
L'aréomètre ou pèfe-liqueur eft donc un inf-
trument dont on ne peut fe pafler dans la préparation
des leflives.
Il y a des favortniers qui emploient, relative-
menf à la foudç, plus de chaux que nous n’avons
indiqué ; certains , par exemple, en ajoutant une
partie fur deux de fonde; d'autres, fur une,trois j
mais il y en a aufli qui en admettent moins,
puifque leur proportion eft d’une partie de chaux
fur dix de foude.’ Nous penfons que, lorfque la
chaux eft bonne, un cinquième fuffit pour rendre
la foude fuffifamment eauftique ; mais fi la chaux
fe trouve mal calcinée ou anciennement faite»
Pon peut en mettre une plus forte dofe ; car un
excès ne peut jamais nuire à la bonté de la leftive
eauftique. Lorfque l’alcali fe trouve privé d'acide
carbonique par une quantité de chaux proportionnée
, l'excédant qu'on pourroit mettre n’augmente
point fa caufticité ; elle ne fait donc que
nuire dans le le.flivage, en augmentant la quantité
de matière à lefliver & en la rendant plus pâteufe:
elle a d'ailleurs une valeur, & dans un cours de
fabrique, il importe de ne point faire de dépenfes
inutiles.
De la cuite & confection du favon.
Nous avons déjà dit que fix cents livres d'huile
étoient néceffaires pour préparer mille livres de
favon y nous avons auffi , en indiquant la manière
de préparer les leflives, déterminé les quantités
de ioude & de chaux néceffaires pour faponifier
fix cents livres d'huile ; mais comme Je favon ne
s'obtient que par la combinaifon de l'huile avec
l'alcali contenu dans les leflives, il faut que celles-
ci foient prêtes avant d’entreprendre la cuite du
favon,.
Les leflives étant donc terminées, l'on mettra
l’huile dans la chaudière ( nous en avons donné
la defeription ) ; l'on y introduira une portion de
la troifième leftive, c'eft-à-dire , de celle qui eft
la plus foible, & on fera du feu fous la chaudière ;
l'on agitera le mélange avec un redable en bois,
afin de faciliter la combinaifon de l'huile & de la
leftive alcaline. Le degré de feu doit être, aflez
fort pour faire bouillir le mélange, & on l'entretiendra
toujours au même degré, en ajoutant,
de tems en tems & en différentes parties, le relie,
de la troifième leftive. Lorfque celle-ci fera con-
fqmmée, on fe ferv.ira de la deuxième leftive > que
l'on introduira également par parties dans la chaudière
, & avec l’attention d'agiter foignetffemtnt
le méiange : l’huile commencera par devenir b i-
teufe ; elle s’unira parfaitement à la leÉive, & ,
après quelques heures de cuifton, on s'appercevra
que le mélange devient plus lié, & qu'il acquiert
de la confiftance ; on ajoutera alors une petite
portion de la. première leftive, Se on continuera
de remuer ave.ç foin. Le feu doit également être
entretenu au même degré , c'eft-à-dire,.que le
mélange doit être en ébullition : l’addition pro-
greflive & par petites quantités d’une partie de
la première leftive rendra la matière beaucoup
plus épaiffe > & en continuant encore quelque
tems le feu, on s’appercevra qu’elle devient de
plus en plus épaifie & qu'elle fe fépare de la liueur
aqueufe; l'on ajoutera alors quelques livres
e fel marin, qui en rendront la féparation bien
plus complète , de manière que la matière favon-
neufe fe préfentera fous une forme pâteufe 8e
grenue ; on continuera encore l’ébullition pendant
deux heures, & on fufpendra enfuite le
feu j on retirera même celui qui feroit dans le
fourneau; on ceflera aufli d'agiter le mélange:
quelques heures luffiront pour que la matière fa»
vonneufe fe réunifie à la partie fupérienre de la
chaudière, & la liqueur qui fe fera féparée alors
du favon ér\ gagnera la partie inférieure; on l'en
féparera alors par l'épine, c'eft-à-dire, par le
tuyau pratiqué au fond de la chaudière. Cetté liqueur
fera colorée; elle ne fera point eauftique
comme les leflives alcalines que l'on aura employées
, fera çffervefcence avec les acides ; on
ne la perdra point, on ia repaftera fur un mélange
de chaux & de foude , & on l'emploiera comme
leflîve fur la fin d'une nouvelle cuite de favon.
