d ’artifice fe verra de beaucoup plus loin qu’une lumière
plus obfcure & plus grande, commme celle d ’un flambeau.
Il y a donc trois chofes à confidérer pour déterminer
la diftance à laquelle nous pouvons apercevoir un objet
éloigné, la première eft la grandeur de l’angle qu’il forme
dans notre oeil, la fécondé le degré de lumière des objets
voifins & intermédiaires que l’on voit en même temps, &
la troifième l’intenfité de lumière de l’objet lui-mcme ;
chacune de ces caufes influe fur l’effet de la vifion, & ce
n ’eft qu’en les eftimant & en les comparant qu’on peut
déterminer dans tous les cas la diftance à laquelle on peut
apercevoir tel ou tel objet particulier : on peut donner
une preuve fenfible de cette influence qu’a fur la vifion
l’intenfité de lumière. O n fait que les lunettes d ’approche
& les microfcopes font des inftrumens de même genre,
qui tous deux augmentent l’angle fous lequel nous apercevons
les objets, foit qu’ils foient en effet très-petits ,
foit qu’ils nous paroiffent être tels à caufe de leur éloignement
; pourquoi donc les lunettes d ’approche font-
elles fi peu d ’effet en comparaifon des microfcopes, puif-
que la plus longue & la meilleure lunette groflit à peine
mille fois l’ob jet, tandis qu’un bon microfcope femble le
grolïir un million de fois & plus ï il eft bien clair que cette
différence ne vient que d e l’intenfité de la lumière, & que
fi l’on pouvoit éclairer les objets éloignez avec une lumière
additionnelle, comme on éclaire les objets qu’on veut
obferverau microfcope, on les verrait en effet infiniment
mieux,quoiqu’on les vît toujours fous le même angle,
&queles lunettes feroientfur les objets éloignez le même
effet que les microfcopes font fur les petits objets; mais
ce n’eft pas ici le lieu de m’étendre fur les conféquences
utiles & pratiques qu’on peut tirer de cette réflexion.
La portée de la v u e , ou la diftance à laquelle on peut
voir le même o b jet, eft affez rarement la même pour chaque
oe il, il y a peu de gens qui aient les deux yeux également
forts ; lorfque cette inégalité de force eft à un certain
degré , on ne fe fert que d ’un oe il, c’eft-à-dire, de
celui dont on voit fe mieux : c ’eft cette inégalité de portée
de vue dans les yeux qui produit le regard louche,
comme je l’ai prouvé dans maDiffertation fur le Strabifme
(V o yelles Mémoires de ï Académie, année 1743 ■) Lorfque
les deux yeux font d ’égale fo rc e , & que l’on regarde le
même objet avec les deux yeux, il femble qu’on devrait
le voir une fois mieux qu’avec un feul oe il, cependant la
fenfation qui réfulte de ces deux efpèces de vifion, paroît
être la même , il n’y a pas de différence fenfible entre
les fenfations qui réfultent de l’une & de l ’autre façon de
v o ir, & après avoir fait fur cela des expériences, on a
trouvé qu’avec deux yeux égaux en force on voyoit mieux
qu’avec un feul oe il, mais d ’une treizième partie feulement
* , en forte qu’avec les deux yeux on voit l’objet
comme s’il étoit éclairé de treize lumières égales, au fieu
qu’avec un feul oeil on ne le voit que comme s’il étoit
éclairé de douze lumières. Pourquoi y a-t-il fi peu d ’aug-
* Voyez le Traité de M. Jurin qui a pour titre : Ejfay on dif-
îïnél and indijlinü vifion•