il ne pourra en réfulter aucune connoiffance de la figure
de ce corps ; il en eft de même de toutes les autres parties
du corps qui ne peuvent pas s’ajufter fiir la furface des corps
étrangers, & fe plier pour embraffer à la fois plufieurs parties
de leur fuperficie, ces parties de notre corps ne peuvent
donc nous donner aucune idée jufte de leur forme ; mais
celles qui, comme la main, font divifées en plufieurs petites
parties flexibles & mobiles, & qui peuvent par conféquent
s’appliquer en même temps fur les différens plans de la
fiiperficie des Corps, font celles qui nous donnent en effet
les idées de leur forme Sc de leur grandeur.
Ce n’eft donc pas uniquement parce qu’il y a une plus
grande quantité de houppes nerveufes à l’extrémité des
doigts que dans les autres parties du corps, ce n’eft pas,
comme on le prétend vulgairement, parce que la main a
fe fentiment plus délicat, qu’elle eft en effet le principal
organe du toucher, on pourroit dire au contraire qu’il
y a des parties plus fenfibles Sc dont le toucher eft plus
délicat, comme les yeux, la langue, &c, mais c’eft uniquement
parce que la main eft divifée en plufieurs parties
toutes mobiles, toutes flexibles, toutes agiflàntes
en même temps & obéiflantes à la volonté, qu’elle eft le
feul organe qui nous donne des idées diftinétes de la forme
des corps : le toucher n’eft qu’un contaél de fuperficie
, qu’on fuppute la fuperficie de la main Sc des cinq
doigts, on la trouvera plus grande à proportion que celle
de toute autre partie du corps, parce qu’il n’y en a aucune
qui foit autant divifée ; ainfi elle a d’abord l’avantage
de pouvoir préfenteraux corps étrangers plus de fuperficie,
enfuite les doitgs peuvent s’étendre, fe raccourcir,fe plier,
fe féparer, fe joindre, Sc s’ajufter à toutes fortes de furfa-
ces", autre avantage qui fuffiroit pour rendre cette partie
l’organe de ce fentiment exaét Sc précis qui eft néceflaire
pour nous donner l’idée de la forme des corps. Si la
main avoit encore un plus grand nombre de parties, qu’elle
fût, par exemple, divifée en vingt doigts, que ces doigts
euffent un plus grand nombre d’articulations Sc de mou-
vemens, il n’eft pas douteux que le fentiment du toucher
ne fût infiniment plus parfait dans cette conformation,
qu’il ne i’eft, parce que cette main pourroit alors
s’appliquer beaucoup plus immédiatement Sc plus préci-
fément fur les différentes furfaces des corps ; & fi nous,
fuppofions qu’elle fût divifée en une infinité de parties
toutes mobiles & flexibles, & qui pûffent toutes s’appliquer
en même temps fur tous les points de la furface des
corps , un pareil organe feroit une efpèce de géométrie
univerfelle ( fi je puis m’exprimer ainfi ) par le fecours
de laquelle nous aurions dans le moment meme de 1 at-
touchement,des idées exaétes Sc précifes de la figure de
tous les corps,& de la différence, même infiniment petite,
de ces figures : fi au contraire la main étoit fans doigts,
elle ne pourroit nous donner que des notions très-imparfaites
de la forme des chofes les plus palpables, & nous-
n’aurions qu’une connoiffance très-confufe des objets qui
nous environnent, ou du moins il nous faudroit beaucoup
plus d’expériences & de temps pour les acquérir.