
a confacré à la mémoire de Michaux , fous le nom
de Mickauxia campanuluta , &c.
Le gouvernement français, délirant enrichir la
France de plufieurs arbres qui croiflent dans l’Amérique
feptentrionale, Michaux fut choifi pour
cette commiflîon, & il partit le 1er. feptembre
178/, arrive à New-Yorck, y réfide près de deux
ans , y établit un jardin, parcourt le New-Jerfey,
la Penfilvanie &, le Maryland } il envoya dès la
première année douze caiffes de graines, cinq
mille pieds d’arbres aux pépinières de Verfailles.
. En 1787 il partit pour la Caroline, s’arrêta à
Gharleftown, y acheta, à trois lieues de la ville,
un terrain deftiné à recevoir les graines & les
jeunes plants qu’il rapporteroit de fes voyages. Se
livrant enfuite à de nouvelles courfes, il alla re-
çonnoître les fources de la Savannah,, y remarqua
beaucoup d’arbres & de plantes rares, & qui
pouvoient être cultivés en France. Encouragé
par ces découvertes, il veut parvenir jufqu’à la
cime des monts Allég mis, fe lie d'amitié avec les
fauvages, prend des guides parmi eux, & remonte
les rivières qui fe jettent dans la Savannah.
«Dans ces pays inhabités (dit M. Deleuze
dans . fa Notice fur Michaux , dont je ne fais
<jue donner l’extrait ) , les forêts font impénétrables
: il n’y a de fentiers que ceux ouverts
par les ours. Le lit des torrens eft la feule route
qu’on puiffe fuivre : il faut les pafler fouvent à
gué ou fur un tronc d’arbre qu'on jette en travers,
fur les bords, qui font tantôt des marais où
l’on enfonce, tantôt des lianes épineufes qui vous
déchirent. On ne peut vivre que du produit incertain
de fa chaffe, ou de quelques fruits acerbes
que le hafard fait rencontrer ; enfin , mille dangers
arrêtent le voyageur dans ces folitudes, où
il faut fans celle gravir fur des rochers efcarpés ,
franchir des torrens , marcher fur des troncs d’arbres
pourris qui s’enfoncent fous les pas ; où une
obfcurité effrayante règne dans les forêts, obfcu-
rité produite.par l’épaiffeur des arbres, par les
lianes qui réunifient leurs branches, & plus encore
par un brouillard prefque continuel , qui
couvre ces montagnes humides. » Animé par l’en-
thoufiafme , Michaux s’apperçoit à peine de la
fatigue. Arrivé aux fources de la rivière Ténafiée,
de l’autre côté des monts, il y trouva une plaine
charmante, couverte de fraifes déliçjeufes, dont
il recueillit des plants qui ont aufli réuffi en
France ; il revint à Charleftown après avoir fait
trois cents lieues au travers de la Caroline & de
La Géorgie.
L’automne fuivant, il voulut vifiter la Floride
efpagnole ; il fe rendit à Saint-Auguftin avec fqn
fils, en 1788. Après en avoir parcouru les environs
, il loua un guide minorquin , & fe rendit à
l’embouchure de la Tomakow, remonta la rivière
en s’enfonçant dans les lagunes. Dès qu’il vo.yoit
un fite inçérefîant, ilattachoit fon canot, defcen-
doit à terre, & herborifoit à d’affcz grandes diftances
: il ne vivoit que de poiflons, 81 d’oranges
aigres qu’il trouvoit dans les bois } il entra en-
fuite dans la rivière Saint-Jean, & parvint dans
le lac Saint-Georges. Entr’autres plantes, il avoit
découvert un anis étoilé à fleurs jaunes, aufii parfumé
que celui de la Chine 5 il en rapporta à Cnar-
-leftown, perluadé qu’il pouvoir être cultivé en
grand à la Caroline méridionale, & y former une
branche de commerce lucrative.
Michaux apprit à Charleflown les événemens
qui agitoient la France. Craignant d’être bientôt
rappelé, il fe hâta d’aller vifiter les plus hautes
montagnes de la Caroline, fe rendit à Morgan-
ton, village fitué à cent lieues des côtes. ; il y
prit un guide & s’enfonça dans les forêts, & fut
obligé de revenir plus tôt qu’il ne le croyoit, à
caufe des brouilleries qui s’etoient élevées entre
les fauvages & les habitans de la Virginie.
