J ’imagine donc un homme tel qu’on peut croire qu’é-
toit le premier homme au moment de la création, c ’eft-
à -d ire , un homme dont le corps & les organes feraient
parfaitement formez, mais qui s’éveillerait tout neuf pour
lui -même & pour tout ce qui l’environne. Quels feraient
fes premiers mouvemens, fes premières fenfations, fes
premiers jugemens! Si cet homme vouloitnous faire l’hif-
toire de fes premières penfées, qu’auroit-if à nous dire
quelle ferait cette hiftoire î J e ne puis me difpenfer de le
faire parler lui-même,afin d ’en rendre les faits plus fenfi-
bles : ce récit philofophique qui fera c o u rt, ne fera pas
une digreffion inutile.
Je me fouviens de cet inflant plein de joie ix de trouble, où
■je fen tis pour la première fo is ma fngulière exijlence ; je ne
favois ce que j ’étois, où j ’éto is, d ’où jevenois. J ’ouvris les
yeu x, quelfurcroît de fenfation! la lumière, la voûte célejle,
la verdure de la terre, le cryjlal des eaux, tout m’occupoit,
m animait, ix me donnoit un fentiment inexprimable de plai-
fir ; je crus d ’abord que tous ces objets étoient en moi ix
faifoient partie de moi-même.
Je m affermiffois dans cette penfée naiffante lorfque je tournai
les yeux vers l'afire de la lumière, fon éclat me bleffa; je
fermai involontairement la paupière, <lV je fen tis une légère
douleur. Dans ce moment d ’obfcurité je crus avoir perdu
prefque tout mon être.
•Affligé, fa i f i détonnement, je p en fo is a ce grand changement
, quand tout à coup j ’entends des fons ; le chant des oi-
fe a u x , le murmure des airs formoient m concert dont là
douce imprefflon me remuoit jufqu au fo n d de l’ame ; jécouta
i long-temps, ix je me perfrndai bien-tôt que cette harmonie
étoit moi.
A tten tif, occupé tout entier de ce nouveau genre d ’e x if
tence, j oubliais déjà, la lumière cette autre partie de mon être
que j ’avois connue la première, lorfque je rouvris les yeu x .
Quelle joie de me retrouver en poffefiîon de tant dobjets
brillans! monplaifr furpajfa tout ce que j ’avois fen d la première
fo is , ix fufpendit pour un temps le charmant effet des
fons.
Je fix a i mes regards fu r mille objets divers, je m’aperçus
bien-tôt que jepouvois perdre éx retrouver ces objets, ix que
j ’avois la puiffance de détruire lx de reproduire à mon gré
cette belle partie de moi-même, è r quoiquellc me parût irn-
inenfe en grandeur par la quantité des accidens de lumière ix
pa rla variété des couleur s , je crus reconnoître que tout étoic
contenu dans une portion de mon être.
Je commençais à voirfans émotion ix à entendre fans trouble,
torfquun air léger dont je fen tis la fraîcheur, tn apporta
des parfums qui me causèrent un épanouijfement intime éx
me donnèrent un fentiment d'amour pour moi-même.
Agjité par toutes ces fenfations,preffé par lesplaifirs dune
f i belle ix f i grande exiflence,je me levai tout d ’un coup, ix
je me fen tis tranfporté p a r me force inconnue.
Je ne fis qu un pas, la nouveauté de ma fituation me rendit
immobile, ma furprife fu t extrême, je crus que mon e x if
tence fuyait, le mouvement que ja v o is f a it, avoit confonde
les objets, je m’imaginois que tout étoit en défordre.
IL J. iij