fuppléer ; cependant il me paraît que comme la plus grande
partie des fons fe forment & s’articulent au-dedans de la
to u c h e par des mouvemens de la langue qu’on n’aperçoit
pas dans un homme qui parle à la manière ordinaire,
un fourd & muet ne pourrait connoître de cette façon que
le petit nombre des lÿllabes qui font en effet articulées par
le mouvement des lèvres.
Nous pouvons citer à ce fujet un fait tout nouveau,
duquel nous venons d ’être témoins. M. Rodrigue Pe-
reire Portugais ayant cherché les moyens les plus faciles
pour faire parler les fourds & muets de naiflance, s’eft
exercé aflez long-temps dans cet art fingulier pour le porter
à un grand point de perfeétion ; il m’amena il y a environ
quinze jours fon élève M. d ’Azy d ’Etavigny, ce jeune
h omm e, fourd & muet de naiflance, efl: âgé d ’environ 19
ans; M. Pereire entreprit de lui apprendre à parler, à lire,
&.c. au mois de juillet 1 7 4 6 , au bout de quatre mois il
prononçoit déjà des iÿllables & des m o ts, & après dix
mois il avoit l’intelligence d ’environ treize cens mots, &
il les prononçoit tous aflez diftinétement. Cette éducation
fi heureufement. commencée fut interrompue pendant
neuf mois , par 1 ablence du maître , 6c il ne reprit
fon élève qu’au mois de février 1748 ; il le retrouva bien
moins inftruit qu’il ne l'avoit laifle, fa prononciation étoit
devenue très-vicieufe, & la plupart des mots qu’il avoit
appris, étoient déjà fortis de fa mémoire, parce qu’il ne
s ’en étoit pas fervi pendant un aflez long temps pour
qu ’ils euflfentfait des impreflions durables & permanentes.
M. Pereire commença donc à l’inftruire, pour ainfi dire,
de nouveau au mois de février 17 4 8 , & depuis ce temps-
là il ne l’a pas quitté jufqu’à ce jour ( au mois de juin
1749). Nous avons vû ce jeune fourd & muet à l’une de
nos aflemblées de l ’Académie, on lui a fait plufieurs quef-
tions par écrit, il y a très-bien répondu, tant par l’écriture
que par la parole, il a à la vérité la prononciation lente &
le fon de la voix ru d e , mais cela ne peut guère être autrement,
puifque ce n’ell que par l’imitation que nous amenons
peu à peu nos organes à former des fons précis, doux
& bien articulez, & comme ce jeunefourd & mu etn ’apas
même l’idée d ’un fo n , & qu’il n’a par conféquent jamais
tiré aucun fecours de l’imitation, fa voix ne peut manquer
d ’avoir une certaine rudefle que l’art de fon maître pourra
bien corriger peu à peu jufqu’à un certain point. Le peu
de temps que le maître a employé à cette éducation, & les
progrès de l’élève q u i, à la vérité paraît avoir de la vivacité
& de l’efprit, font plus que fuffffans pour démontrer qu’on
peut avec de l’art amener tous les fourds & muets de naif-
fance au point de commercer avec les autres h ommes,
car je fuis perfuadé que fi l’on eût commencé à inftruire
ce jeune fourd dès l’âge de fept ou huit ans , il feroit actuellement
au même point où font les fourds qui ont autrefois
parlé, & qu’il aurait un auffi grand nombre d ’idées
que les autres hommes en ont communément.