Lorfqu’on aura féparé, par le moyen de l'épine
, la totalité de la liqueur qui fe trouvera fous
la pâte favonneufe, ai >rs on allumera le feu; &
pour faciliter la liquéfication du favon, on y. ajou-
! tera une petite quantité d'eau , ou mieux de lef-
five foible. Le mélange étant parfaitement liquéfié
, & ayant été amené au degré de l ’ébullition ,
on y ajourera, par parties, les dernières portions
de la première leftive. C eft dans cette fécondé
opération qu'il convient d’obferver la cuite du
favon j pour çet effet , on en retire de tems en
tems une petite quantité, que l'on mettra refroidir
fur un morceau d'ardoife , & par le degré de .
confiftance que le favon prend, ou bien en le maniant
entie les doigts lorfqu’il eft froid, on juge
s’il eft cuit.
Il fera prudent d’avoir toujours un peu de lef-
five forte en réfer.ve , parce que fi.l'on s'apper-
cevoit què la quantité preferite ne fut pas fuffi- ,
fante pour faponifier complètement l'huile, alors
on en ajouteroit de celle qu’on auroit en réferve.
Lorfque le favon fera cu it, il prendra une
bonne confiftance par le refroidiflement; il paroî-
tra fec entre les doigts, & dans la chaudière il of- ,
frira une pâte grifêtre; on retirera alors le feu de
deffous la chaudière, on y biffera le favon en repos
pendant quelques heures, & on féparera en-
fuite, comme nous l’avons indiqué plus haut, à la
faveur de l'épine , la liqueur qui fe fera réunie au
deffous du, fayon ,• on échauffera de nouveau la
chaudière, & on ajoutera à la pâte favonneufe ,
une petite quantité d'eau , laquelle fendra la pâte
bien unie & bien liée, & celle-ci fera alors parfaitement
le réfeau ; l'on ceflera le-feu & on Jaiffeça
II
\e favon dans la chaudière ,■ jufqu'au moment où
il ne fera pas trop chaud pour être coulé dans les
rnifes.
Pendant que le favon refroidira dans la chaudière,
l'on difpofera les mifes ; on mettra au fond
de chaque une petite quantité de chaux en poudre,
que l’on dreffera parfaitement, de manière que
le fond de chaque mife fe trouve bien uni : l!on
puifera enfuite Je favon dans la chaudière, ou
bien on l'en retirera à la faveur de l'épine ( fr la
grofleur du tuyau le permet ) , & fans perdre
de tems on le tranfportera 8e coulera dans les mifes.
On fe fert, pour cette opération , de fceaux en
cuivre ou en bois. Au bout de deux ou trois
jours en hiver, & plus en é té , 1 e favon fera
aflez ferme pour être retiré des mifes 8e être
divifé en tablettes ou en briques, de la forme que
l'on donne ordinairement au favon : cette divifion
fe tracera d'abord avec une règle , 8e enfuite, avec
un couteau mince & tranchant, on le coupe en
divers blocs ou carrés, que l'on fubdivife à la faveur
d’un fil de laiton; on le tranfporte enfuite au
féchoir , pour qu'il y prenne de la fermeté , & il
eft vendable lorfqu’étant ferré entre les doigts,
ceux-ci ne s'y impriment point.
S'il arrivoit que l'on eût mis trop d’eau au favon
avant de le retirer de la chaudière , le fabricant
honnête doit le biffer au féchoir jufqu’à ce que
cette eau furabondante fe foit diflipée, afin de
ne point mettre de l'eau pour du favon. Cette def-
ficcation eft aflez prompte, fi le féchoir n'eft point
fitué dans un endroit humide. Le fabricant eft
dans de jutteé limites, lorfqu'il ne fait que cinq
livres de favon avec trois livres d’huile ; mais il eft
repréhenfible, lorfqu'avec une livre d’huile il fait
trois livres de favon, & même plus.
