parcouru
les parties les plus voilîrîes du village de
Tégrich 5 ils-y avoient trouvé un grand nombre
de plantes inconnues » ils s’étoient avancés de plufieurs
lieues à l’eft , & avoient pénétré dans des
valions affez bien arrofés; ils y avoient fait une
abondante récolte d’infeCtes, tué de très-beaux
oifeaux , entr’âutres le guêpier de Perfe ( merops
perfica Pall. ). Les neiges, dont les Commets de
la montagne étoient couverts lors de leur arrivée
à Téhéran , diminuoient de jour en jour ; à
peine en reftoit-il encore dans quelques points
vers la fin du mois d’août; ils jugèrent que c’étoit
le moment le plus favorable pour les herborira-
tions ; ils Ce mirent en route au commencement
de feptembre avec deux conducteurs. A mefure ?[u’ils s’élevèrent ils virent pendant long-tems le 61 couvert d’une efpèce de rhubarbe que les
Perfans nomment riebas ( rheum ribes ) ; ils emploient
toute la plante comme remède dans les
maladies -inflammatoires & dans les fièvres ardentes.
Ils font ufage, comme aliment, des pétioles
; ce fut la premiète chofe qu’on leur offrit
à Kermanchan : on les mange crus, après
avoir Amplement enlevé la peau. Ils font très-agréables
au goût, légèrement acides & très-rafraîchif-
fans : on les confit au fucre, au miel, au moût de
railïn , & on les conferve toute l’année : on en
fait des envois dans la Perfe méridionale, où
cette plante ne vient pas. Les femences qu’ils en
ont envoyées au Jardin des Plantes de Paris, ont
levé 8c allez bien réufli.
En pourfuivant leur route , ils recueillirent
plufieurs belles efpèces de plantes, la plupart
nouvelles, \e.mickauxia l&vigata Vent., le nepeta
longlflora Venten. ,. le chryfanthemum pr&altum
Vent., &c. Ces plantes décorent aujourd’hui
plufieurs des jardins de Paris. Ils obfervèrent
plufieurs oifeaux de proie, l’aigle féroce ou aigle
d’Afiracan , diverfes fortes de faucon , &c.
Obligés d’aller à pied à caufe de l’efcarpement
de la montagne , ils fe trouvèrent fi fatigués,
fi effouffles, d'ailleurs fi mécomens de ne plus
rien trouver d’intéreflant, qu’ils fe déterminèrent
à rétrograder. Ils revinrent à Tégrich, fe
rendirent de nouveau à Téhéran pour y conférer
avecie miniftre du roi de Perfe, & partirent peu
après pour Ifpahan. Pendant leur féjour en cette
ville & dans leurs différentes courfes qu’ils étendirent
en plufieurs autres provinces de la Perfe ,
le long des bords de l’Euphrate , ils multiplièrent
d?une manière intéreffante leurs recherches &
l e u r s découvertes. Ils revinrent enfin à Conflan-
tinople par la Méfopotamie , & en traverfant
plufieurs contrées qu’ils n’avoient pas vifitées
dans leur première route.
« Arrivés à Conltantinople, dit M. Olivier,
nous fûmes demander un fauf-conduit à l’agent de
la puiflance européenne qui couvroit les mers
de fes vaifleaux; il nous fut refufé. Ce refus nous
procura l’avantage de voir l’Atcique, l’ifthme de
Corinthe, le golfe de Lépanthe, les îles d’Ita-
que, de Céphalonie & de Corfou; mais i l ’fut
peut-être la caufe de la mort de mon collègue.
Bruguière fuccomba à Ancône à une maladie oc-
cafionnée par les fatigues d’un long voyage, &
le chagrin fubit d’avoir perdu un frère fur la
même terre à laquelle nous venions d’aborder.
»» Bruguière fera long-tems regretté par fes
amis; il le fera fans celle par celui qui avoit eu fi
fouvent occafion d’apprécier les qualités de fon
coeur, d’admirer les reffources de fa tête & la
profondeur de fes connoiflances ; par celui qui
auroit fi grand befoin de fon fecours pour la publication
des objets intéreffans d’hiftoire naturelle
qui réfultent de ce voyage. Perfohne n’avoit
mieux approfondi que Bruguière la claffe fi difficile
, fi nombreufe , fi variée des vers, des mol-
lufques, des coquillages. Il s’étoit livré de bonne
heure à l’étude de la botanique, & il n’étoit point
étranger aux autres parties ae l'hiftoire naturelle.
