348 H i s t o i r e N a t u r e l l e
n ’ é to ie n t m is en m o u v em e n t p a r c e fe n s ; u n fo u rd d e
n a if fa n c e e ft n é c e lfa i r em e n t m u e t , il n e d o i t a v o i r a u c u n e
c o n n o i l fa n e e d e s c h o fe s a b ftra ite s & g é n é r a le s . J e d o is
r a p p o r te r i c i l ’h i f to i r e a b r é g é e d ’un fo u rd d e c e t t e e f p è c e ,
q u i e n te n d it to u t à c o u p p o u r la p r em iè r e fo is à i ’â g e d e
v in g t -q u a t r e a n s , t e lle q u ’ o n la t r o u v e dans le v o lum e d e
l ’ A c a d é m i e , année 1 7 0 3 , page 18.
« M. Felibien de l’Académie des Infcriptions fit favoir
« à l’Académie des Sciences un événement fingulier, peut-
» être inoui, qui venoit d’arriver à Chartres. Un jeune hom-
». me de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d ’un artilan,
» fourd & muet de nailfance, commença tout d ’un coup à
» parler au grand étonnement de toute la ville ; on lut de
» lui que quelques trois ou quatre mois auparavant il avoit
» entendu le Ion des cloches & avoit été extrêmement fur-
» pris de cette fenfation nouvelle & inconnue ; enfuite il lui
» étoit forti une elpèce d ’eau de l’oreille gauche, & il avoit
» entendu parfaitement des deux oreilles ; il fut ces trois ou
» quatre mois à écouter fans rien d ire , s’accoutumant à ré-
» péter tout bas les paroles qu’il entendoit, & s’affermilfant
» dans la prononciation & dans les idées attachées aux mots,
» enfin il fe crut en état de rompre le filence, & il déclara
» qu’il parloit, quoique ce ne fût encore qu’imparfaitement ;
» aulfi-tôt des Théologiens habiles l ’interrogèrent fur fon
» état p alfé, & leurs principales queftions roulèrent fur
» D ie u , fiir l’ame, fin la bonté ou la malice morale des
» aétions, il ne parut pas avoir poulfé fespenfées jufque-là;
» quoiqu’il fût né de parens catholiques, qu’il affiliât à la
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meffe, qu’il fût inftruit à faire le figne de la croix & à fe «
mettre à genoux dans la contenance d ’un homme qui prie, «
il n ’avoit jamais joint à tout cela aucune intention, ni com- «
pris celle que les autres y joignoient, il ne favoit pas bien «
dillinélement ce que c’étoit que la mort, & il n y penfoit «
jamais, il menoit une vie purement animale, tout occupe «
des objets fenfibles & préfens, & du peu d ’idées qu’il re- «
cevoit par les yeux ; il ne tiroit pas meme de la compa- «
raifon de ces idées tout ce qu il femble qu il en auroit pu «
tire r, ce n’eft pas qu’il n’eut naturellement de i’efprit, «
mais l’efprit d’un homme privé du commerce des autres «
eft fi peu exercé & fi peu cultive, qu il ne penfe qu autant «
qu’il y eft indifpenfablement forcé par les objets exté- «
rieurs ; le plus grand fonds des idees des hommes eft dans «
leur commerce réciproque. »
Il ferait cependant très-pôffible de communiquer aux
fourds ces idées qui leur manquent, & même de leur
donner des notions exactes & précifes des chofes abftraites
& générales par des lignes & par 1 écriture ; un lourd
de nailfance pourrait avec le temps & des fecours alfidus
lire & comprendre tout ce qui ferait é c rit, & par confisquent
écrire lui-même & fe faire entendre fur les chofes
même les plus compliquées ; il y en a , d it-o n , dont on a
fuivi l’éducation avec alfez de foin pour les amener à un
point plus difficile encore, qui eft de comprendre le fens
des paroles par le mouvement des lèvres de ceux qui les
prononcent, rien ne prouverait mieux combien les fens
fe relfemblent au fo n d , & jufqu’a quel point ils peuvent fe
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