par lefquelles nous avons reétifié les idées de grandeur
que nous en donnoit le fens de la v û e , ayant été faites
horizontalement, nous n’avons pu acquérir la meme habitude
de juger de la grandeur des objets élevez ou abaiffez
au deffous de nous, parce que ce n’eft pas dans cette
direction que nous les avons mefurez par le to u ch er, &.
c ’eft par cette raifon & faute d ’habitude à juger les dilatances
dans cette direction, que lorfque nous nous trouvons
au deflus d ’une tour élevée, nous jugeons les hommes
& les animaux qui font au deffous beaucoup plus
petits que nous ne les jugerions en effet à une diftance égale
qui ferait horizontale, c’eft-à-dire, dans la direction ordinaire.
II en elt de même d ’un coq ou d ’une boule qu on
voit au defîùs d ’un clocher ; ces objets nous paroiflent
être beaucoup plus petits que nous ne les jugerions être
en effet fi nous les voyions dans la direétion ordinaire &
à la même diftance horizontalement à laquelle nous les
voyons verticalement.
Quoiqu’avec un peu de réflexion il foit aifé de fe convaincre
de la vérité de tout ce que nous venons de dire
au fujet du fens de la vûe, il ne fera cependant pas inutile
de rapporter ici les faits qui peuvent la confirmer. M. Che-
felden fameux Chirurgien de Londres, ayant fait l’opération
de la cataraéle à un jeune homme de treize ans,
aveugle de naiflance , & ayant réuiïi à lui donner le fens
de la v û e , obferva la manière dont ce jeune homme com-
mençoit à v o ir, & publia enfuite dans les Tranfaétions
philofophiques, n .0 4 0 2 , & dans le yyrae article duTatler,
les remarques qu’il avoit faites à ce fujet. Ce jeune homme,
quoiqu’aveugle, ne l’étoit pas abfolument & entièrement;
comme la coecité provenoit d ’une cataraéle, il étoit dans
le cas de tous les aveugles de cette efpèce qui peuvent
toûjours diftinguer le jour de la nuit ; il diftinguoit même
à une forte lumière le n o ir, le blanc & le rouge vif qu’on
appelle écarlate , mais il ne voyoit ni n ’entrevoyoit en
aucune façon la forme des chofes , on ne lui fit l’opération
d ’abord que fur l’un des yeux. Lorfqu’il vit pour la première
fo is, il étoit fi éloigné de pouvoir juger en aucune
façon des diftances, qu’il croyoit que tous les objets indifféremment
touchoient fes yeux ( ce fut l’exprelfion dont
il fe fervit ) comme les chofes qu’il palpoit, touchoient fà
peau. Les objets qui lui étoient le plus agréables, étoient
ceux dont la forme étoit unie & la figure régulière , quoiqu’il
ne pût encore former aucun jugement fur leur fo rme,
ni dire pourquoi ils lui paroilfoient plus agréables que les
autres : il n’avoit eu pendant le temps de fon aveuglement
que des idées fi foibles des couleurs qu’il pouvoit diftinguer
alors à une forte lumière, qu’elles n ’avoient pas laifle
des traces fuffifantes pour qu’il pût les reconnoître , lorfqu
’il les vit en effet; il difoitque cfs couleurs qu’il voyoit,
n’étoient pas les mêmes que celles qu’il avoit vues autre-
ois , il ne connoiffoit la forme d ’aucun ob jet, & il ne diftinguoit
aucune chofe d ’une autre , quelque differentes
qu’elles pûffent être de figure ou de grandeur : lorfqu’on
lui montrait les chofes qu’il connoiffoit auparavant par
le toucher, il les regardoit avec attention, Sc les obfervoit