fécond oeil les objets beaucoup plus grands qu’il ne les
voyoit de l’au tre , mais cependant pas aulfi grands qu’il
les avoit vus du premier oe il, & lorfqu’il regardoit le même
objet des deux yeux à la fo is, il difoit que cet objet lui
paroilïoit une fois plus grand qu’avec fon premier oeil
tout feul; mais il ne le voyoit pas double, ou du moins
on ne pût pas s’alfurcr qu’il eût vû d ’abord les objets
doubles, lorfqu’on lui eut procuré i’ufage de fon fécond
oeil.
M. Chefelden rapporte quelques autres exemples d ’aveugles
qui ne fe fouvenoient pas d ’avoir jamais v û , &
auxquels il avoit fait la même opération, & il affine que
lorfqu’ils commençoient à apprendre à voir, ils avoient
dit les mêmes chofes que le jeune homme dont nous
venons de parler, mais à la vérité avec moins de d étail,
& qu’il avoit obfervédur tous que comme ils n ’avoient
jamais eu befoin de faire mouvoir leurs yeux pendant le
temps de leur coe c ité , ils étoient fort embarralfez d ’abord
pour leur donner du mouvement, & pour les diriger fur
un objet en particulier, & que ce n’étoit que peu à p e u ,
par degrés & avec le temps qu’ils apprenoient à conduire
leurs yeux, & à les diriger fur les objets qu’ils defiroient
de confidérer*.
* On trouvera un grand nombre de faits très-in téreflans au fujet
des aveugles - nez, dans un petit Ouvrage qui vient de paroître , & qui
a pour titre : Lettre fur les aveugles, a l’ufage de ceux qui voient. L’Auteur
y a répandu par-tout une métaphyfique très-fine & très-vraie, par laquelle
il rend raifbn de toutes les différences que doit produire dans l’eiprit
d’un homme la privation abfolue du fens de la vue.
Lorfque par des circonftances particulières nous ne
pouvons avoir une idée jufte de la diftance, & que nous
ne pouvons juger des objets que par la grandeur de l'angle
ou plûlôt de l’image qu’ils forment dans nos yeux,
nous nous trompons alors néceflairement fur la grandeur
de ces objets, tout le monde a éprouvé qu’en voyageant ;
la nuit on prend un builfon dont on eft près pour un
grand arbre dont on eft loin , ou bien on prend un grand
arbre éloigné pour un builfon qui eft voifin : de meme
fi on ne connoît pas les objets par leur forme , & qu’on
ne puilfe avoir par ce moyen aucune idée de diftance ,
on fe trompera encore nécelfairement; uné mouche qui
palfera avec rapidité à quelques pouces de diftance de
nos y eu x , nous paraîtra dans c e cas être un oifeau qui
en ferait à une très-grande diftance; un cheval qui ferait
fans mouvement dans le milieu d ’une campagne, & qui
ferait dans une attitude fembiable, par exemple, à celle
d ’un mouton, ne nous paroîtra pas plus gros qu’un mouton
, tant que nous ne reconnoîtrons pas que c ’eft un
cheval, mais dès que nous l’aurons reconnu, il nous paroîtra
dans l’inftant gros comme un cheval, & nous rectifierons
fur le champ notre premier jugement.
Toutes les fois qu’on fe trouvera donc la nuit dans
des lieux inconnus où l’on ne pourra juger de la.diftance,
& où l’on ne pourra reconnoître la forme des chofes a
caufe de l’obfcurité, on fera en danger de tomber à tout
inftant dans l’erreur au fujet des jugemens que l’on fera
fur les objets qui fe préfenteront ; c’eft de-ià que vient