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de prendre beaucoup de précautions , ils mirent
plus de deux heures à se tirer des mauvais
pas.
Au moment de quitter le coteau Maigre, nous
réfléchîmes qu’il nous serait impossible d’arriver
avant la nuit à la caverne où nous devions
nous reposer , et que nous courions les risques
de coucher en plein air par un tems affreux.
Nous nous arrêtâmes donc pour rallier les
traîneurs, et pour marcher ensuite en troupe.
Malgré que la pluie redoublât, le brouillard
était extrêmement épais ; nos gens arrivaient
l’un après l’autre en grelotant : le froid était
d’autant plus sensible pour eux , qu’ils étaient
accoutumés à la température ardente des bas,
et à-peu-près nus. Cependant l’un d’eux n’arrivait
pas ; c’était précisément mon domestique
Alexandre : nous l’attendîmes pendant une
heure inutilement 5 en vainGuichard l’appelait
avec une voix de Stentor; l’écho seul répondant
à ses cris , nous prouvait qu’il se faisait
entendre à de grandes distances ; et Alexandre
eût dû y répondre, s’il ne lui fût arrivé aucun
accident fâcheux. Les inquiétudes que son
silence ' nous donnait étaient d’autairt plus
grandes , que , si le froid l’avait saisi , nous
nous trouvions dans l’impossibilité de le rappeler
à la vie en allumant du feu * parce que"” ““ *
les arbustes étaient si humides , que nous
n’eussions jamais pu les faire brûler : toutes maire‘i
nos liardes et nos couvertures étaient en outre
mouillées j et l’eau avait pénétré par-tout.
Guichard et Cochinard retournèrent sur
leurs pas, tremblans de crainte de retrouver
Alexandre sans vie, ou plutôt de ne plus le
retrouver du tout. Je fis partir de suite Jean
Duguin et ses créoles pour la grotte, avec
ordre d’y faire sécher des ambavilles pour
allumer un grand feu en cas d’accident. Pour
nous, exposés aux injures dü tems, enveloppés
des nuages les plus épais, transis de froid et
excédés de fatigue, nous demeurâmes au lieu
où nous nous étions arrêtés , en attendant ce
qui pourrait en arriver.
C’est dans cette position vraiment critique
qu’en remuant des mousses au pied de quelques
arbustes du bord du chemin que nous avions
tenu , je découvris avec horreur une tête et
des ossemens humains. Les pensées tristes où
nous jeta ce spectacle, et le froid qu’augmentait
notre inaction , nous déterminèrent à
avancer de quelques pas.
Demeurés sans guides, et ne connaissant pas
les lieux, il fallut attendre de nouveau que