on le verra fimple, tandis qu’on verra double en même
temps l’objet le plus voifin ; ceci prouve encore évidemment
que nous voyons en effet tous les objets doubles,
quoique nous les jugions fimples, & que nous les voyons
où iis ne font pas réellement, quoique nous les jugions
où ils font en effet. Si le fens du toucher ne reélifioit
donc pas le fens de la vûe dans toutes les occafions,
nous nous tromperions fur la pofition des objets, fur leur
nombre & encore fur leur lieu; nous les jugerions ren-
verfez, nous les jugerions doubles, & nous les jugerions
à droite & à gauche du lieu qu’ils occupent réellement,
& fi au lieu de deux yeux nous en avions cent, nous
jugerions toujours les objets fimples, quoique nous les
viffions multipliez cent fois.
Il fe forme donc dans chaque oeil une image de l’objet
, & lorfque ces deux images tombent fur les parties
de la rétine qui font correfpondantes, c ’e f l- à -d ir e , qui
font toujours affeétées en même temps r les objets nous
paroiffent fimples, parce que nous avons pris l’habitude
de les juger tels ; mais fi les images des objets tombent
fur des parties de la rétine qui ne font pas ordinairement
affeélées enfemble & en même temps , alors les objets
nous paroiffent doubles, parce que nous n’avons pas pris
l’habitude de reélifier cette fenfàtion qui n ’eft pas ordinaire,
nous fommes alors dans le cas d ’un enfant qui
commence à voir & qui juge en effet d ’abord les objets
doubles. M. Chefelden rapporte dans fon anatomie, page
3 2 4 , qu’un homme étant devenu louche par l’effet d ’un
coup à la tê te , vit les objets doubles pendant fort long
temps, mais que peu à peu il vint à juger fimples ceux
qui lui étoient les plus familiers, & qu’enfin après bien
du temps il les jugea tous fimples comme auparavant ,
quoique fes yeux euffent toûjours la mauvaife difpofition
que le coup avoit occafionnée. Cela ne prouve-t-il pas
encore bien évidemment que nous voyons en effet les
objets doubles, & que ce n’efl que par l’habitude que
nous les jugeons fimples ! & fi l’on demande pourquoi il
faut fi peu de temps aux enfans pour apprendre à les juger
fimples, & qu’il en faut tant à desperfonnes avancées en
âge, lorfqu’il leur arrive par accident de les voir doubles,
comme dans l’exemple que nous venons de citer,on peut
répondre que les enfans n’ayant aucune habitude contraire
à celles qu’ils acquièrent, il leur faut moins de temps
pour reélifier leurs fenfàtions ; mais que les perfonnes qui
ont pendant 2 0 , 30 ou 40 ans vu les objets fimples,
parce qu’ils tomboient fur deux parties correfpondantes
delà rétine, & qui les voient doubles, parce qu’ils ne tombent
plus fur ces'mêmes parties, ont le défàvantage d’une
habitude contraire à celle qu’ils veulent acquérir, & qu’il
faut peut-être un exercice de 2 0 , 30 ou 40 ans pour
effacer les traces de cette ancienne habitude de juger;
& l’on peut croire que s’il arrivoit à des gens âgez un
changement dans la direélion des axes optiques de l’oeil,
& qu’ils vident les objets doubles, leur vie ne ferait plus
affez longue pour qu’ils pûffent reélifier leur jugement en
effaçant les traces de la première habitude, & que par