
Enfin notre voyageur, apprenant que Ton nom
étoit rayé de la lifte des émigrés, fur laquelle il
n’auroit pas dû être infcrit, que le féqueftre de
fes biens étoit levé, & qu’il pouvoir rentrer avec
fureté dans fa patrie, eft venu y jouir des avan- _
tages que la nouvelle conftitution fembloit affurer
à tous les citoyens français. Le fouvenir de fes
anciens travaux prélèntés à l’Académie des fcien-
ce s , la connoifiance pofitive de fes recherches
prouvées par fes envois fréquens, & les obferva-
tions inférées dans fa correfpondance avec plusieurs
membres de l’Inftitut national, lui avoient
valu, pendant fon abfence , le titre d’affocié de ce
Corps , où depuis il fut admis au nombre de fes
membres réfidens. .
Nous devons regretter que les pertes effuyées
à Saint*Domingue aient ©té à M. de Beauvois les ■
moyens d’ajouter une nouvelle fuite aux plantes
de cette colonie, que divers botaniftes ont déjà
fait connoître. Nous pourrons en être dédommagés
par les additions qu’il fera à la Flore de j
l'Amérique feptentrionale3 & nous aurons lieu fur- |
tout d’être fatisfaits en parcourant la férié des !
plantes d’Oware & de Bénin, que M. de Beauvois
a entrepris de publier par fafcicules. ( Juffieu , 1
J)écad. philof. )
» Les royaumes d’Ovare & de Bénin, dit M. de
Beauvois, n’avoient été vus ni vifités par aucun
naturalifte avant moi. Le peu de notions que l'on
avoit des peuples qui les habitent, & que des
relations anciennes faifoiënt envifager comme des
antropophages, jointes à l’infalubrité du climat
qui dévore en peu de jours les trois quarts des
Européens allez hardis pour y aborder , en ont
écarté même les plus courageux. Ces dangers, qui
ne font pas tous imaginaires, avoient pris un ttl
afceridant fur les efprits, que les armateurs & les
négocians y envoyaient peu de navires. Emporté
par mon zèle & par mon goût dominant pour
l’hiftoire naturelle, j’ai affronté tous les dangers $
j’ai eu le bonheur, après avoir vu périr plus des
cinq dixièmes des Européens qui y ont paffe, après
avoir été moi-même plusieurs fois dans les bras de
la mort, de les furmonter tous.»
P ALLAS . Quels que foien t le zèle & l’ aCtivité de
ces hommes eftimables qui fe dévouent à l’étude
des fciences , celles-ci ne font de progrès rapides
qu’autant qu’ elles font protégées par les chefs fu-
prêmes des gouvernemens $ elles s’attachent à
leur nom , & contribuent à la profpérité de leur
Empire. Parmi les grandes qualités de Catherine H,
impératrice de Rulïie, on comptera toujours ,
comme une des plus diiinguées, cette faveur
fpéciale qu’elle accordoit aux talens & au génie,
auxquels elle donnoit une nouvelle activité en
ouvrant par fes bienfaits la carrière des découvertes
à tous ceux qui pouvoient la remplir avec
diftinCtion. C’eft à elle que les fciences font redevables
de cette malfe impofante d’obfervaçions
que Pallas a recueillies dans fes différer« voyag-'s,
Catherine étoit jaloufe de connoître les richelfes
naturelles de fon vafte Empire. En 1768 , elle
ordonne à fon Académie des fciences de faire un
choix de favans capables de remplir fes vues : les
talens de Pallas le firent chpifir pour l’hiftoire na-
turele, & ce choix fut juftifié bien au-delà des
efpérances j quelque grandes qu’elles euffent été.
Pallas partit de Pétersbourg le 21 juin 1768,
pafla par Mofcou , Volodimer , Kaflimof, Mou-
rom, Arfamas , ICafan ; parcourut en détail cette
dernière province, & hiverna à Sinbirsk. Au mois
de mars fuivant, 1769, il fe remet en marche,
prend fa route par Samara, arrive à Gouriel, vi-
fite les bords de la mer Cafpienne , revient dans 1a province d’Oreu bourg, & ai vive à On fa où il
paffe l’hiver. Après avoir examiné les contrées
voiiirus, il part le 16 mai 1770, traverfc les monts
Ouraiks jufqu’à Ekaterinbourg, vifite les mines
de ce diftriCt, paffe à Tchéliabinsk, & arrive à
Tobolsk au mois de décembre. En: 1771, il tra-
verfe les monts Altaïsks, fuit le cours de l’ Irtich
jufqu’à Omsk &î Kolivan , fe rend à Tomsk, &
arrive enfin à Kraffnoiarsk, ville fituée fur l’Enif-
féi , au 66e. degré de latitude. Il part de cette
ville le 7 mars 1772 , prend la route d’Irkoutsk,
traverfe le lac Baïkal pour fe rendre à Oudinsk,
Selinquinsk & Kiakta, il côtoie les rivières d In-
goda & d’Argoun , arrive au fleuve Amour, retourne
enfuite à Selinguinsk, pâlie un fécond hiver
à Kraffnoiarsk : il y éprouva un froid fi violent,
qu’il vit geler quatre onces de mercure le 6 décembre.
