actuellement la vingtième partie du nombre des peuples
naturels qui y étoient lorfqu’on en fit la découverte, &
que ces nations fauvages ont été ou détruites ou réduites
à un fi petit nombre d ’hommes, que nous ne devons pas
tout-à-fait en juger aujourd’hui comme nous en aurions
jugé dans ce temps ; mais quand même on accorderait
que l’Amérique feptentrionale avoit alors vingt fois plus
d ’habitans qu’il n ’en relie aujourd’h u i, cela n ’empêche
pas qu’on ne dût la confidérer dès-lors comme une terre
déferte ou fi nouvellement peuplée, que les hommes n’a-
voient pas encore eu le temps de s’y multiplier. M . Fabry
que j’ai cité* & qui a fait un très-long voyage dans la
profondeur des terres au nord-oueft duMilfilfipi où per-
fonne n’avoit encore pénétré, & où par conféquent les
nations fauvages n ’ont pas été détruites, m’a alfuré que
cette partie de i ’Amérique elt fi déferte qu’il a fouvent
fait cent & deux cens lieues fans trouver une face humaine
ni aucun autre veftige qui pût indiquer qu’il y eût quelque
habitation voifine des lieux qu’il parcourait, & lorf-
qu’il rencontrait quelques-unes de ces habitations, c’étoit
toujours à des dillances extrêmement grandes les unes
des autres, & dans chacune il n’y avoit fouvent qu’une
feule famille, quelquefois deux ou tro is, mais rarement
plus de vingt perfonnes enfemble, & ces vingt perfonnes
étoient éloignées de cent lieues de vingt autres perfonnes.
Il eft vrai que le long des fleuves & des lacs que l’on a
* Voyez i’hiftoire naturelle, générale & particulière. Paris, 1 7 4 9 ,
J'orne 1, page 340.
remontez
remontez oufuivis, on a trouvé des nations fauvages com-
polées d ’un bien plus grand nombre d ’hommes, & qu’il
en relie encore quelques-unes qui ne lailfent pas d ’être
allez nombreufes pour inquiéter quelquefois les habitans
de nos Colonies ; mais ces nations les plus nombreufes fe
réduifent à trois ou quatre mille perfonnes, &, ces trois
ou quatre mille perfonnes font répandues dans un elpace
de terrein fouvent plus grand que tout le royaume de
France , de forte que je fuis perfuadé qu’on pourrait
avancer, fans craindre de fe tromper, que dans une feule
ville comme Paris il y a plus d ’hommes qu’il n ’y a de
fauvages dans toute cette partie de l’Amérique feptentrionale
comprife entre la mer du nord & la mer du
fud, depuis le golfe du Mexique jufqu’au no rd , quoique
cette étendue de terre fbit beaucoup plus grande que
toute l’Europe.
La multiplication des hommes tient encore plus à la
fociété qu’à laNature, &Ies hommes ne font fi nombreux
en comparaifon des animaux fauvages que parce qu’ils fc
font réunis en fo ciété, qu’ils fe font aidez, défendus , fé-
courus mutuellement. Dans cette partie de l’Amérique
dont nous venons de parler, les Bifons* font peut-être plus
abondans que les hommes ; mais de la même façon que le
nombre des hommes ne peut augmenter confidérable-
ment que par leur réunion en fociété, c’eft le nombre des
hommes déjà augmenté à un certain point qui produit
prefque néceflairement la fociété ; il eft donc à préfumer
* Efpèce <Ie boeufs fauvages différais de nos boeufs.
Tome 111. Qq q