Depuis long-tems cet intrépide voyageur étoit
occupé d’un projet infiniment utile pour'les fcien-
ces : c’étoit de déterminer quel eft lé lieu natal
de tous les arbres de l’Amérique (eptentr.ionale }
à quelle latitude ils commencent à croître, & a
quelle latitude ils deviennent rares, chétifs., &
difparoiflent entièrement > enfin , à quelle hauteur
ils fe trouvent fur les montagnes, & dans quel
fol ils profpèrent le mieux. C’étoit dans la vue de
tracer ainfi la topographie botanique de 1 Aîné*
. rique feptentrionale, que Michaux avoit vifité les
Florides; mais en partant du tropique, il falloit
aller jufqu’à la baie d’Hüdfon, & il éprouvoft de
grandes difficultés pour toucher les fonds: né.ç.ei-
faires à fes dépenfes. Dans cette extrémité, jaloux
d’exécuter fon projet, il fait.ufage de les dernières
reflources j il reçoit de l’argent des négo-
cians , à qui il remet des lettres de change fur fes
biens patrimoniaux. Auffitôt il difpole tout pour
fon voyage : c’étoit le plus long, le plus pénible,
mais en même tems le plus utile qu’il eût encore
^titrepris. Il part en avril 1792, pafie par New-
York , fe rend par terre à Québec, remonte le
fleuve Saint-Laurent, fe rend à Tadouflac, mi-
férable village fitué à l’embouchure de la rivière
Sagueney , à cinquante lieues de Québec} il prend
avec lui trois fauvages & un métis, & s’embarque
fur la Chicoutoumé3 pour la remonter jufqu au lac
i Saint-Jean, où il entra après fix jours d’une navigation
très-pénible } il herborifa fur l’es bords , &
y recueillit beaucoup de plantes 5 il remonta en-
fuite la rivière dite de Miftaflin. Quoiqu’elle ne
forte pas du lac de ce nom, il y vit une cafcade,
[ dont tout ce qu'il avoit ouï dire n’avoit pu lui
donner l’ idée. On frémit en le voyant pénétrer
entre les deux bras de cette cafcade pour cueillir
quelques plantes fur les rocs inondés, & s’arrêter
• à contempler cette fcène impofante.
Après avoir traverfé beaucoup de montagnes,
dont les intervalles font remplis d’eaux ftagnantes,
; Michaux entra dans un;e petite rivière qui con-
duifoit au lac Miftaflin : il faifoit alors un froid
exceflif : il tpmboit de la neige ; cependant it continue
fa route, defeend une rivière qui communique
à la baie d’Hudfon } il la fuit pendant d-^ux
jours , & il n’étoit qu’à une très-petite diftance
de cette baie lorfque les fauvages , croyant dangereux
de s’avancer plus au nord dans, cette fai-
fon , voulurent abfolument revenir, l'anurant que
fi les neiges continuoient, leur retour deviendioit
impoffible.
Michaux avoit reconnu la pofition des lieux &
déterminé quels étoient les points les plus élevés,
& quelle étoit la communication entre les divers
lacs & la baie d’Hudfon : il avoit exactement marqué
à quelle latitude finiffent de croître les.arbres
du Nord} il ne trouvoit plus dans ces folitudes,
qu’une végétation chétive : c’étoient des fapins
noirs qui fru&ifioient à quatre pieds de terre, des ,
pins rabougris, des bouleaux & des forbiers nains,
un genévrier rampant, le grofeiller noir, le lio.na.a~
borealis, le Ledum & quelques efpèces de vacci-
nium, mais plus aucun de ces beaux arbres qui
croiflent aux environs de Québec. Son retour fut
pénible : les torrens étoient gonflés : les fauvages ■
les defeendoient avec une rapidité inconcevable,
en faifant pafltr les canots entre les rochers} mais
les terrains marécageux au travers defquels il falloit
porter le canot, étoient un obftacle qu’on ne
pouvoit furmonter qu’à force de courage. Dans
ces marais tout couverts de fphagnum paluftre, on
enfonce jufqu’aux genoux , & l’on eft continuellement
mouillé. Michaux arriva à Tadouflac, retourna
à Philadelphie, vifîta de nouveau l’intérieur
de la Caroline feptentrionale & les' plus
hautes montagnes des Alleghanys, & , de retour à
Charleftown en 179.6, il trouva fon jardin dans
l’etat le plus floriflant. Ses pépinières étoient magnifiques
} elles étoient compofees, non feulement
d’arbres du pays* mais d’un grand nombre
d’arbres d’Europe & d’Afie qu’il avoit entrepris
de naturalifer en Amérique, & dont plufieurs le
font déjà , tels que l’arbre à fuif ( croton febiferum
Linn. ) , l’olivier odorant ( olea fragrans Linn. ) ,
l’arbre de foie ( mimofa julibriçin ) , le flerculia
platanifolia, 6?c.
