lanternes foient plus obfcures, ou feulement fi dans la
file de ces lumières il s’en trouve une feule qui foit plus
brillante & plus vive que les autres, cette lumière plus
vive paraîtra au fpectateur comme fi elle étoit la première
de la file, & il jugera dès-lors que les autres, qui cependant
la précèdent réellement, la fuivent au contraire; or
cette tranfpofition apparente ne peut fe faire, ou plutôt
fe marquer, que par le changement de leur fituation de
gauche à droite; car juger devant ce qui eft derrière dans
une longue file , c ’efl: voir à droite ce qui efl; à gauche,
ou à gauche ce qui efl à droite.
Voilà les défauts principaux du fens de la vue & quelques
unes des erreurs que ces défauts produifent ; examinons
à préfent la nature, les propriétés & l’étendue de cet
organe admirable, par lequel nous communiquons avec
les objets les plus éloignez. La vue n’eft qu’une efpèce
de toucher, mais bien différente du toucher ordinaire :
pour toucher quelque chofe avec le corps ou avec la
main, il faut ou que nous nous approchions de cette chofe
ou qu’elle s’approche de nous, afin d ’être à portée de
pouvoir la palper, mais nous la pouvons toucher des yeux
à quelque diftance qu’elle foit, pourvti qu’elle puiffe renvoyer
une allez grande quantité de lumière pour faire
impreffion fur cet organe, ou bien qu’elle puiffe s’y peindre
fous un angle fenfible. L e plus petit angle fous lequel les
hommes puiffent voir les objets, efl d ’environ une minute,
il efl rare de trouver des yeux qui puiffent apercevoir
un objet fous un angle plus petit; cet angle donne pour
la plus grande diftance à laquelle les meilleurs yeux peuvent
apercevoir un objet, environ 3436 fois le diamètre
de cet objet; par exemple, on cdfera de voir à 3436
pieds de diftance. un objet haut & large d ’un pied ; on
ceffera de voir un homme haut de cinq pieds à la diftance
de 17180 pieds ou d ’une lieue & d ’un tiers de
lieue, en fuppofànt même que ces objets foient éclairez du
foleil. Je crois que cette eftimation que l’on a faite de la
portée des yeux, efl plutôt trop forte que trop foible, &
qu’il y a en effet peu d ’hommes qui puiffent apercevoir
les objets à d ’auffi grandes diftances.
Mais il s’en faut bien qu’on ait par cette eftimation une
idée jufte de la force & de l’étendue de la portée de nos
yeux; car il faut faire attention à une circonftance effentielle
dont la confidérationprife généralement a, ce me femble,
échappé aux Auteurs qui ont écrit fur l ’Optique, c ’eft que
la portée de nos yeux diminue ou augmente à proportion
de la quantité de lumière qui nous environne, quoiqu’on
fuppofe que celle de l’objet refte toujours la même; en forte
que fi le même objet que nous voyons pendant le jour à la
diftance de 343 6 fois fon diamètre, reftoit éclairé pendant
la nuit de la même quantité de lumière dont il l'était pendant
le jo u r, nous pourrions l’apercevoir à une diftance cent
fois plus grande, de la même façon que nous apercevons
la lumière d ’une chandelle pendant la nuit à plus de deux
lieues, c’eft-à-dire, en fuppofànt le diamètre de cette lumière
égal à un pouce, à plus de 316800 fois la longueur
de fon diamètre, au lieu que pendant le jo u r, & fur-tout