Les animaux qui ont des mains paroifl'ent être les plus
fpirituels : les linges font des chofes fi femblables aux
aétions méchaniques de l’homme, qu’il femble qu’elles
aient pour caufe la même fuite de fenfàtions corporelles :
tous les autres animaux qui font privez de cet organe,
ne peuvent avoir aucune connoiflànce alfez diftinéte de
la forme des chofes ; comme ils ne peuvent rien faifir 8c
qu’ils n ’ont aucune partie alfez divifée & alfez flexible
pour pouvoir s’ajufter fur la fuperficie des c o rp s, ils
n ’ont certainement aucune notion précife de la forme
non plus que de la grandeur de ces co rp s, c’eft pour
cela que nous les voyons fouvent incertains ou effrayez à
l ’afpeét des chofes qu’ils devroient le mieux connoître,
8c qui leur font les plus familières. Le principal organe
de leur toucher ell dans leur mufeau, parce que cette
partie eft divifée en deux par la b ouche, & que la langue
ell une autre partie qui leur fert en même temps
pour toucher les corps qu’on leur voit tourner & retourner
avant que de les faifir avec les dents : on peut auflî
conjecturer que les animaux q u i, comme les sèches, les
polypes & d ’autres infeétes, ont un grand nombre de bras
ou de pattes qu’ils peuvent réunir 8c joindre , & avec lesquels
ils peuvent faifir par différens endroits les corps
étrangers; que ces animaux, dis-je, ont de l’avantage
fur les autres, & qu’ils connoiflent & choififfent beaucoup
mieux les chofes qui leur conviennent. Les poifl-
fons dont le corps eft couvert d ’écaiiles & qui ne peuvent
fe p lier, doivent être les plus ftupides de tous les
animaux,
animaux, car ils ne peuvent avoir aucune connoilfance
de la forme des co rp s, puifqu’ils n’ont aucun moyen de
les embrafler , & d ’ailleurs l’impreflîon du fentiment doit
être très-foible 8c le fentiment fort obtus, puifqu’ils ne
peuvent fentir qu’à travers les écailles : ainfi tous les animaux
dont le corps n ’a point d ’extrémités qu’on puilfe
regarder comme des parties divifées, telles que les bras ,
les jambes, les pattes, &c. auront beaucoup moins de
fentiment par le toucher que les autres : les ferpens font
cependant moins ftupides que les poiflons, parce q u e,
quoiqu’ils n ’aient point d ’extrémités, 8c qu’ils foient recouverts
d ’une peau dure & écailleufe , ils ont la faculté
de plier leur corps en plufieurs fens fur les corps étrangers,
& par conféquent de les faifir en quelque façon
8c de les toucher beaucoup mieux que ne peuvent le faire
les poiflons dont le corps ne peut fe plier.
Les deux grands obftacles à l’exercice du fens du toucher,
font donc premièrement l’uniformité de la forme
du corps de l’animal, o u , ce qui eft la même chofe, le
défaut de parties différentes, divifées 8c flexibles ; 8c fe-
condement le revêtement de la peau , foit par du p o il,
de la plume , des écailles, des taies, des coquilles, 8cc.
plus ce revêtement fera dur 8c folide, & moins le fentiment
du toucher pourra s’exercer, plus au contraire la
peau fera fine & déliée, & plus le fentiment fera vif &
exquis. Les femmes ont entre autres avantages fur les
hommes, celui d ’avoir la peau plus belle 8c le toucher
plus délicat.
Tome 111. Z z