Les favonniers de Marfeille ne fuivent pas exactement,
dans la confection du favon, b marche
que nous venons d'indiquer; chacun d’eux,&même:
leurs chefs d'ateliers , prétendent avoir un fecret
particulier qu'ils cachent avec beaucoup de myf-
tère mais, en général, leurs méthodes fe réduisent
à deux principales. La première confifte à
préparer trois efpèces de leflives, telles que nous
l avons indiqué, 8e ils s'en fervent de diverfes
manières pendant la cuite du favon : l'autre méthode
confifte à préparer des leflives à différent
degrés de force, fuivant une progreflion arithmétique,
depuis quatre degrés jufqu’à feize. Ils commencent
à joindre à l'huile une certaine quantité
de leftive à quatre degrés , & ils attendent le
premier bouillon pour ajouter le refiant de leur
leftive à ce même degré ; ils paffent enfuite de 1a
même manière au degré fuivant, qu'ils épuifent
par parties , lorfque leur mélange bout, & ainfi
progreflivement, jufqu'à leurs derniers degrés,
ayec l'attention d’augmenter aufli graduellement
quantité de leftive qu'ils ajoutent , en raifon de
I épaifiiflement de leur matière ; ils parviennent
Chimie. Tome VI.
ainfi aux leflives de quinze à feize degrés, &
c'eft alors qu’il« ont la plus grande attention de
ne point mettre de cette dernière leftive en excès,
crainte de voir féparer, ou ce qu’fis appëllent
tourner leur matière, événement qu’ils regardent
comme un inconvénient des plus nuifibles, par les
difficultés qu'ils éprouvent à rétablir la liaifon,
l’union 8e la concrétion de la pâte, qu’ils fe pro-
pofent conftamment de conferver & de fortifier ,
& parce que, dans ce cas, ils n'obtiennent pas
la même quantité de favon : ils en reconnoiftent
b cuite de la manière que nous l’avons indiquée ,
de ils le coulent tout de même dans les mifes.
Nous préférons b première méthode que nous
avons décrite, à cette dernière : elle donne conftamment
du favon de bonne qualité ; 8e quoiqu'elle
foit un peu différente de celle de plufieurs
favonniers , nous pouvons afturer que fi l'on ne
s’écarte pas de b marche que nous avons tracée ,
on réuflira parfaitement à faire de bon favon.
Le citoyen Lartigue, élève de l'un de nous,
après nous avoir aidé dans les diverfes expériences
dont nous rendrons compte, a fait d’après cette
méthode , dans l'atelier d'un favonnier de Paris,
plufieurs venues ou cuites de favon en grand ,
lefquelles lui ont très- bien réufli. L'on- doit donc
compter fur cette méthode d’opérer. •
Du favon marbré.
Le favon marbré ne diffère du favon blanc ordi"
naire y que par la cpuleur qu’on lui ajoute pour
le veiner de taches bleues & rouges. Les couleurs
que l’on emploie à cet effet font des oxides
de fer noir 8e rouge. Ce favon eft aufli plus folide
que le blanc, parce que , pour le marbrer,fi faut
le dsffécher davantage, ou le priver d’une plus
grande quantité d’eau. On parvient à marbrer le
favon, en lui ajoutant, lorfqu'il eft cuit ( & après
avoir féparé 1a leftive alcaline fur laquelle il fe
réunit ) , une certaine quantité de leftive neuve,
& peu de tems après une difîblution de fulfate de
fer. La foude. eauftique décompofe le fulfate de
fe r , 8e il en réfulte un précipité ou oxide de fer
noir (i) , lequel le trouve empâté par le fayon ,
qui, par cette addition, prend une teinte bleue :
onlaiffe alors refroidir légèrement le favon dans la
chaudière, 8e on fépare enfuite, par l ’épine, la
liqueur alcaline qui s'eft ramaflée au fond : on fait
alors chauffer 1 e favon feulement pour le liquéfier.
D'un autre côté , on a du brun-rouge ou oxide
de fer rouge parfaitement divife 8e délayé dans
( i) J ’ai démontré que le précipité qui fe forme alors n’eft
pas de l'oxide pur , mais'dè 1-iiydrofulfure de fer le du favon
de ce métal, lefquels font produits par la décompofition de
1 hydrofulfure alcalin qui éxifte dans la leflîve de foude, le
d une portion de favon» Ces deux compofés forment la mar-
brüre. On peut,, les féparqr du favon alcalin au moyen de
1 alcoo l, qui ne les difïbut pas.
P