l’on vînt nous apprendre ee qu’était devemi
mon malheureux domestique. Le lieu où nous
nous arrêtâmes était une de ces savanes dont
l’herbe longue et serrée annonçait un sol humide
: il l’était en effet ; e t , dans les endroits
les moins profonds , la pluie y avait accumuler
jusqu’à trois pouces d’eau.
Nous entendîmes bientôt appeler du secours ;
c’était la voix de Guichard : il nous criait
d’envoyer un des plus forts noirs pour aider
à rapporter Alexandre que Cochinard avait
trouvé étendu et sans mouvement à quelque
distance. Ce malheureux était sur le bord d’un
précipice où, par le plus grand bonheur, sa
chute ne l’avait pas entraîné ; saisi par le froid,
il avait perdu l’usage de ses sens.
A peine avions-nous envoyé le noir le plu»
robuste, que Casimir, gros eafre dont Jou-
vancourt m’avait fait présent, tomba roide à
nos pieds. Saisi d’une crampe que lui causaient
les intempéries que nous endurions, il ne pouvait
parler ni se plaindre ; ses membres contractés
semblaient avoir pour toujours perdu
leur souplesse.
L ’exercice était le seul remède qu’il nou»
fût possible d’employer 5 et dans cette position
que tout paraissait concourir à rendre si cruelle,
ïious avions l’affreuse perspective de voir suc- - ..
cessivement périr à nos yeux les infortunés ÿ'j
que nous avions conduits dans ces régions mair*.i
sauvages.
Nous relevâmes donc Casimir, et, en attendant
Alexandre, nous prîmes le parti de faire
faire à tous nos gens des mouvemens forcés.
C’était vraiment un tableau singulier que celui
dont nous étions les personnages. Je vois
encore le Gentil dont l’air triste et sérieux
semblait nous reprocher la gaîté qu’Hubert et
moi affections pour encourager les noirs ; il
traînait par le bras Casimir grelotant et tout
roidi, qui le suivait de profil. Hubert, tantôt
pensif, tantôt riant, poussant Casimir par le
sac de vacois qu’il portait derrière le dos,
terminait le premier groupe.
Obligé dë m’armer d’une sévérité salutaire,
je fermais la route une baguette à la main,
faisant marcher devant moi, comme un troupeau
, les six autres nègres demeurés avec
nous dans la savane, et qui, si on ne les eût
forcés d’agir, se seraient laissé mourir de froid
en cédant au mal-aise qu’ils éprouvaient.
Nous errâmes ainsi pendant trois quarts-
d’heure, faisant cent pas dans l’eau que nos
pieds faisaient jaillir sur tout notre corps, et