11 emploie l’été de 1773 à vifiter les contrées
méridionales, paffe à Lara, Jairkoï-Goro-
dok , Aftrakan & Tzaritzini il fait de nouveaux
voyages au printems fuivant, & arrive à Péterf-
bourg le 30 juin 1774, après une abfence de ûz
„ans.T
el eft le tableau rapide que préfente des excoriions
de Pallas le traducteur français de fon
voyage, M. Gauthier de la Peyronie. Cet ou-
| vrage eft un des plus précieux que nous poflé-
dions fur les provinces feptentrionales du vafte
; Empire de la Ruffie. Il offre une multitude éton-
; nante d’obfervations favantes dans tous les genres,
des détails très-curieux- fur les différens peuples
qui habitent ces contrées glaciales , ainfi que fur
les colonies qui fe font établies en Ruffie 8e en Sibérie,
des obfervations générales & particulières
fur les montagnes, particuliérement fur les monts
Ouralsks & Altaïsks, dont Pallas a comparé entre
elles les différentes branches ; obfervations qui
confirment celles de M. de Sauffure, & répandent
le plus grand jour fur la théorie dès montagnes.
Trois fupplémens ajoutés à l’ouvrage, & écrits en
latin , contiennent la defcription-d’un grand noin-i
bre de quadrupèdes, d’oifeaux, de vers, d’infectes,,
de poiflons, & Amont de plantes, dont beaucoup
avoient été mal décrites 82 d’autres inconnues,
Il a eu foin de joindre à leur defcription les
noms vulgaires ruffes, tartares, kalmouks, etc. .
Pallas a été récemment enlevé aux fciences au
milieu de fes grands travaux, & lorfqu’il s’occu-
poit à rédiger la fuite de fes nombreuses obfervations
& à compléter fon bel ouvrage, la Flora
roftca. Linné fils lui a dédié le genre P alla fia, que
Pallas avoit déjà fait connoître fous le nom de
Pterococcos, & que MM. Juflîeu & de Lamarck regardent
comme une efpèce de calligonum. Ai ton
a donné le nom de P alla fia au genre Encelia
de Cavaniiles.
Petit-T houars (Aubert du ). Il eft peu de
fciences qui fe foient attiré plus de profélytes que
la botanique. On a vu un de nos plus célèbres botaniftes
, M. de Lamarck , paffer des drapeaux de
Mars dans l’Empire de Flore ; M. du Petit-
Thouars a commencé de même par l’état militaire:
Tes inftans de liberté que lui laiffoit fon fervice ,
;f les confacroit à la recherche des plantes. Quand
les femeftres le ramenoient à Saumur fa patrie, il
s’occupoit à herborifer dans les environs , ainfi
que dans les autres lieux où l’appeloit fa profef-
fjon. Ii avoit déjà fait des obfervations très-étendues
fur les plantes de plufieurs provinces de
France , lorfque fon frère Ariftide du Petit-
Thouars, attaché au fervice de la marine, étoit
également tourmenté du defir de fe faire un nom
en vifitant les pays les plus éloignés. On venoit
alors d’avoir des doutes violens fur la perte de
l’infortuné la Peyroufe. Ariftide du Petit-Touars
fe figure a-uifitôt cet infortuné voyageur attendant
en vain fur quelque rocher les fecours de
fes compatriotes > il forme le projet d aller à fa
recherche. Dans cette noble vue, il ouvre une
foufcription, le procure des fonds qu’il doit faire
valoir par le commerce des pelleteries dans le nord-
ouelt de l’Amérique.
