L e foetus dans le fein de la mère a la peau très-déliée,
il doit donc fentir vivement toutes les impreffions extérieures,
mais comme il nage dans une liqueur & que les
liquides reçoivent & rompent l’aétion de toutes les caufes
qui peuvent occafionner des chocs, il ne peut être blefle
que rarement & feulement par des coups ou des efforts
très-violens ; il a donc fort peu d ’exercice de cette partie
même du toucher, qui ne dépend que de la fineffe de la
peau, & qui eft commune à tout le corps ; comme il ne fait
aucun ulàge de fes mains, il ne peut avoir de lènlàtions
ni acquérir aucune connoiflànce dans le fein de là mère,
à moins qu’on ne veuille fuppofer qu’il peut toucher avec
fes mains différentes parties de fon corps, comme fon
vifage, fa poitrine, fes genoux ; car on trouve fouvent
les mains du foetus ouvertes ou fermées, appliquées contre
fon vifage.
Dans l’enfant nouveau-né les mains relient auffi inutiles
que dans le foetus, parce qu’on ne lui donne la liberté
de s’en fervir qu’au bout de fix ou fept femaines, les bras
font emmaillotez avec tout le refie du corps jufqu’à ce
terme, & je ne lais pourquoi cette manière ell en ulàge.
II eft certain qu’on retarde par-là le développement de ce
fens important, duquel toutes nos connoilfances dépendent
, & qu’on feroit bien de lailfer à l’enfant le libre
ufage de fes mains dès le moment de là nailfance, il
acquerrait plûtôt les premières notions de la forme des
chofes, & qui lait jufqu a quel point ces premières idées
influent furies au tre s.' un homme n’a peut-être beaucoup
plus d ’efprit qu’un autre que pour avoir fait dans fa première
enfance un plus grand & un plus prompt ulàge d e
ce fens ; dès que les enfans ont la liberté de fe fervir de
leurs mains, ils ne tardent pas à en faire un grand ufage,
ils cherchent à toucher tout ce qu’on leur préfente ; o n
les voit s’amufer & prendre plaifir à manier les chofes
que leur petite main peut làifir, il femble qu’ils cherchent
à connoître la forme des, corps en les touchant de tous
côtés & pendant un temps confidérable ; ils s’amufent
ainfi, ou plutôt ils s’inftruifent de chofes nouvelles. Nous-
mêmes dans le refte de la vie, lî nous y làilons réflexion,
nous amufons-nous autrement qu’en failànt ou en cherchant
à faire quelque chofe de nouveau ï
C ’eft par le toucher feul que nous pouvons acquérir
des connoiflànces complètes & réelles, c’eft ce fens qui
reélifie tous les autres fens dont les effets ne feraient que
des illufions & ne produiraient que des erreurs dans no tre
elp rit, fi le toucher ne nous apprenoit à juger. Mais
comment fe fait le développement de ce fens important!
comment nos premières connoiflânces arrivent-elles à
notre àme ï n’avons-nous pas oublié tout ce qui s’eftpalfé
dans les ténèbres de notre enfance î comment retrouverons
nous la première trace de nos penfées! n ’y a-t-il pas
même de la témérité à vouloir remonter julque-là ! Si la
chofe étoit moins importante, on aurait railon de nous blâmer;
mais elle eft peut-être plus que toute autre digne de
nous o c cu p e r, & ne fait-on pas qu’on doit faire des efforts
toutes les fois qu’on veut atteindre à quelque grand objet !