On dit qu’au pays de Spitfberg, qui eft à 79 & 80
degrés de latitude, & par conféquent dans un climat
extrêmement froid, il n’arrive prefque aucune altération
apparente aux cadavres qui font enfevelis depuis trente
ans ; rien ne fe pourrit ni ne fe corrompt dans ce pays,
les bois qui ont été employez pour bâtir les huttes où on
fait cuire les grailles de baleine, paroiffent aulîl frais que
lorfqu’ils ont été coupez 3.
Si le grand froid préferve les cadavres de la corruption,
comme on peut le voir par les faits que je viens de citer,
il n’eft pas moins certain que la féchereffe qui eft caufée
par la grande chaleur, fait aulfi le même effet. On fait
que les hommes & les animaux qui font enterrez dans
les fables de l’Arabie, fe deftechent promptement, & le
confervent pendant plufieurs fiècles, comme s’ils avoient
été embaumez. Il eft fouvent arrivé que des caravanes
entières ont péri dans les deferts de l’Arabie, foit par les
vents brûlans qui s’y élèvent & qui raréfient l’air au point
que les hommes ni les animaux ne peuvent plus refpirer,
foit par les fables que les vents impétueux foûlèvent à une
grande hauteur, & qu’ils déplacent à une grande diftance:
ces cadavres fe confervent dans leur entier, & on les retrouve
dans la fuite par quelqu’effet du hafard. Plufieurs
auteurs, tant anciens que modernes, en ont fait mention,
M. Shaw b dit qu’on lui a aflliré qu’il y avoit un grand
* Recueil des voyages au Nord. Rouen, 171 6. Tome I , page 1 5 3 .
1 Voyages de M. Shaw dans plufieurs provinces de l’Afrique. La
Haye, in-^p Tome I I . page y p .
nombre d’hommes, d’ânes & de chameaux qui étoient
confervez depuis un temps immémorial dans les fables
brûlans de Saibah, qui eft un lieu que cet auteur croit
fitué entre Ralfem & l’Egypte.
La corruption des cadavres n’étant caufée que par la
fermentation des humeurs, tout ce qui eft capable d’empêcher
ou de retarder cette fermentation, contribue à leur
confervation. Le froid & le chaud , quoique contraires,
produisent le même effet à cet égard par le defîechement
qu’ils caufent, le froid en condenlànt & en épailfilfant les
humeurs du corps, & la chaleur en les raréfiant & en accélérant
leur évaporation avant qu’ils puiffent fermenter &
agir fur les parties folides : mais il faut que ces deux extrêmes
foient conftamment les mêmes, car s’il y avoit une
viciffitude du chaud au froid, & de la féchereffe à l’humidité,
comme il fe fait d’ordinaire, la corruption arriverait
néceffairement. Cependant il y a dans lés climats
tempérez des caufes naturelles qui peuvent conferver les
cadavres, telles font les qualités de la terre dans laquelle
on les enferme ; fi elle eft defféchante & aftringente, elle
s’imbibe de l’humidité du corps; c’eft ainfi, à ce que je
crois, que les cadavres fe confervent aux Cordeliers de
Touloufe, ils s’y deftechent au point qu’on peut aifément
les foûlever d’une main.
Les gommes , les réfines, les bitumes, &c. que l’on
applique fur les cadavres , les défendent de l’impreffion
qu’ils recevraient dans les changemens de température;
& fi de plus on dépofoit dans des fables arides & brûlans
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