On doit bien regretter qu'une mémoire étonnante
& la plus grande facilité de s’énoncer lui
aient fait négliger de noter fes obfervations , &
l ’aient même, dans tous les tems, rendu trës-pa-*
reffeux à écrire. »
Depuis fon retour en France, M. Olivier a publié
l’hiftorique de fon voyage. Quoiqu’il y ait
mentionné & fait graver plufieurs plantes & autres
objets d’hiftoire naturelle, il fe propofe de
faire connoître plus en détail tout ce qu'il a rapporté
d’intéreffant en plantes , en infeCtes:, en
coquilles, &c. L’herbier qu’ il a formé avec Bruguière
offre une très-belle fuite de plantes rares,
peu connues , dont un grand nombre fourniront
des efpèces ou des genres nouveaux. M. Vente-
pat a dédié à M. Olivier le genre Qlivisra,
plante de la famille des ombellifères , dont les
graines, apportées par M. Olivier, ont levé
dans le jardin de M. Cels. Peu auparavant M. de
Lamarck, dans les Illaftrations des genres , avoit
confacré à la mémoire de Bruguière, le genre
Bruguiera ( palétuvier ).
Paiïssot de Beauvois , membre de l’Inflitur
national, étoit entraîné , depuis long-tems, par un
goût dominant pour l'hiftoire naturelle, & particuliérement
pour l’étude des plantes. H avoir
préfenté à l’Académie des fciences plufieurs Mémoires
fur la botanique, principalement fur les
moufles & les champignons, lorfqu’en 1786 le
défit de connoître des objets nouveaux le détermina
à aller vifiter des pays jufqu’alors inconnus
aux naturaliftes. Le fils d’un roi nègre des côtes de
l’Afrique avoit été amené en France par un capitaine
de vaifleau, qui, après quelques mois de
féjour, fut chargé de le reconduire dans fa patrie,
connue fous le nom d‘Oware t pays voifin de la
ligne , & limitrophe de Bénin. M. de Beauvois,
privé, par uue mefure générale , d’une charge
confîdérabJe dé finances qu’il exerçoit , voulut
profiter de fa liberté & de cette occafion pour
faire des recherches d’hiftoire naturelle à Oware.
Il expofa fes vues à l’Académie des fciences, qui
les, approuva , 8r, après avoir également obtenu
l’attache & Pautorifation du gouvernement, il
partit, à fes propres frais, avec le jeune noir,
dont il s’étoit concilié l’affeétion.
Dans le trajet il relâcha à Lisbonne , où il fit
quelques obfervations, & à Chama, fur la côte de
la Guinée ; il y récolta plufieurs plantes curieufes,
dont il envoya des graines & des échantillons au
Jardin des Plantes. A fon arrivée à Oware il y"
régnoit une efpèce d’épidémie, réfultante de la
chaleur humide des côtes vafeufes & marécageufes
de ce pays. Elle enleva rapidement deux hommes
affidés qu’il avoit amenés avec lui, & fucceffive-
merit plufieurs autres perfonnes de l’équipage.
Bientôt lui-même fut malade très-gravement ; cependant
fon courage le foutint. Avant fa maladie,
& dans les intervalles que lui laiflerent plufieurs
rechutes, il parcourut le pays d’Oware, Une partie
duGalbar, & alla jufqu’à Bénin. Il fit, dans chaque
lieu , des obfervations de divers genres fur les
moeurs & les habitudes de ces peuples , fur lé
climat , les fîtes & les productions naturelles. Il
raflembla les dépouilles de beaucoup d’animaux,
& un très-grand nombre de plantes.