A peine M. du Petit-Thouars eut connoiffance
du projet de fon frère , qu’auffitotTl veut s’affo-
Cier à l'a deftinée , dans l ’elpoir de fe livrer tout
entier à la recherche des plantes dans les pays
étrangers. Il quitte le fervice pour fe préparer à
ce grand voyage. La France fe trouvoit alors dans
les circonftances les plus malheureules de la révolution.
Les foufcriptions répondant d’abord à
leurs efpérances , tarirent peu à peu: les deux
frères furent obligés de facrifier pour leur entre-
prife une grande partie de leur fortune.
Enfin tout étoit prêr pour le départ. M. du
Petit-Thouars fe rend à Breft, lieu de l’embarquement.
Les comités révolutionnaires exerçoient
alors leur redoutable inquifition. On trouve que
lepafiè-port de M. du Petit-Thouars n étoit pas
tout-à-fait conformez ceux que l’on délivroit en
ce moment > il excite la défiance 3 on l ’arrête
dans une petite ville ; il y refte trois jours en
prifon, & l’on met avec beaucoup de ceremonie
les fcellés fur la boîte de fer-blanc deftinée à
fi» hciborilations : de là il eft transféré à Breft ,
traduit devant un jury d’accufation, qui jugea
qu’il y avoit lieu à accufation i renvoyé par-devant
le jury de jugement à Quimper, où il fut
déclaré abfous après fix femaines de détention.
Pendant ce tems-là fon frère, qui avoit été
accueilli avec enthoufiafme à Breft, y devient fuf-
peCt : il eft en butte aux dénonciations les plus
abfurdés 3 il n’a plus d’autre reffource que de gagner
la pleine nier. Tout ce que poffédoit M. du
Petit-Thouars étoit à fon bord. Son frère lui avoit
indique ITfle-de-France pour leur réunion. M. du
Petit-Thouars s’embarque un mois après, le a
©Ctobre 1792, fur un petit bâtiment qui de voit le
conduire au rendez-vous 3 mais c’en étoit fait, il
ne devoit plus revoir un frère chéri j il avoir perdu
pour toujours l’ami & le compagnon de fon ea- _
fance.
La traverfée fut très-pénible, vu la petiteffe
du bâtiment & la foibleffe de fon équipage. Le
manque d’eau le contraignit de relâcher à l’île
déferre de Triftan d’Acugna. M. du Petit-Thouars
recueillit dans cet endroit, peu fréquenté des navigateurs,
des plantes intéreffantes ; il s’arrêta
également au Cap de Bonne-Efpérance. Enfin ,
après fix mois de traverfée, il arrive à lTfle-de^
France. « C ’èô là , dit M. du Petit-Thouars, que
je pus pleinement fatisfaire ma curiofité : deux
ans que j’employai à la parcourir dans tous les fens
n’avoiest pas fuffi pour raffembler toutes fes productions
végétales ; mais le voifinage de Mada-
gal'ear me tentoit vivement : fa pofition & fon
étendue me prooiettoient une moiffon abondante,
le n’ai point été trompé dans mon attente 3 car il
ne s’eft guère écoulé de jour, pendant fix mois
que j’y ai féjoumé, qui n’ait été fignalé par la
découverte de quelqu objet nouveau. De retour
à l’Ifle-de-Trance., je fongeai à revenir en Europe :
mon paffage mênae étoit arrêté fur une frégate 5
mais j’étois fâché de quitter ces parages fans avoir
vu file de Bourbon, & fans prendre une idée de
i cette colonie. Je profitai des offres d’un ami , &
trois ans & demi que j’y ai paffis n’ont pas été
de trop pour vifiter ces différens cantons. Rappelé
à ITfle-de-France par l’envie de mettre mes
collections en ordre, après un lèjour d’un an , la
paix furvenue me procura le moyen de revoir ma
patrie , & je profitai du paffage que le gouvernement
me dormoit fur la frégate la Thémis. Au
. bout de deux mois & demi de traverfée, je fuis
arrivé à Rochefort au commencement de fep te cabre
1802, après dix ans d’abfence. »
Il faut être founenu par un zèle bien aCtif pour
réfifter aux contradictions & fe foumettre aux
privations dont M. du Petit-Thouars a été accablé
pendant ce long voyage : il ne lui reftoit
qu’une ieule piaftre lorfqu’il débarqua à l’ifle-de*
France, & depuis il n’a pas eu d autres fonds,
Heureufement il trouva des reffources dans l’hof-
pitalité généreufe des habitans. Il doit particu*
[ fièrement fon exiftence, dans cette colonie , aa
B b b b b z