
le maître doit toujours être prêt à monter à cheval et à combattre.
Le soir venu, les enfants et les vieilles femmes couchent
d un côté et 1 époux de l’autre après avoir fermé la tente du
côté do la campagne.
Lorsqu’un soleil radieux éclairé de ses gais rayons le tellis
aux couleurs' voyantes, les femmes et les enfants se roulant
pêle-mêle, les poules qui caquettent, les coqs à la démarche
provocante, le chevreau alerte et vif jouant avec l’enfant en
bas âge, la poésie de la tente se devine; mais, en Algérie, le
climat est variable; un coup de vent, et toute cette harmonie
est rompue. Les femmes sortent en hâte pour raffermir les
piquets. L horizon chargé de nuages annonce uu orage; bientôt
la pluie tombe à torrents. La pioche à la main, la femme se
hate de creuser un fossé autour de la tente, soulevée, ballottée,
couverte de boue. Des grêlons gros comme des balles
meurtrissent les troupeaux,, percent la toile, pénètrent par
tous les interstices. D’autres fois la neige couvre d’un blanc
linceul la campagne tout entière. Les troupeaux, les arbres,
les tentes, tout disparaît.
Que fait pendant ce temps le maître de la tente? Couché
sur sa natte, le capuchon de son burnous rabattu sur les yeux,
il dort ou rêve.
Il faudra pour le tirer de sa rêverie que toutes les forces
déchaînées de 1 ouragan mettent l’existence des siens en péril.
Qu’importe que la tente, soulevée par les vents en fureur,
menace d’être emportée ou abattue sous les rafales, rien ne"
doit troubler la quiétude de son repos, ce n’est après tout
qu’un des mille inconvénients de la vie libre.
: Mais S’il, a eu l’imprudence de planter sa tente dans
l’estuaire d’un de ces fleuves aux rives flottantes, à sec durant
des années entières, qu’un orage transforme en une mer bondissante,
alors, on le voit lutter avec une énergie sans égale.
Presque toujours, de pauvres enfants, des femmes, des vieillards
sont victimes de ces tourmentes imprévues; mais la
mort est chose si naturelle dans cette vie de luttes et de dangers
continuels-qu’on oublie vite ceux qui s ’en vont.
L’homme se réserve tout ce qui n’est pas du domaine de
la tente ; c’est lui qui laboure, qui moissonne, qui dépique le
grain et l’ensilote. Il tond les brebis, surveille les troupeaux,
chasse, monte à cheval, fait la guerre, va aux corvées, rend
visite à ses amis, court les marchés.
La nuit venue, l’homme se couche tard, la tête tournée
vers son troupeau, le pistolet ou le fusil près de lui; au
moindre bruit, il se lève, c’est un voleur, c’est un chacal, c’est
lin amoureux. Des chiens au poil fauve, aux dents aiguës,
l’assistent dans sa veille; à l’intensité, aux inflexions de leurs
aboiements, l’Indigène sait reconnaître s’il s’agit d’une bête
fauve, d’un passant éloigné, d’un ou plusieurs voleurs. La
nuit n’est qu’une veille; aussi, pour en diminuer la longueur,
prolonge-t-il la soirée autant que faire se peut.
Ce n ’est qu’au matin qu’il s'endort pendant que la
femme, ayant compté et envoyé aux champs le troupeau,
procède aux soins du ménage.
Vers midi, si elle trouve un moment de repos, elle s’assied
et fait sa toilette. Un peu d’eau sur le visage et les cheveux,
un coup d’oeil jeté au miroir d’un sou qui ne la quitte jamais ;
un peu de koheui (1) enfermé dans les plis de sa melhafa, et
qui donnera à ses yeux de l’éclat et de la douceur, un peu de
henné au bout des doigts ; en faut-il davantage pour plaire à
son mari?
C’est par la douce langueur des yeux et la démarche lascive
que plaisent les femmes arabes... Il y a des femmes
arabes travailleuses, économes, fidèles, point coquettes, mais
c’est le petit, le très petit nombre. Toutes sont bonnes mères.
C’est une gloire pour elles que de porter le plus lourd fardeau,
d’être prêtes à abattre et à bâtir la tente, à seller le
cheval du maître, à faire le chargement du mulet lors des
migrations.
Un enfant à la main, un autre sur le dos, la femme arabe
va, vient, travaille, et, le soir, elle répète en s’endormant ce
dicton populaire :
Mule le jour ; reine bien-aimée la nuit (2).
C’est la nécessité des lieux qui fait les sédentaires
et les nomades ; mais le nomade qui a gardé plus
purs et sa langue et les préceptes du Coran méprise
le tellien déchu et le regarde comme son inférieur,
de même que le Mozabite commerçant.
Le gourbi. — Le gourbi n ’est qu’une hutte en
(1) Poudre de galène, servant à noircir les sourcils et le bord
des paupières.
(ï) Villot, Moeurs et coutumes des indigènes de L’Algérie.