ma main, comme elle me donnoit des idées toutes differentes
des impreffons que je recevois par le fens de la vue,
mes fenfations n’étant p a s d'accord entre elles , mes juge-
mens n’en étoient que plus imparfaits, & le to ta l de mon
être n étoit encorepour moi-même qu’une exiflence en confusion.
Profondément occupé de moi, de ce que j ’étois , de ce que
je pouvois être, les contrariétés que je venois d ’éprouver
m’humilièrent, plus je réfléchiffois, plus il fe préfentoit de
doutes ; laffé de tant d'incertitudes, fatigué des mouvemens
de mon ame, mes genoux fléchirent è r je me trouvai dans
une fltuation de repos. Cet état de tranquillité donna de
nouvelles forces h mes fen s, j ’étois ajjîs à l ’ombre dun bel
arbre , des fru its d ’une couleur vermeille defcendoient en
forme de grappe à la portée de ma main, je les touchai légèrement
, auff-tôt ils fe féparèrent de la branche, comme la
figue s’en fépare dans le temps de fa maturité.
J ’avois fa ifi un de ces fru its, je m’imaginois avoir fa it
une conquête, & je me glorifiois de la faculté que je fentois,
de pouvoir contenir dans ma main un autre être tout entier;
f a pefauteur, quoique peu fenfible, me parut une réfifiance
animée que je me fa ifo is unplaifir de vaincre.
J’avois approché ce fru it de mes y e u x , j ’en confidérois
la forme è r les couleurs, une odeur déiicieufe me le f i t approcher
davantage, il fe trouva près de mes lèvres, je tirois
à longues infpirations le parfum, è r gantois à longs traits
les p la ifrs de l ’odorat ; j ’étois intérieurement rempli de cet
air embaumé, ma bouche s’ouvrit pour l ’exhaler, elle fe rouvrit
pour en reprendre, je fen d s que jepoffédois un odorat
intérieur
d e l' H o m m e . 369
intérieur plus fin , plus délicat encore que le premier, enfin
je goûtai.
Quelle faveur ! quelle nouveauté de fenfadon ! jufque-là
je n’avois eu que des p la ifrs , le goût me donna le fentimcnt
de la volupté, l ’intimité de la jouijfance f it naître l’idée de la
poffeffion, je crus que la fubfiance de ce fru it étoit devenue
la mienne, è r que j ’étois le maître de transformer les êtres.
Flatté de cette idée de puiffance, incité par leplaifir que
j ’avois fen d , je cueillis un fécond è r un troifième fr u it, i r
je ne me lajfois p a s d ’exercer ma main pour fa d sfiire mon
goût ; mais une langueur agréable s’emparant peu à peu de
tous mes fen s, appéfandt mes membres i r fufpendit l ’activité
de mon ame ; je jugeai de fon inadion p ar la mollejfe
de mespenfées, mes fenfations émoujfées arrondijfoient tous
les objets è r ne me préfentoient que des images foibles è r
mal terminées ; dans cet infant mes yeu x devenus inutiles
. fe fermèrent, è r ma tête n’étant plus foûtenue par la force
des mufcles, pencha pour trouver un appui fu r le gaçon.
Tout fu t effacé > tout difparut, la trace de mes penfées
fu t interrompue, je perdis le fendment de mon exiflence:
ce fommeil fu t profond, mais je ne fa is s’il fu t de longue
durée, n ayant point encore l’idée du temps è r ne pouvant
le mefurer ; mon réveil ne fu t quune fécondé naiffance, éT
je fen ds feulement que j ’avois cejje d ’ctre.
Cet anéandffement que je venois d ’éprouver, me donna
quelque idée de crainte, èr me f it fentir que je ne devoispas
exifier toujours.
J ’eus une autre inquiétude, je ne favois f i je navoispas
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Tome III. A a a