L’infalubrité du climat le força enfin à quitter
l’Afrique après un féjour de quinze mois , & à
profiter de l’occafion d’un vaifleau négrier qui
raifoit voile pour Saint-Domingue. Dans une relâche
d’un mois que lé vaifleau fit à Vlle-du-Prince
■ après quinze jours de navigation, M. de Beauvois
éprouva une maladie plus grave encore que la précédente
, & fut obligé de fe rembarquer avant fa
guérifoh. Le trajet jufqu’à Saint-Domingue dura
encore trois mois & demi, 8c devint fun'efle à beaucoup
de.Nègres qui faifôient partie du tranfport,
ainfi qu’à deux perfonnes qui accompagnoient
notre voyageur.
Son rétabliflement fut très-lent, & il étoit à
peine con.valefcent lorfqu’il arriva à Saint-Domin-
'■ gue. Quelques mois de^féjour Jui rendirent la
fan té ; il en profita pôiir commencer de nouvelles
recherches; mais les fecoufl'es politiques de la
colonie à l’occafion de raffranchiffement des Noirs-
mirent de grands obftaçles à fes travaux. Il parcourut
néanmoins, pendant cinq années de féjour,
divers cantons, ramafla beaucoup d’objets, com-
Botanique. Tome VIH.
pofa un herbier confîdérable , & expédia peur la
France plufieurs envois de graines.
Le trouble eroiflant dans la colonie, M de Beau*
vois., admis dans le confeil-général de l’ïle , fut
obligé de prendre part aux difeuffions qui eurent
lieu , & d’interrompre fes courfes pour aller à
Philadelphie en qualité de com mi flaire de i’aflem-
blée coloniale, pour implorer les fecours des
Etats-Unis. Son féjour dans cette partie du Nou-r
veau-Monde ne fut point inutile à la fcience. Les
intervalles que lui laiflbit l’objet de fa .million,
étoient employés à de nouvelles recherches dans
un pays que les ouvrages de Catesby, de Clayton 9
de Gronovius, de Walther, de Marshall, .les travaux
de Colden, de Barcram , & les envois de
Michaux, avoient déjà fait connoître.
Lorfque M. de Beauvois retourna à Saint-Domingue,
ce fut pour y être témoin du maflàcre
des colons, & de l’incendie de leurs habitations.
Pourfuivi lui-même par des hommes avides de
fang, il fut incarcéré, & dût regarder comme un
bonheur d’être feulement condamné à la déportation.
Embarqué'fur un vaifleau américain qui
devoit le ramener à Philadelphie , il quitta la colonie
après avoir perdu , dans un incendie, ce
qu’il poffédoit, & furtout les collections d’ani-,
maux & de plantes qu’il avoit formées avec tant
de foins. - - 5 • ,
Lorfqu’il retourna aux Etats-Unis , la France
étoit fous le régime de la terreur. Les noms des
abfens ou de ceux que la crainte tenoit cachés j
étoient infcrits fur une lifté" d’émigrés , & leurs,
biens féqueftrés , confifqués & vendus. Le retour
dans leur patrie leur étoit interdit fous peine de
mort ; le nom de M. de Beauvois fut placé fur
cette lifte malgré la réclamation de fa famille , qui
parvint feulement à fufpendre la vente de fes biens.
N’ofant repaffer en France -, & ne recevant aucun
fecours , il fut obligé , pour fubfifter à Philadelphie
, de donner; des leçons de langue françaife ,
& de tirer parti d’un talent dans la mufique inftru-
mentale, dont il n’avoit jamais compté faire qu’un
amufement.
Quoique gêné par le défaut de moyens, il pour-
fuivit avec zèle fes recherches, & fit, pour le
Muféum, de nouveaux envois de graines, dont
quelques-uns parvinrent à leur deftination ; d’au-,
très furent interceptés. Il fit un nouvel herbier,
une collection d’infeétrs, de coquilles, de poif-
fons , de reptiles , d’oiféaux & de quadrupèdes j
& ne négligea point les pétrifications qui pou-
voient ajouter de nouveaux faits à la fcience de
la géologie. Son defir de voyager dans i’ intérieur
de l ’Amérique fut favorifé par M. Adet,- alors
miniftre de la République françaife auprès des
Etats-Unis. Ce protecteur de la fcience fit palTer
en Europe des graines recueillies dans cette ex-^
curfion, & rapporta, à fon retour, des ànimauX
vivans, que M. de Beauvois lui avoit remis pour
le Muféum.
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