Le pareils l’uccès lui rendoient fon habitation
bien chère} mais il avoit épuii’é fés dernières ref-
fources : il ne lui reftoit d’autres moyens pour
vivre , que de fe mettre à la lojde d’un gouvernement
étranger , pu de vendre des arbres qu’ il
avoit deftinés pour fa patrie. Ne pouvant s’ y réfoudre,
il fe détermina à revenir en France. Sa
traversée fut aflez heureufe ; mais comme il étoit
à la vue des côtes de Hollande, il s’éleva une
affreufe tempête : les voiles furent déchirées, les
mâts brifés, & le navire échoua & s’entr’ouvrit
fur les rochers ; matelots & pafîagers, tout étoit
épujfé de fatigues, & la plupart auroient péri fi
les habitans d’Egmond, petit village voifin, ne
leur euffent donné des fecours. Michaux étoit
attaché à une vergue, & il avoit perdu copnoif*
Îfance lorfqu'on l’emporta au village : il ne la reprit
que quelques heures après, fe trouvant auprès
du feu â:vec d'autres habits, & entouré d'eu-
vi-ron cinquante perfonnes } il perdit les malles
qui contenoient fes effets} mais fes collections
placées à fond de cale, furent retirées , & Michaux
fe trouva confolé.
L’accueil flatteur qu’il reçut en France, la douceur
de fe voir réuni"! fa famille & à des amis
donr il étoit éloigné depuis dix ans, furent em-
poifonnés par un chagrin cruel. De plus de foixante
mille pieds d’arbres qu'il avoit envoyés en France-,
il n’en reftoit qu'un petit nombre, les belles pépinières
de Rambouillet ayant été ravagées pendant
les orages de la révolution. Cependant il fe
confola en voyant le calme fe rétablir, fe Tentant
la force de recommencer fes travaux-, & l’efpoir
de réparer fes pertes. Ce projet fi utile ne fut point
agréé par le miniftre, & Michaux fe trouva alors
dans une firuation très-inquiétante. En travaillant
pour fa patrie, il n’avoic pas fongé à s’enrichir
} il avoit facrifié fon patrimoine pour fes
voyages , & fur fept années d’appointemens qui
lui étoient dues, on ne lui accorda que de légères
indemnités. Déchu de fes efpérances, ne pouvant
plus tenter aucune entreprife à fes frais, Michaux
étoit dévoré par le chagrin ; mais comme il avoir
une ame forte, ïl ne fe laiffa point abattre} il
avoit fait imprimer fon Hijloire des chênes , & il
:préparoit les matériaux de fa Flore de l'Amérique
feptentrionale lorfqu’on lui propofa d’accompagner
le capitaine Baudin dans l’expédition de la Nouvelle
Hollande. Ne pouvant retourner en Amérique
, il confentit à être de cet embarquement,
mais fous la condition que f i , arrivé à l’Ifle-de-
France, il croyoit pouvoir employer fori tems
d’une manière plus utile, il n'iroit pas plus loin.
Arrivé à l’ifle-de-France, le Juxe de la végér
tation le tranfporta} il pafloit fouvent plufieurs
jours dans les bois feul avec un Nègre, n’ayant
d’autre nourriture qu’un morceau de pain, & ne
revenant que lorfqu’il avoit fait «jine abondante
récolte. Dans ces herborifations il portoit toujours
des graines des arbres qu’il croyoit pouvoir
le naturalifer dans le pays, & M. Defchamps, qui
l’a vifité depuis , allure qu’en herborifant fur les
montagnes , il avoit trouvé un grand nombre de
chênes de quelques pouces de hauteur, qui ve-
noient très-bien , & qui avoient été femés par
Michaux.
Six mois s’étoient écoulés depuis le débarque7
ment, & le capitaine Baudin fe préparoit à faire
voile pour la Nouvelie-Hollande } mais Michaux,
qui avoit pris des informations fur Madagafcar ,
orûloit du defir d’aller feul vifiter cètte île : il ju-
geoit que le nombre des botaniftes étant aflejt
confidérable fur les vaiffeaux, il fe rendroit plus
utile dans une contrée moins éloignée de la France
, & dont les produ&ions nous font encore peu
connues} il fe fépara donc du capitaine Baudin,
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