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que comme l’on n’a trouvé dans toute cette partie de
l ’Amérique aucune nation civilifee, le nombre des hommes
y étoit encore trop petit & leur établiftement dans
ces contrées trop nouveau pour qu’ils aient pu fentir la
nécelfité ou même les avantages de fe réunir en fociété ;
car quoique ces nations fauvages euiïent des efpèces de
moeurs ou de coutumes particulières à chacune, & que
les unes fuflent plus ou moins farouches, plus ou moins
cruelles, plus ou moins courageufes , elles étoient toutes
également ftupides, également ignorantes, également dénuées
d ’arts & d ’induftrie.
J e ne crois donc pas devoir m’étendre beaucoup fur ce
qui a rapport aux coutumes de ces nations làuvages, tous
les Auteurs qui en ont parlé n’ont pas fait attention que
ce qu’ils nous donnoient pour dés ulages conftans & pour
les moeurs d ’une fociété d ’hommes, n’étoit que des aétions
particulières à quelques individus fouvent déterminez par
les circonftances ou par le caprice; certaines nations,
nous difent-ils, mangent leurs ennemis, d'autres les brûlen
t, d ’autres les mutilent, les unes font perpétuellement
en g u erre, d’autres cherchent à vivre en paix ; chez les
unes on tue fon père lorfqu’il a atteint un certain âge r
chez les autres les pères & mères mangent leurs; enfàns,
toutes ces hiftoires fur lefquelles les voyageurs le font
étendus avec tant de complaifance fe réduifent à des récits
de faits particuliers, & fignifient feulement que tel fàuvage
a mangé fon ennemi , tel autre l’a brûlé ou mutilé', tel
autre a tué ou mangé fon enfant, & tout cela peut fe
D E L ’ H O M M E . 4 9 1
trouver dans une feule nation de làuvages comme dans
plufieurs nations, car toute nation où il n’y a ni règle ,
ni loi , ni maître , ni fociété habituelle, eft moins une
nation qu’un alfemblage tumultueux d ’hommes barbares
& indépendans , qui n’obéilfent qu’à leurs pallions particulières
,& qui ne pouvant avoir un intérêt commun, font
incapables de fe diriger vers un même but & de fe foû-
mettre à des ulages conftans, qui tous fuppofontune fuite
de deffeins raifonnez & approuvez par le plus grand
nombre.
L a même nation, dira-t-on , eft compofée d ’hommes
qui fe reconnoiflent, qui parlent la même langue, qui fe
réunifient, lorfqu’il le faut,fous un ch ef,q u i s’arment de
m êm e , qui hurlent de la même façon , qui fe barbouillent
de la même couleur ; oui fî ces ulàges étoient c o n ftans
, s’ils ne fe réunifibient pas fouvent lans lavoir pourquoi
, s’ils ne fe féparoient pas fans raifon , fi leur ch ef
ne ceflbit pas de l’être par fon caprice ou par le le u r, fi
leur langue même n ’étoit pas fi fimple qu’elle leur eft
prefque commune à tous.
Comme ils n ’ont qu’un très-petit nombre d ’idées , ils
n ’ont aulfi qu’une très-petite quantité d’expreflions , qui
toutes ne peuvent rouler que fur les chofes les plus générales
& les objets les plus communs ; & quand même la
plûpart de ces expreflïons feraient différentes, comme
elles fe réduifent à un fort petit nombre de termes , ils
ne peuvent manquer de s’entendre en très-peu de temps,
& il doit être plus facile à un fauvage d ’entendre & de
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